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Au siège de l’UNESCO à Paris, le sujet qui revient sur toutes les lèvres est celui de la succession du Japonais Koïchiro Matsuura qui quittera l’organisation au mois d’octobre après dix années passées à sa tête.

Des diplomates et des politiciens d’Algérie, de Bulgarie, d’Equateur, d’Egypte et de Lituanie ont d’ores et déjà annoncé leurs candidatures à sa succession. La date limite de recevabilité des candidatures étant fixée au 31 mai, les gouvernements voteront en octobre prochain.

Les observateurs font remarquer qu’il devient de plus en plus important pour l’UNESCO d’améliorer sa gestion de la science, secteur qui bénéficie de la plus grosse enveloppe budgétaire sans pour autant recevoir la même attention que l’éducation ou la culture. Or il paraît peu probable que cette problèmatique s’inscrive au cœur des préoccupations des candidats.

L’UNESCO, l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture oeuvre à la protection des trésors culturels, soutient les efforts d’alphabétisation dans les pays en développement et appuie les programmes intergouvernementaux dans les domaines de la science et de l’environnement.

L’organisation se considère comme la principale agence des Nations Unies dans le domaine de la science. Or l’UNESCO pourrait jouer un rôle bien plus important, les changements climatiques et les questions environnementales dominant les préoccupations de la communauté internationale, et les pays donateurs réduisant leurs budgets consacrés au développement en ces temps de récession.

Steven Engelken, représentant des Etats-Unis auprès de l’Organisation a rappelé au Conseil exécutif en avril dernier, que "le choix du prochain Directeur général est la plus importante des décisions que nous aurons à prendre pour de nombreuses années".

La coopération dans les domaines de l’éducation et de la science pourrait bien être la clé permettant à la fois aux pays développés et aux pays en développement de sortir renforcés de la récession mondiale. Les solutions de court terme ne sont plus à la mode.

Les favoris

Le ministre égyptien de la culture, Farouk Hosni, 71 ans, qui a annoncé sa candidature dès 2007, était jusqu’à présent le candidat favori. Il bénéficie du soutien en bloc de la Ligue arabe, distançant des candidatures rivales du Maroc et du sultanat d’Oman, et l’Union africaine appuie sa nomination. L’année dernière pourtant, Hosni, spécialiste de l’art abstrait et le plus ancien ministre du président Moubarak, provoque l’incident diplomatique en se disant prêt à brûler des livres israéliens si on en trouvait dans les bibliothèques égyptiennes.

Farouk_Hosni

L’ancien favori Farouk Hosni a crée l’incident diplomatique avec des propos antisémites

Wikipedia

Pour John Daly, vice-président de l’association Americans for UNESCO (Américains pour l’UNESCO), "il est clair que les Etats-Unis et Israël s’activent pour bloquer la candidature de Hosni." .

La campagne contre sa candidature gagne en intensité, certains pays africains ou asiatiques insistant sur son niveau d’anglais plutôt faible. Certains observateurs estiment pourtant qu’il pourrait toujours rebondir.

Les récents Directeurs généraux de l’UNESCO sont originaires d’Afrique, d’Asie, d’Amérique du Nord et d’Europe de l’Ouest ; d’où l’accord tacite pour que le prochain chef soit issu du monde arabe, d’Amérique latine ou d’Europe de l’Est.

"Ce n’est pas tant une question de demander ‘à qui le tour’ – mais plutôt de déterminer à qui ce n’est pas le tour" explique Daly. "Après Matsuura, l’Asie devra certainement céder le fauteuil."

L’Europe de l’Est présente deux candidatures, une situation susceptible de conduire à un partage des voix. Les deux candidats sont des femmes. Ina Marčiulionyté, 47 ans, Ambassadrice de la Lituanie auprès de l’UNESCO, est soutenue par les Etats baltes. Elle affirme également bénéficier de l’appui de plusieurs pays européens, sans pour autant les nommer. Irina Bokova, 58 ans, Bulgare, diplomate de carrière et ambassadrice de son pays à Paris, a été peu longtemps ministre des affaires étrangères et candidate à la vice-présidence. Elle s’est prononcée l’an dernier et a déjà effectué une tournée en Asie pour battre campagne pour sa candidature.

Irina Bokova, diplomate bulgare de carrière a effectué une tournée de campagne en Asie

Irina Bokova

L’Amérique latine présente aussi deux candidatures, mais qui ne figurent pas parmi les favoris pour cette élection.

Que le moins gênant gagne ?

"Ce qu’il faudrait c’est une personnalité d’influence, dotée d’une stature internationale telle que les pays membres l’écouteront. Quelqu’un qui représente à la fois les intérêts des pays qui contribuent aux fonds de l’UNESCO et ceux qui en bénéficient," affirme Irvin Lerch, un observateur averti de l’Organisation et ancien Directeur des programmes internationaux à l’Institut américain de la Physique. Tellement averti qu’il se permet d’ajouter : "Mais nous n’aurons pas une telle personnalité. Nous aurons la personne qui représentera un moindre obstacle et une moindre nuisance pour les gouvernements et le conseil exécutif, et quelqu’un qui fera autant de compromis qu’il sera nécessaire pour se rendre impuissants. "

Les pays nordiques ont depuis longtemps souhaité qu’une grande personnalité mondialement reconnue comme Al Gore soit à la tête de l’UNESCO. A cette sollicitation Gore a répondu qu’il "n’était pas disponible".

Engelken a récemment déclaré lors d’une session du Conseil exécutif de l’UNESCO que la qualité essentielle d’un Directeur général, serait d’avoir une vision.

"La chose la plus importante pour l’UNESCO est probablement d’accroître les ressources consacrées à la science," estime Daly.

Ce qui suppose un Dg doté d’une certaine compréhension des questions scientifiques, ou à tout le moins d’un certain intérêt. "Si on peut trouver quelqu’un qui soit reconnu dans le monde de la science, auquel on ajoute une expérience de la politique, ce serait l’idéal," d’après Peter Tindeman, consultant auprès de l’UNESCO et ancien responsable de la politique scientifique dans le gouvernement néerlandais.

" Il n’ y a pas à proprement parler de débat intergouvernemental sur la science au sein de l’UNESCO," regrette Marčiulionyté. "Même avec la table ronde des ministres de la science, les ministres débattent mais cela manque, d’une manière ou d’une autre, de suivi."

Pour Alexander Boksenberg, président de la Commission nationale britannique pour l’UNESCO, "quelle que soit la personne, le nouveau Directeur général devra inscrire la réforme dans son plan d’action." Il est convaincu que l’UNESCO doit jouer un rôle important de conseil en matière de politique scientifique, coordonnant la recherche et servant de groupe de réflexion sur la science.

Les outsiders

Plusieurs autres candidats d’origine arabe viennent talonner Hosni, son soutien faiblissant.

Le Cambodge a proposé la candidature de Mohamed Al Bejawi, ancien ministre algérien des affaires étrangères et Président de la Cour internationale de justice de La Haye. A 81 ans, il ne sera peut être qu’un homme de paille ou un Directeur général ‘provisoire’, selon certains diplomates, qui font remarquer par ailleurs une robuste campagne menée par l’Egypte contre sa candidature. Même s’il se retire de la course, sa candidature aura été la preuve que le consensus supposé du monde arabe autour de la candidature de Hosni est fragile.

La Bosnie a quant à elle proposé la candidature d’un autre Algérien, Mounir Bouchenaki, 66 ans, Directeur général du Centre international pour l’Etude de la Préservation et la Restauration des Biens culturels en Italie, affilié à l’UNESCO. Archéologue de formation, il fut un temps un très populaire Directeur général adjoint chargé de la culture à l’UNESCO, mais d’aucuns lui reprochent d’être trop spécialisé et son manque d’expérience politique.

Ivonne Baki, 48 ans, de l’Equateur est la candidate outsider de l’Amérique latine. Présidente du Parlement andéen, elle bénéficie du soutien symbolique des parlements andéen, du Mercosur (Marché commun du Cône Sud) et de l’Amérique centrale. Elle aura néanmoins à rallier davantage le soutien de gouvernements. Artiste et ancienne ministre du commerce et de l’industrie, candidate à l’élection présidentielle et une fois ambassadrice de son pays auprès des Etats-Unis, son origine libanaise lui permet de se présenter comme la candidate du compromis avec le monde arabe.  "Je suis née en Equateur, mais je me sens très Arabe aussi. Je parle même mieux l’arabe que l’espagnol," précise-t-elle.

Le géologue Sophester Muhongo pourrait perdre, l’Afrique n’étant pas pressentie cette fois-ci

National Research Foundation

Dans le même temps, le soutien de l’Union Africaine à la candidature de Hosni a été davantage fragilisé par la candidature de Sospeter Muhungo, Tanzanien âgé de 54 ans. Muhungo est le Directeur régional pour l’Afrique du Conseil international pour la Science, organisme travaillant en étroite collaboration avec l’UNESCO. Il est géologue de formation. Mais, la supposition que ce n’est pas le tour de l’Afrique de diriger l’Organisation son manque d’expérience politique jouent contre lui.

Au sein même de l’UNESCO, une rumeur persistante veut que le Directeur général adjoint, Marcio Barbosa, 57 ans, se présenterait avec le soutien de Matsuura. Ce Brésilien affable, ancien responsable du programme spatial de son pays, pourraient selon certains définir un rôle scientifique pour l’UNESCO.  D’autres rappellent au contraire qu’il n’ait pas su accroître la visibilité de la science au sein de l’Organisation pendant les huit années passées au poste de Directeur général adjoint.

Marcio Barbosa : son pays soutient un autre candidat

European Commission

Qui plus est, le Président du Brésil Lula da Silva soutient officiellement Hosni, espérant en échange l’appui des pays arabes à la candidature du Brésil au poste de membre permanent du Conseil de sécurité réformé des Nations Unies. Les espoirs de Barbosa semblent s’amenuiser. "C’est frustrant," a-t-il reconnu lors d’un entretien accordé au journal brésilien El Globo, regrettant que "le Brésil n’a jamais dirigé un organisme des Nations Unies, et maintenant, le pays se refuse de saisir cette opportunité.

L’UNESCO et la science

Les partisans de Barbosa prétendent pourtant qu’il bénéficiait du soutien des Etats-Unis, en raison notamment de sa formation technique. Si cela est difficile à vérifier, Nina Fedoroff, conseillère scientifique auprès du Département d’Etat américain affirme néanmoins que "la science et la technologie jouent un rôle si central dans les économies du 21ème siècle, non seulement pour la croissance économique mais aussi dans la solution aux problèmes de développement, que j’estime qu’il serait génial que le Directeur général de l’UNESCO soit de formation scientifique et technologique. L’éducation et la science font partie des grandes priorités du Président [Barack Obama] et nous aimerions beaucoup voir une UNESCO plus forte que par le passé."

Engelken relève que Washington n’a pas encore choisi quel candidat soutenir.

Mais avec le principe "un pays, une voix", le vote des pays africains, arabes ou asiatiques, voire un vote en bloc des Européens pourrait facilement mettre les Etats-Unis en minorité. Pour Daly, "le vote des pays en développement et des non alignés… sera décisif dans cette élection.".

"Les pays africains choisiront le candidat qui fera le plus pour eux," ajoute un diplomate.

Cela pourrait signifier davantage d’initiatives dans les domaines de l’éducation et de la science, le Sommet de l’Union africaine d’Addis Abeba de 2007 ayant fait de la science et de la technologie une priorité pour accélérer le développement de l’Afrique.

La candidature de Hosni n’est pas morte pour autant, rappellent certains. Il a su rebondir de la controverse par le passé, ralliant par exemple le soutien unanime des pays arabes malgré sa critique du hijab l’année qui a précédé la présentation de sa candidature – la polémique  avait même poussé plusieurs pays arabes à réclamer sa démission. Et Hosni pourrait attirer les financements du monde arabe à un moment où la récession frappe les donateurs occidentaux. Une décennie plus tôt, cet argument avait d’ailleurs fait pencher la balance en faveur de Matsuura, perçu alors comme le candidat capable de mobiliser les précieux fonds d’aide japonais.

L’important, c’est ce qui se passe derrière les portes fermées, lors des cocktails réunissant les diplomates accrédités à Paris. Avec les ententes de dernière minute, il est difficile de prédire lequel des candidats sera finalement élu. "L’Union européenne semble être très divisée…Quand vous les consultez, leur opinion d’il y a à peine un mois semble déjà évoluer," se lamente Marčiulionyté, qui ajoute que "plusieurs pays n’arrivent pas toujours à choisir un candidat à qui accorder leur soutien."

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