05/10/18

La science dans la présidentielle au Cameroun

Camer Elex Article 2
Les Camerounais se rendent aux urnes ce dimanche 7 octobre, pour élire un nouveau président de la République, sous le regard intéressé de la communauté scientifique - Crédit image: Xtockimages

Lecture rapide

  • Les candidats les plus actifs promettent de renforcer la recherche et l’économie numérique
  • Un chercheur prescrit une redéfinition du système éducatif afin de prendre en compte les STEM
  • Une certaine autonomie des universités avec l'élection des responsables fait partie des réformes attendues

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Si la science et la recherche scientifique sont quasi-inexistantes dans les débats publics et les meetings dans le cadre de la campagne électorale pour la présidentielle de ce dimanche 7 octobre au Cameroun, elles figurent bien dans les projets de société de chacun des quatre candidats dont les programmes politiques sont les plus accessibles.
 
"J’encouragerai l’enseignement technique de pointe et les sciences", promet par exemple Joshua Osih, le candidat du Social Democratic Front (SDF), dans son programme de 84 pages.
 
Pour cela, cet aviateur promet un investissement dans "la recherche agricole, l’innovation, la technologie et les banques génétiques".  

“Si le Cameroun n’a pas pu participer à la révolution industrielle, nous ne devons pas rater la révolution numérique et les industries du futur”

Joshua Osih, candidat du SDF

Cette promesse répond, au moins en partie, aux préoccupations de Julbert Konango, délégué de la Chambre d’agriculture du Cameroun pour la région de Douala.
 
Dans un entretien avec SciDev.Net, ce dernier constate en effet que "notre système de recherche est inefficace. Nos instituts de recherche, lorsqu’ils finissent par trouver quelque chose de bon, ne produisent pas de semences en quantité suffisante pour permettre aux agriculteurs d’en disposer".
 
"Il faut que la recherche soit appuyée, qu’elle soit efficace, et qu’elle s’organise même pour travailler avec les autres forces et avec les acteurs de terrain pour permettre que nous ayons de bonnes semences au bon moment et en grande quantité", ajoute ce producteur agropastoral.
 
"En dehors de la recherche agricole dont il faudra accroître la performance, il faudra développer la recherche au soutien des problèmes de santé publique spécifiques au Cameroun ou portant sur des maladies ayant une forte prévalence dans le pays et une recherche-innovation au soutien de l’industrie nationale", pense pour sa part Maurice Kamto.
 
Le candidat du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) considère l’éducation et la recherche comme "l’option prioritaire pour la formation scientifique et technique et pour l’innovation".
 
Ce professeur de droit promet qu’avec lui à la tête du pays, "la recherche sera organisée autour de pôles d’excellence spécialisés équipés de laboratoires de niveau international".
 
En cela, il est proche de la vision d’André Lenouo, enseignant-chercheur au département de physique de la faculté de sciences de l’université de Douala.

Autonomie des universités

Interrogé par SciDev.Net, il dit attendre du nouveau président "la création de centres de recherche dans les différentes universités d’Etat".
 
Le candidat caresse aussi le rêve d’une "autonomie des universités, avec l’élection des responsables à tous les niveaux, comme cela se fait par exemple en Afrique de l’Ouest".
 
Un vœu qui correspond mot pour mot à un aspect du projet de Joshua Osih, en l’occurrence "l’octroi de l’autonomie académique et administrative aux universités, ainsi que l’élection des responsables universitaires par leurs pairs enseignants".
 
Au soutien de son projet de société sur le plan de la recherche scientifique, Maurice Kamto projette de créer une Agence nationale de la recherche et de l’innovation (ANRI). "Il s’agit d’une recherche orientée vers des objectifs spécifiques de développement", dit-il.
 
"Cette agence que pense créer le MRC sera-t-elle différente de l’actuel ministère de la Recherche scientifique et de l’innovation ?" se demande André Lenouo, qui n’y voit pas clair…
 
De leurs côtés, Serge Espoir Matomba et Cabral Libii, deux des plus jeunes candidats à ce scrutin, voient le succès de la recherche scientifique au Cameroun davantage dans la coopération.
 
Serge Espoir Matomba (39 ans), candidat du PURS (Peuple uni pour la rénovation sociale) voudrait par exemple développer des partenariats entre les ministères et les universités.
 

Produire des outils d'aide à la décision

Ainsi, dit-il, "chaque ministère sera rattaché à des unités de recherche dans les universités ou dans les instituts privés de l’enseignement supérieur".
 
Ce jeune chef d’entreprise explique que "ces partenariats permettront de financer des projets de recherche avec pour objectifs de produire des outils d’aide à la décision".
 
Quant à Cabral Libii, il est de plain-pied dans l’intégration régionale ; puisqu’il compte mettre en place des centres de recherche panafricains dans le cadre d’une coopération universitaire.
 
"Nous allons inciter nos pairs à bâtir des universités et des centres de recherche panafricains avec des financements essentiellement endogènes, de l’ordre de 10 % des budgets de l’enseignement supérieur de chaque Etat", précise ce juriste de 38 ans, candidat du parti Univers.
 
L’objectif visé étant de "transformer progressivement nos institutions universitaires d’enseignement et de recherche scientifique et technique en structures sous-régionales cofinancées et cogérées par les Etats de la sous-région", ajoute le candidat qui prévoit pour cela un recrutement de 1000 professeurs d’université par an.
 
Un projet "ambitieux et irréaliste", juge André Lenouo, qui redoute "un recrutement massif d’enseignants qui n’auront aucune connaissance en matière de pédagogie".
 
A propos des technologies de l’information et de la communication (TIC), Joshua Osih annonce un plan pour la révolution numérique. Car, dit-il, "si le Cameroun n’a pas pu participer à la révolution industrielle, nous ne devons pas rater la révolution numérique et les industries du futur".
 

Bibliothèque scientifique

Atteindre un tel objectif passera par "la création de hubs de science, de technologie, de design et d’innovation dans chaque région du pays – du type FabLabs", écrit l'intéressé.
 
L’autre pilier de cette révolution est la "construction d’une bibliothèque scientifique numérique accessible à tous" et l’érection "d’un datacenter de dernière génération capable d’attirer les leaders mondiaux du numérique".
 
Le MRC, pour sa part, croit que le salut réside dans la simplification de l’accès aux TIC. "Il s’agit de démocratiser l’accès aux TIC, notamment en mettant à la disposition de chaque communauté d’une zone géographique socialement moins favorisée, des téléservices (téléphone, télécopie, Internet, télex)", écrit Maurice Kamto.
 
Mais ces deux projets sont un peu loin des attentes de Florence Tobo Lobe, universitaire et présidente de la fondation Rubisadt, un centre qui, à Douala, encourage les jeunes filles à s’intéresser aux STEM [Science, technology, engineering, mathematics (Science, technologie, ingénierie et mathématiques)] et à la robotique.

 

"Je me serais attendue à ce que les candidats proposent la création d’une université numérique nationale ou d’un laboratoire national numérique qui se chargerait de mutualiser toutes les innovations et inputs spécifiques à chacune des universités", estime l’intéressée.
 
De tous les projets de société, c’est celui du PURS qui, dans le cadre de son intention "d’intégrer les TIC dans tous les secteurs d’activité", semble se rapprocher le plus de la vision de cette chercheure.
 
Le chantier majeur ici est "la construction d’une école typiquement dédiée aux nouvelles technologies, permettant ainsi de former et de disposer de têtes pensantes pour le développement du secteur, tant au Cameroun qu’en Afrique", écrit Serge Espoir Matomba.

Impliquer les enfants

Florence Tobo Lobe fait d’ailleurs une proposition : "On devrait impliquer les enfants dès l’âge de 8-9 ans, et pas nécessairement les surdoués. Car, en tant qu’enfants du 21e siècle, ils maîtrisent naturellement et spontanément l’outil technologique. Et ils posent des questions ou des problèmes que nous autres ne pouvons pas poser".
 
Quoi qu’il en soit, Cabral Libii pense pouvoir créer 10.000 emplois directs chaque année, à travers l’accompagnement et le financement de 100 startups, tandis que Maurice Kamto promet l’aménagement de couloirs spécifiques pour la participation des Camerounais de la diaspora dans sa vision de la recherche scientifique et du développement technologique.
 
Par-dessus tout, "il faudrait redéfinir et organiser un système éducatif camerounais qui intègre les STEAM [Science, technology, engineering, arts and mathematics (Science, technologie, ingénierie, arts et mathématiques)], en vue de d'attaquer aux grandes problématiques nationales : agriculture, accès à l’eau potable, énergie, santé, protection de la biodiversité, tout en innovant sur les métiers d’avenir", recommande Florence Tobo Lobe.
 
Pour le reste, l'agriculteur Julbert Konango et l'universitaire André Lenouo regrettent le fait qu’aucun des candidats ne fasse véritablement mention de la vulgarisation des résultats de la recherche scientifique dans son programme, alors qu’elle reste "un gros problème" dans le pays…