27/05/19

L’Artemisia, remède miracle ou pseudo-médecine ?

Artemisia leaves
Crédit image: Panos/William Daniels

Lecture rapide

  • Au total 44 « Maisons de l’Artemisia » ont été répertoriées en Afrique
  • Des chercheurs vantent l’efficacité de la plante tandis que l’OMS la déconseille
  • Les experts préconisent des études cliniques supplémentaires

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« Un bon médicament s’impose de lui-même sans publicité ; c’est le cas de l’Artemisia ». Ces propos  optimistes d’Ibrahim Diop se veulent une réponse à la polémique actuelle en ce qui concerne l’utilisation de la plante Artemisia dans la prévention et le traitement du paludisme.   

Malgré les inquiétudes soulevées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et certains chercheurs quant à l’uitilisation de cette plante, le responsable de La Maison de l’Artemisia pour le Sénégal indique que ces paquets de 50g de feuilles séchées d’Artemisia s’écoulent dans tout le Sénégal « comme des petits pains ».

Depuis 2013, quarante-quatre centres affiliés à l’association internationale La Maison de l’Artemisia ont ouvert leurs portes dans vingt-et-un pays africains, pour vulgariser l’usage de l’Artemisia.

L’artémisinine extraite de cette plante est la molécule active de base des antipaludiques actuellement en vente sur le marché.

Selon Lucile Cornet-Vernet, la fondatrice de La Maison de l’Artemisia, environ 3 millions de traitement à base des feuilles séchées de cette plante ont été administrés pendant ces trois dernières années « sans cas de décès répertoriés ».

Et pourtant, ce mode de traitement du paludisme est dénoncé par des groupes de chercheurs, dont ceux de l’Académie nationale de médecine de France. Dans un communiqué publié en février, ces experts ont mis en garde les populations et la communauté scientifique contre l’utilisation de cette phytothérapie qu’ils jugent dangereuse pour l’avenir de la lutte contre le paludisme. 


Craintes

« Cette monothérapie favorise l’émergence de souches de Plasmodium résistantes, alors qu’aucune molécule n’est actuellement  disponible pour remplacer l’artémisinine dans les CTA[ 1] », peut-on lire dans le communiqué.

Daouda Ndiaye, chef du département de Parasitologie et Mycologie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, a expliqué à SciDev.Net que le risque dans l’utilisation de l’Artemisia est que le parasite vecteur du paludisme finira par développer une résistance à la molécule active et la rendre inefficace  contre le paludisme.

« Lorsqu’un parasite est soumis à une dose répétée de molécule, il parvient à comprendre le mécanisme d’action et crée une mutation qui fait perdre à la molécule son efficacité », a indiqué Daouda Ndiaye.

« Aujourd’hui, l’Artémisinine et ses dérivés sont les dernières molécules auxquels nous avons recours pour le traitement du paludisme. Si nous perdons cette molécule, nous sommes condamnés », prévient-il.

Le chercheur souligne que c’est d’ailleurs dans la logique de protéger la molécule que l’OMS a décidé en 2007 de retirer du marché tous les antipaludiques à base de la seule artémisinine.

Pour Lucile Cornet-Vernet, ces craintes vis-à-vis de l’Artemisia sont « non-fondées ». La chercheure explique en effet que l’Artemisia Afra, qui est l’espèce de l’Artemisia la plus répandue en Afrique, ne contient pas de l’Artémisinine.

« Pour l’Artemisia annua [plus répandue en Chine, NDLR], ses nombreux constituants qui entrent en synergie pour soigner les accès palustres doivent être étudiés pour permettre de lever les réserves sur la possible induction de résistance à l’artémisinine », confie-t-elle à SciDev.Net.

Combinaisons

En attendant, Lucile Cornet-Vernet brandit les nombreuses études déjà réalisées sur l’efficacité de l’Artemisia. La plus récente de ces études a été effectuée sur un échantillon de 957 patients à Kalima, une ville située au nord-est de la République Démocratique du Congo.

Les résultats publiés en avril 2019 dans la revue médicale Phytomedicine révèlent un taux de guérison de 99,5% des patients sous  tisanes d’Artemisia annua ou afra contre 79,5% pour les patients sous CTA.

Selon Daouda Ndiaye, ces études menées à l’échelle d’un pays ne peuvent pas être considérées comme une loi scientifique. Ce qui est dangereux avec les parasites, souligne-t-il, c’est de penser qu’une étude qui a donné des résultats positifs dans un milieu bien défini peut être appliquée au niveau mondial.

« Les parasites ont des interactions avec les milieux dans lesquels ils se développent. Leurs caractéristiques peuvent varier en fonction des aléas climatiques auxquels ils sont soumis », souligne le chercheur.

Même s’il ne réfute pas l’efficacité de l’Artemisia, l’expert estime que la combinaison de sa molécule active avec une autre molécule est le seul moyen efficace et durable de prise en charge du paludisme.  Et de proposer que des recherches supplémentaires soient faites sur l’association de la molécule active de l’Artemisia avec une molécule de la même plante ou d’une autre.

Lucile Cornet-Vernet pour sa part préconise la réalisation d’une étude clinique multicentrique aux normes internationales, ainsi que des études pharmacocinétique et pharmacodynamique]2]  des différents constituants actifs des tisanes pour lever toute équivoque sur l’usage de la plante.

Mais en attendant, Daouda Ndiaye invite les États africains  à s’aligner derrière la position de l’OMS qui déconseille l’utilisation de feuilles séchées d’Artemisia dans la prise en charge du paludisme.

« Nous avons une police du monde en matière de santé et c’est l’OMS. Nous devons tous comprendre que ce n’est pas une affaire de gros sous, mais de principe de science », conclut le chercheur.
 

Références

[1] : CTA c’est l’acronyme de Combinaisons Thérapeutiques à base d’Artémisinine 
[2] : La pharmacocinétique désigne l’étude du devenir des médicaments dans l’organisme tandis que la pharmacodynamique fait référence à l’action des médicaments sur l’organisme