22/11/19

Une molécule prometteuse contre le paludisme

Canada Students
Alexandre Borgia et Christopher Bérubé, étudiants aux cycles supérieurs en chimie qui ont réalisé la synthèse des mortiamides - Crédit image: Normand Voyer.

Lecture rapide

  • Le champignon microscopique provient du Nunavut, une région froide du Canada
  • La molécule issue du champignon a déjà obtenu des résultats concluants au labo contre P. falciparum
  • Les chercheurs doivent maintenant comprendre les mécanismes d’action de la molécule sur P. falciparum

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[OTTAWA] Des chercheurs ont identifié dans un champignon microscopique d’une région extrêmement froide du Canada, le Nunavut, une molécule susceptible de résister à Plasmodium falciparum, l'espèce de parasites la plus dangereuse parmi celles qui causent le paludisme chez l'être humain.
 
Sur la période 2015-2017, ce parasite a été responsable de 219 millions de cas estimés de paludisme, selon le rapport mondial publié en 2017.
 
La découverte bénéficie d’une attention dans la lutte contre le paludisme, alors que les souches de Plasmodium falciparum contrairement aux autres parasites résistent de plus en plus aux traitements existants. 

La découverte, récemment publiée dans la revue Chemical Communications, est réalisée par une équipe du laboratoire de chimie et du centre de recherche du Centre hospitalier universitaire de l’Université Laval et supervisée par le professeur de chimie Normand Voyer.

“Nous sommes à l’aube d’une nouvelle résistance à notre meilleur outil, l’artémisinine, nous avons donc vraiment besoin d’étoffer notre boîte à outils.”

Cédric Yansouni, directeur adjoint du centre JD McLean pour les maladies tropicales de l’Université McGill à Montréal

Depuis plusieurs années, les chercheurs s'intéressent à l’identification de composés à potentiel thérapeutique dans le grand Nord du Canada, une région extrêmement froide, pour repousser la nocivité de Plasmodium falciparum.  
 
Ils ont appris que leurs homologues de l’Île-du-Prince-Édouard, une province canadienne, ont repéré en 2017 des molécules appelées mortiamides, issues d'un champignon microscopique du Nunavut, un territoire situé à l’extrémité Nord du Canada, dans le cercle polaire arctique. 
 
« Ils ont rapporté la découverte sans plus d’étude; avec notre connaissance de la malaria et nos compétences en chimie, on a vu que la découverte qu’ils ont faite a un potentiel anti malaria », s’est réjoui le professeur Normand Voyer.
 
Mais comme les molécules n’étaient pas disponibles en quantité suffisante, les chercheurs en ont produit davantage pour s’assurer la similarité entre les molécules artificielles et les molécules naturelles, a-t-il confié à SciDev.Net
 
Après des travaux de synthèse en laboratoire, ils ont observé que Plasmodium falciparum ne pouvait pas résister aux molécules, principalement l’une d’elle, la mortiamide D.
 
Les tests réalisés sur une souche courante et une souche multirésistante du parasite ont bloqué la croissance des molécules en moins de 72 heures.
 
Les chercheurs sont partis du principe que « la dernière chose qu’on trouve dans grand Nord du Canada, c’est Plasmodium falciparum, qu’on rencontre plutôt dans les pays chauds d’Asie du Sud-Est ou en Afrique ».
 
« On s’est alors dit que sûrement Plasmodium falciparum n’a jamais rencontré notre petit champignon et ses produits naturels », éclaire le chercheur.

Normand Voyer explique que « la grande découverte, c’est d’avoir été capable de démontrer que même les souches multirésistantes à l’artémisinine et à d’autres médicaments utilisés contre la malaria ne le sont pas contre la mortiamide D ».

Mécanisme d’action

 
Le plus grand défi des chercheurs reste de comprendre et de démontrer « ce que la mortiamide D touche dans le parasite pour le tuer », estime Normand Voyer.
 
Sans ce mécanisme, poursuit-il, « il va lui être très difficile de devenir un médicament » et il faudra produire beaucoup de molécules.
 
« Cela prend aussi beaucoup de Mortimoide D et il faut faire beaucoup de synthèse, c’est la stratégie des petits pas », ajoute-t-il
 
Par ailleurs, améliorer le potentiel thérapeutique de la molécule implique de travailler « à la rendre plus efficace pour qu’elle soit le moins toxique possible et facilement assimilable », poursuit le chercheur.
 

Enjeu

 
Le directeur adjoint du centre JD McLean pour les maladies tropicales de l’Université McGill à Montréal, Cédric Yansouni, explique pour sa part que « l’un des plus grands dangers du contrôle de la malaria est l’émergence de la résistance aux antipaludiques. »
 
Cette résistance, poursuit-il, « naît en Asie du Sud-Est et par la suite se généralise dans le monde », précise-t-il, avant de faire remarquer que « nous sommes à l’aube d’une nouvelle résistance à notre meilleur outil, l’artémisinine; nous avons donc vraiment besoin d’étoffer notre boîte à outils. ».
 
Le chercheur Voyer renchérit que « d’ici à 25 ans, la malaria va être de plus en plus résistante à tous les agents thérapeutiques qu’on utilise en ce moment, donc c’est une course contre la montre ».

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 219 millions de personnes ont souffert du paludisme en 2017.
 
L’Afrique est le continent le plus touché, avec 9 personnes infectées sur 10 et le nombre de décès se situe dans la même proportion. La mise en œuvre de nouveaux médicaments déclenche forcément de nouveaux espoirs.
 
Cette découverte est a priori prometteuse pour la lutte contre la maladie à l’échelle mondiale, notamment dans les pays où la malaria constitue un problème de santé publique, même si une certaine prudence prévaut chez les chercheurs.
 
Entre la découverte d’une molécule prometteuse et la mise sur le marché d’un médicament, « il s’écoule d’habitude plusieurs décennies », tempère Cédric Yansouni.

« Il faut caractériser les molécules, leurs effets sur les parasites, ensuite mener des études d’innocuité et d'efficacité ».

« Est-ce que ça va devenir un médicament ? », s’interroge Normand Voyer, qui reconnaît qu’il y a quand même « un espoir, puisque c’est une nouvelle molécule avec un mécanisme d’action probablement nouveau ». 
 
Autre source d’espoir dans la communauté scientifique : le chercheur Thomas Druetz de l’école de santé publique de l’Université de Montréal, qui s’intéresse à l’efficacité des traitements contre la malaria en Afrique.
 
Il a récemment travaillé sur l’évaluation de « l’efficacité réelle » de la chimioprophylaxie saisonnière du paludisme chez les enfants de 5 ans et moins au Mali.

Thomas Druetz, qui suit activement les évolutions liées à la maladie sur le continent africain, estime que « développer de nouvelles molécules est une nécessité pour continuer à progresser vers l'éradication (planétaire) du paludisme ». 
 

Références