12/05/15

Q&R : L’état des lieux de la sécurité alimentaire en Afrique

General Director IFRI
Shenggen Fan, Directeur général de l’Institut international de Recherche sur les Politiques alimentaires (IFPRI) Crédit image: IFPRI

Lecture rapide

  • Les Africains vivant avec moins d’un dollar par jour sont passés de 44,4 à 41%
  • L’Afrique n’est pas parvenue à réduire la faim de moitié en 2015 comme projeté
  • L’épidémie d’Ebola et les guerres ont accentué l’insécurité alimentaire

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En début mars 2015, l’Institut international de Recherche sur les Politiques alimentaires (IFPRI) a produit son rapport 2014 – 2015 sur les politiques alimentaires dans le monde.

Ce rapport constate que le Brésil, la Chine, l’Inde, l’Indonésie et le Mexique, considérés comme des pays émergents, comptent la moitié de la population souffrant de la faim dans le monde, soit 365 millions de personnes.

D’où l’appel de l’IFPRI aux gouvernements des économies à revenu intermédiaire pour qu’ils revoient leurs systèmes alimentaires de manière à recentrer leurs efforts sur la nutrition et la santé, ainsi que sur la réduction des inégalités entre hommes et femmes dans l’agriculture ; sans oublier d’améliorer les infrastructures rurales en vue d’assurer la sécurité alimentaire pour tous.

A l’échelle de l’Afrique, ce rapport fait observer aussi que la proportion des personnes vivant avec moins d’un dollar par jour est passée de 44,4% entre 1995 – 2003 à 41% dans la période 2003 – 2012.

Dans le même temps, la part des personnes souffrant de malnutrition sur le continent a aussi considérablement chuté, passant de 24,6% à 20,6% dans les deux périodes.

Chez les enfants, cette prévalence est même passée de 23,1% à 20,9%.

Pour autant, note le rapport, le rythme de réduction de la pauvreté et de la malnutrition sur le continent reste trop lent pour empêcher l’augmentation du nombre de personnes pauvres et souffrant de la faim.

Si bien que dans l’ensemble, l’Afrique n’aura pas pu atteindre son objectif de réduire de moitié la pauvreté et la faim sur le continent entre 1990 et 2015.

SciDev.Net est allé à la rencontre de Shenggen Fan, le directeur général de l’IFPRI, qui, dans une analyse de quelques points saillants de cette étude, se montre optimiste pour ce qui est de l’avenir de la sécurité alimentaire dans le monde et sur le continent africain en particulier.

 

L'IFPRI vient de publier son rapport 2014-2015 sur la sécurité alimentaire dans le monde. Quel est, à votre avis, la principale leçon à retenir de ce document ?

Pour ceux d'entre nous qui œuvrent pour trouver des solutions durables à la faim et à la pauvreté, 2014 a été une année de progrès, de vulnérabilité, et d'espoir.

Cette année a été essentielle dans l'élaboration du futur agenda de développement aux niveaux mondial et national.

Pourtant, des événements nous ont également rappelé notre grande et persistante vulnérabilité aux chocs, à la fois d’origine naturelle et humaine, et à d'autres risques, dont l’épidémie de fièvre Ebola, les sécheresses et les inondations, les conflits et la bombe à retardement que constituent le surpoids et l'obésité.

Le dialogue global sur la façon de répondre à ces défis s’est poursuivi sur plusieurs fronts en 2014, et d’importants engagements mondiaux et nationaux ont été pris en ce qui concerne la nutrition, le commerce, et le climat.

En une année d'intenses activités relatives à la nutrition, un autre signe d'espoir a été la reconnaissance accrue de la gravité non seulement de la malnutrition en micronutriments (ou "faim cachée"), mais également du surpoids et de l'obésité, ainsi qu'une plus grande compréhension du rôle de l'eau, de l'assainissement et de l'hygiène en matière de nutrition.

“Non seulement la faim peut être éradiquée en Afrique d'ici 2025, mais la sous-nutrition peut aussi être éliminée d’ici cette date.
C’est un énorme défi, car 20 pour cent des Africains sont sous-alimentés et seulement 21 pays en Afrique sont en bonne voie pour atteindre au moins un des six objectifs de l'Assemblée mondiale de la santé en matière de nutrition.”

Shenggen Fan, Institut international de Recherche sur les Politiques alimentaires (IFPRI)

Le rapport met en lumière les questions de sécurité alimentaire et de nutrition dans les pays à revenu intermédiaire (PRI), des questions qui ont besoin d’une nouvelle approche étant donné que la majorité des affamés et des malnutris de la planète vivent dans ces pays.

Dans la partie de ce rapport consacrée à l'Afrique, l'IFPRI déclare que lors du Sommet de l'UA qui s’est tenu à Malabo l'an dernier, les dirigeants africains se sont engagés à éradiquer la faim d'ici à 2025. Au vu des indicateurs actuels, pensez-vous que cet objectif est réaliste?

Non seulement la faim peut être éradiquée en Afrique d'ici 2025, mais la sous-nutrition peut aussi être éliminée d’ici cette date.

C’est un énorme défi, car 20 pour cent des Africains sont sous-alimentés et seulement 21 pays en Afrique sont en bonne voie pour atteindre au moins un des six objectifs de l'Assemblée mondiale de la santé en matière de nutrition.

Toutefois, certaines indications signalent que les progrès se sont accélérés au cours de ces dernières années.

En outre, les pays africains peuvent apprendre des succès obtenus par d’autres pays: la Chine, le Brésil, le Vietnam et la Thaïlande ont considérablement réduit la faim et la sous-nutrition en un temps relativement court.

Leur succès montre qu’une bonne combinaison de stratégies reposant sur les petites exploitations agricoles, de stratégies de protection sociale, et d’interventions nutritionnelles intégrées peut grandement accélérer la réduction de la faim et de la dénutrition.

L’utilisation de la recherche fondée sur des preuves pour concevoir, piloter, et intensifier les stratégies spécifiques au contexte sera déterminante.

On se serait attendu à trouver un plus grand nombre d'Etats africains dans l'Initiative pour améliorer la nutrition. Pourquoi ne compte-t-elle que 36 États africains membres?

Bien qu'il soit dans l’intérêt de tous les pays de s’engager à assurer une meilleure nutrition pour tous, ce ne sont pas tous les pays africains qui ont décidé de s'aligner sur ces principes en ce moment.

Les 36 pays africains qui ont rejoint le Mouvement Améliorer la Nutrition (SUN) ont rempli avec succès les exigences relatives à l'adhésion à ce Mouvement.

Dans quelle mesure l'accroissement du commerce intra-africain pourrait-il améliorer la sécurité alimentaire sur le continent ?

De manière générale, le commerce ouvert, équitable et transparent est un outil essentiel pour l'amélioration de la sécurité alimentaire et de la nutrition.

Les politiques commerciales néfastes, dont les interdictions d'exportations, réduisent l'accès aux produits alimentaires en particulier pour les pauvres et les affamés et entravent l'efficacité des marchés agricoles.

Cela est vrai aussi bien pour les pays africains que non-africains.

Les exportations intra-africaines de produits alimentaires et agricoles augmentent lentement, avec près d'un quart des exportations de ces produits ayant lieu dans la région.

Les pays en développement en Afrique ont augmenté leur volume d'importations de produits alimentaires et agricoles, mais la majeure partie de ces importations est venue de l'extérieur du continent, conduisant à une augmentation du déficit commercial agricole.

La mise en place de bonnes politiques commerciales sera cruciale pour l'expansion du commerce régional, qui pourrait jouer un rôle important dans la réduction de la volatilité de l'approvisionnement alimentaire national.

De quelle manière l'épidémie de fièvre Ebola et l'insurrection de Boko Haram en Afrique de l'Ouest ont-elles affecté la sécurité alimentaire?

L'épidémie d'Ebola a déclenché une crise alimentaire en Sierra Leone, en  Guinée et au Libéria à travers une série de facteurs étroitement liés, dont les décès d'agriculteurs, les pénuries de main-d'œuvre, la hausse des coûts de transport, et la hausse des prix des denrées alimentaires.

Dans ces pays, où la sous-alimentation a longtemps été un problème, l'épidémie peut avoir fait doubler le nombre de personnes se trouvant en situation d’insécurité alimentaire, selon le Programme alimentaire mondial.

Les conflits sont souvent liés à des chocs, dont les catastrophes naturelles, les crises des prix des produits alimentaires, et les épidémies telles que la fièvre Ebola.

Les trois pays les plus touchés par la fièvre Ebola ont tous connu la guerre civile au cours de ces dernières années.

Le conflit a également aggravé l'insécurité alimentaire et nutritionnelle au Nigeria où la violence orchestrée par la secte Boko Haram s’est intensifiée.

Des centaines de milliers de personnes ont été déplacées, ce qui a conduit à la réduction des denrées alimentaires provenant des zones de production alimentaire et à l'augmentation de la demande alimentaire dans les zones relativement sûres (urbaines); cela a, à son tour, conduit à de fortes hausses des prix des denrées alimentaires sur les marchés locaux.

Traditionnellement, les prix des produits alimentaires et l'intensité du conflit civil sont liés: le nombre de mois consécutifs au cours desquels les prix des denrées alimentaires ont été anormalement élevés de 2000 à 2013 est en forte corrélation à la fois avec le nombre de situations de conflit civil violent et le nombre de décès dus à ces événements.

Quelles mesures peut-on prendre pour s’assurer qu'à l'avenir de telles crises n’aient pas un impact sérieux sur la sécurité alimentaire?

Bien que la nature et les conséquences de chaque crise soient uniques, un système alimentaire solide peut aider les populations non seulement à survivre à des chocs subis par le système alimentaire, mais également à prospérer par la suite.

Un système alimentaire solide à l'échelle mondiale est celui dans lequel tout le monde dispose d’un accès constant et stable à des aliments nutritifs.

Un tel système survient quand il y a des mécanismes opérationnels et efficaces avec un commerce équitable, ouvert et transparent dans lequel les produits alimentaires peuvent arriver à l'endroit où on en a besoin.

Le système alimentaire doit jouir d’un approvisionnement suffisant en aliments nutritifs, y compris les importations et les stocks.

Pour distribuer efficacement ces stocks en temps de crises, la mise en place de réserves stratégiques de céréales bien gérées aux niveaux régionaux est fortement recommandée.

En outre, des filets de sécurité sociaux sont nécessaires pour protéger ceux dont l'accès aux aliments est gravement affecté par les chocs.

Ces filets de sécurité, qui pourraient être sous la forme d'espèces ou de transferts en nature (la spécificité du contexte est importante ici), devraient être accompagnés d'interventions nutritionnelles et sanitaires.

Pourquoi la superficie moyenne en hectares d’une exploitation agricole est-elle si faible en Afrique par rapport aux autres continents ?

La superficie moyenne d’une exploitation agricole en Afrique, qui est d’environ un à deux hectares, est faible mais pas très différente de la majorité des exploitations agricoles dans le monde.

Les exploitations agricoles en Asie sont en moyenne de la même taille qu’en Afrique, et dans le monde, plus de 80 pour cent (475 millions) d’exploitations agricoles fonctionnent sur moins de deux hectares de terre.

Les petites exploitations ont tendance à demeurer là où la croissance non agricole est faible et la population rurale croissante, comme dans les économies basées sur l'agriculture.

La taille des exploitations peut augmenter en Afrique à mesure que les économies des pays se développent et que les secteurs non agricoles continuent de se développer.

Quel est le rapport entre la taille de ces exploitations et le problème de sécurité alimentaire?

Les petites exploitations jouent un rôle crucial en assurant la sécurité alimentaire et l'emploi pour la majorité de la population dans le monde en développement.

Cela est particulièrement vrai en Asie et en Afrique sub-saharienne où les petites exploitations, dont la plupart sont familiales, fournissent environ 80 pour cent de l'approvisionnement alimentaire de la région.

Ainsi, la sécurité alimentaire et nutritionnelle de nombreux Africains dépend de petites exploitations agricoles, soit à travers la consommation d'aliments provenant de leur propre production soit à travers des revenus tirés d’activités agricoles.

Les petites exploitations peuvent être plus productives que les grandes en raison d'une utilisation plus intensive d’intrants, des coûts de supervision du travail plus faibles, et de meilleures connaissances locales.

Cependant, la sagesse conventionnelle selon laquelle "ce qui est petit est toujours joli" en raison des gains d'efficacité ne peut pas s’appliquer universellement, étant donné que les petites exploitations ont tendance à présenter une productivité du travail inférieure à celle des grandes exploitations.

Le contexte est très important pour déterminer la taille optimale de l'exploitation en vue de mieux assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle.

Les petits exploitants ayant un potentiel de bénéfices devraient être encouragés à passer à des systèmes agricoles commerciaux et rentables, tandis que les petits exploitants qui ne font pas de bénéfices devraient être encouragés à abandonner pour chercher des opportunités d'emplois non-agricoles.

Dans de nombreux pays africains, l'accaparement des terres par des sociétés agro-industrielles ou des particuliers devient de plus en plus préoccupant. Cette situation pourrait-elle affecter la sécurité alimentaire dans le long terme?

Les acquisitions de terres agricoles à grande échelle dans les pays en développement, en particulier en Afrique, continuent d'attirer beaucoup d'attention dans les discours politiques.

Ces transactions foncières ont le potentiel pour stimuler les flux d'investissements agricoles, mais elles ont des répercussions importantes sur la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance des populations pauvres ainsi que sur la disponibilité et l'utilisation des ressources dans les pays bénéficiaires.

Les transactions relatives à des terres agricoles doivent être analysées sous un angle holistique étant donné qu’elles interviennent dans des environnements complexes, qui sont déjà confrontés à de multiples défis, dont l’absence de marchés fonciers formels, les inégalités en matière de propriété foncière et de droits de propriété, la faiblesse des institutions, la faim et la pauvreté persistantes, et les troubles politiques.

En plus des efforts actuels visant à améliorer la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance des pauvres, des actions concrètes sont nécessaires pour veiller à ce que les transactions portant sur des terres agricoles débouchent sur des résultats "gagnant-gagnant", en particulier pour les petits exploitants.

Le renforcement des droits fonciers des petits exploitants et la promotion de marchés fonciers efficaces sont d’une importance capitale.

D’autres actions visant à promouvoir des résultats gagnant-gagnant comprennent la création de systèmes d'information pour les transactions relatives à des terres agricoles aux échelles mondiale et nationale, la promotion de la recherche fondée sur des preuves sur l'impact des transactions relatives à des terres agricoles, et la mise en place d'une architecture globale pour régir les acquisitions de terres agricoles.

Comment peut-on expliquer le fait que certains pays émergents tels que le Brésil et la Chine soient confrontés à la faim tel que mentionné dans votre rapport?

Les pays à revenu intermédiaire (PRI) tels que le Brésil et la Chine ont fait des progrès remarquables en matière de lutte contre la faim et la sous-nutrition.

Cependant, ils abritent encore des populations vulnérables qui ont tendance soit à ne pas tirer profit de la croissance économique rapide qui caractérise ces pays, soit à ne pas y contribuer.

Les inégalités croissantes en matière d’accès à l'éducation, de santé et de nutrition, l'urbanisation et l’évolution des préférences des consommateurs, et l’absence d'accent sur la nutrition ainsi qu’un mauvais ciblage dans les systèmes de sécurité sociale sont des facteurs clés qui expliquent pourquoi la faim et la malnutrition, y compris le surpoids et l'obésité persistent dans ces pays.

Pour éliminer la faim et la malnutrition dans les PRI et fournir des modèles dont d’autres pays vont s’inspirer pour réussir, les PRI devraient soutenir des stratégies visant à remodeler le système alimentaire, en particulier pour la nutrition et la santé.

Ils devraient également mettre l’accent sur la réduction des inégalités, en particulier en matière de genre, améliorer les infrastructures rurales, développer des systèmes de protection sociale efficaces, et faciliter l'apprentissage sud-sud.

Tout un chapitre du rapport de l'IFPRI est consacré à l'aquaculture. De quelle manière ce secteur contribue-t-il plus que d'autres à l'amélioration de la sécurité alimentaire dans le monde?

Partout dans le monde, la demande en poisson n’a cessé d’augmenter, et compte tenu de la croissance démographique, de l'urbanisation croissante et de l'évolution des préférences des consommateurs, cette tendance devrait se poursuivre.

En outre, une plus grande quantité de poisson destinée à la consommation humaine provient actuellement plus de la pisciculture que de la pêche.

Bien que la part de poisson consommée par les producteurs soit souvent sous-estimée dans les statistiques mondiales, il a été remarqué qu’au sein des populations fortement engagées dans les activités de pêche, le poisson provenant de la pêche artisanale représente une composante importante de l'apport en protéines animales et en nutriments essentiels ; non seulement pour les petits pisciculteurs, mais également pour la société dans son ensemble.

Compte tenu de l'importance des protéines d'origine animale pour l’apport de nutriments pour la santé humaine ainsi que les tendances mondiales émergentes, il est clair que le poisson représente une composante essentielle d'un avenir où règnera la sécurité alimentaire.

Les Questions-Réponses sont révisées par souci de clarté et de concision.