Envoyer à un ami

Les coordonnées que vous indiquez sur cette page ne seront pas utilisées pour vous envoyer des emails non- sollicités et ne seront pas vendues à un tiers. Voir politique de confidentialité.

Pour Linda Nordling, si les réseaux régionaux permettent aux chercheurs africains d'être désormais moins isolés les uns des autres, il leur faut développer une plus grande portée.

Il est souvent dit que la recherche africaine souffre du fait que les scientifiques sont isolés de leurs collègues vivant ailleurs sur le continent. Pendant des décennies, les scientifiques à Abuja ou à Nairobi ont ainsi été plus enclins à collaborer avec des chercheurs aux États-Unis qu'entre eux.

Mais cette fragmentation pourrait être enfin en voie de se dissiper. En effet, des liens intracontinentaux ont aujourd'hui été tissés, qui toutefois ne rassemblent que certains groupes de pays. C'est ce que montre une étude d'ensemble des réseaux de recherche africains, publiée le mois dernier par Thomson Reuters.

Le rapport intitulé Rapport sur la Recherche mondiale: l'Afrique (en anglais,Global Research Report: Africa), examine les articles scientifiques publiés entre 2004 et 2008, et identifie quatre groupes de pays dans sous-continent dotés de liens transfrontaliers de recherche solides.

Le premier se trouve en Afrique du Nord et regroupe l'Algérie, l'Egypte, la Libye, le Maroc et la Tunisie.

Un groupe francophone, en grande partie ouest-africain, est concentré sur le Cameroun et comprend le Bénin, le Burkina-Faso, le Congo, la Côte d'Ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo.

La communauté linguistique – de langue anglaise, cette fois-ci – joue également un grand rôle dans un troisième groupe, constitué du Nigeria, de la Gambie et du Ghana en Afrique de l'Ouest et du Botswana, de l'Ethiopie, du Kenya, du Malawi, de la Tanzanie, de l'Ouganda, de la Zambie et du Zimbabwe en Afrique de l'est.

Enfin, l'Afrique du Sud ouvre la voie au quatrième groupe, qui comprend le Gabon, le Lesotho, Madagascar, le Mozambique, la Namibie, le Soudan et le Swaziland.

Chaque groupe se concentre sur une ou deux locomotives scientifiques jouant le rôle de plaque tournante pour les collaborations régionales : l'Egypte, le Cameroun, le Nigeria et le Kenya et l'Afrique du Sud. Cela n'est guère surprenant, ces pays étant les acteurs scientifiques les plus solides dans leurs zones géographiques.

Mais jusqu'à quel point l'Afrique est-elle parvenue à éliminer cet obstacle majeur pour la progression de la recherche ?

Le poids de l'histoire…

L'image qui ressort de l'étude de Thomson Reuters est que les collaborations de recherche africaines restent fortement dépendantes du – et limitées par – le passé colonial. Cela est particulièrement vrai pour le groupe de l'Afrique du Nord, qui entretient des liens solides avec l'Europe. L'Algérie et la Tunisie, ainsi, bénéficient de liens particuliers avec la France, co-produisant une part exceptionnelle de publications.

Les obstacles à la création de réseaux ne sont pas seulement d'ordre linguistique, culturel ou historique, mais également géographique : la plupart des réseaux intracontinentaux existent dans des pays frontaliers. Il existe pourtant deux exceptions notables.

La première est le Nigeria, qui, pour autant que le pays entretien des liens importants avec ses voisins d'Afrique de l'Ouest, occupe une position plus importante dans le réseau anglophone et a donc également noué des liens solides avec l'Afrique du Sud.

Le deuxième cas est celui de l'Afrique du Sud, identifiée par Thomson Reuters comme étant le "leader exceptionnel de la recherche" en Afrique, et le seul pays à faire partie des quatre groupes.

Or, dans l'ensemble, on note une absence de liens entre les différents groupes, une constatation aux implications importantes.

Ainsi, les faibles liens que l'Égypte entretient en matière de recherche avec l'Afrique sub-saharienne ne contribueront guère à son ambition d'impulser l'agenda scientifique panafricain (voir L'Egypte compte impulser l'agenda scientifique africain).

Pour Mammo Muchie, professeur d'études d'innovation à l'Université de Technologie de Tshwane, en Afrique du Sud, les réseaux fondés sur des relations historiques sont artificiels.

"Nous ne voulons pas de ces silos. Cela dessert non seulement les africains, qui devraient être en mesure de collaborer librement, mais aussi les collaborateurs étrangers, qui n'ont accès qu'à une partie limitée de l'expertise des africains."

… et l'avenir de la mondialisation

Les auteurs du rapport de Thomson Reuters ne considèrent pas les réseaux et des centres régionaux actuels comme un problème. Ils présentent les réseaux comme des "opportunités de développement", et les pays les plus solides comme ayant "un potentiel rôle transformationnel" pour encourager la multiplication des liens.

"L'avenir de l'entreprise de recherche en Afrique doit dépendre dans une grande mesure de la capacité de ces pays de faciliter une croissance plus poussée, grâce au leadership, à de solides investissements locaux et à la création et l'appui d'infrastructures et centres clés en vue d'attirer et de soutenir les partenaires ne disposant à l'heure actuelle que de peu de ressources ", concluent-ils.

Les auteurs ajoutent que les nœuds les plus solides joueront un rôle crucial dans la connexion des réseaux africains aux réseaux mondiaux. Ainsi, le Nigeria est géographiquement, si ce n'est linguistiquement, bien placé pour étendre ses liens vers l'ouest en direction de l'Amérique du Sud ; l'Égypte, quant à elle, est un lien vers le monde de la recherche islamique.

Pour Caroline Wagner, les décideurs politiques doivent prendre compte des implications de ces réseaux . Elle est l'auteur de l'essai intitulé Le Nouveau collège invisible, dans lequel elle soutient que la science à l'échelle d'un pays cède la place à des réseaux internationaux. Elle exhorte les gouvernements à dépasser les bornes nationales dans l'élaboration de politiques scientifiques, et de privilégier des modèles scientifiques resautés se concentrant sur des problèmes communs.

Pourtant, le seul fait d'établir des liens de recherche ne devrait pas être une fin en soi, dit-elle. "Développer l'interconnectivité entre les pays africains dans le seul but de tisser des liens n'entraînera pas nécessairement la promotion du développement. Si la création de connaissances en Afrique a pour objectif la résolution des problèmes, alors les liens importants sont ceux-là capables d'aider les pays à trouver des solutions à des problèmes concrets".

Les pôles de recherche régionaux, conçus pour répondre à des problèmes communs, pourraient constituer la meilleure stratégie pour atteindre cet objectif.

Tirer parti de cet élan

Certes, l'étude de Thomson Reuters ne fournit pas une image complète. Elle se limite à une analyse d'articles de revues internationalement indexées et exclut de ce fait une grande partie – peut-être la majeure partie – de la science africaine, qui paraît plus fréquemment dans les revues locales (voir aussi Les travaux de recherche doivent être mis en avant dans les revues locales).

Mais que ces liens soient purement régionaux ou non, le rapport du mois dernier présente une conclusion claire : les chercheurs africains commencent à travailler ensemble d'avantage.

Les efforts visant à encourager la science sur le continent doivent tirer parti de cet élan. Le renforcement des capacités devrait non seulement stimuler le potentiel des scientifiques et de leurs institutions pour mener des recherches, mais également promouvoir ces réseaux et ces liens, essentiels si l'Afrique veut créer ses propres sociétés du savoir.

La journaliste Linda Nordling, qui travaille au Cap, en Afrique du Sud, est spécialiste de la politique africaine pour la science, l'éducation et le développement. Elle a été la rédactrice en chef de Research Africa et collabore au Réseau Sciences et Développement (SciDev.Net), The Guardian, Nature, etc.