09/06/17

Plaidoyer pour la vulgarisation scientifique au Cameroun

Université de Douala
Crédit image: Université de Douala

Lecture rapide

  • Les universités camerounaises n’ont généralement pas de sites internet actualisés
  • Aussi n’y trouve-t-on pas les références des travaux de recherche achevés ou en cours
  • Pour valoriser leurs travaux, les chercheurs peuvent néanmoins animer des blogs

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Je sillonne régulièrement les campus des universités d’Etat du Cameroun. Et à chaque fois, je découvre qu’il y a une activité scientifique intense menée dans ces lieux de renouvellement du savoir. Pour dire simplement les choses, il y a un bon volume de travaux de recherches (beaucoup plus qu’on ne le pense) qui est digne d’être partagé avec le grand public.
 
Mais pourquoi a-t-on simplement accès à une faible portion de cette riche production ? Parce que la vulgarisation scientifique ne se situe pas encore au cœur des préoccupations des politiques institutionnelles de nos universités.
 
La vulgarisation scientifique est le processus par lequel des agents (des journalistes scientifiques peut-être, mais pas seulement) mettent à la disposition du grand public des curieux (pas seulement des membres assermentés de la communauté scientifique), des résultats des recherches menées par les hommes et les femmes de science.
 

“On est ici dans une équation simple : quand on ne sait pas ce que vous faites, c’est comme si vous ne faisiez rien. Et pourtant, vous êtes en activité”

Hindrich ASSONGO

 
Le camerounais Gervais Mbarga s’est très vite intéressé à cette problématique. Dès 1993, il soutient à l’Université Laval (Canada), une thèse de doctorat intitulée "De la vulgarisation scientifique". Puis, en 2009, dans la revue des Presses universitaires de Moncton (Canada), il publie un article intitulé : "A quoi sert le journalisme scientifique ?"[1] Un titre sous forme de question qui montre bien que le problème n’est pas aussi simple qu’il paraît.
 
Simplifions les choses. La production scientifique constitue aujourd’hui l’un des principaux arguments du marketing des universités. Or, pour qu’elle serve ce dessein, il faut qu’on l’ait vulgarisée. Il faut qu’il y ait eu une communication sur son existence au préalable. On est ici dans une équation simple : quand on ne sait pas ce que vous faites, c’est comme si vous ne faisiez rien. Et pourtant, vous êtes en activité.
 
Cela suppose une chose : chaque université doit créer tout un service dédié à la vulgarisation scientifique. Dans cette structure, on devrait retrouver des gens à la compétence élevée, qui ont un pied dans le journalisme (ou la communication) et un autre dans la science. Il faut comprendre le journalisme (et/ou la communication) pour écrire pour un public large. Il faut avoir un minimum de culture universitaire pour comprendre ce qu’écrivent les universitaires. Internet est le lieu par excellence où cette vulgarisation doit se faire. Cela implique une numérisation de tout, y compris des presses universitaires.
 
La situation me semble préoccupante dans les universités camerounaises. J’ai visité ce 08 juin 2017 les sites internet des universités d’Etat du Cameroun (pour celles qui en ont). Sur aucune de ces plateformes, vous ne pouvez avoir le programme des soutenances de thèses Ph.D. C’est pourtant le tarif minimum. C’est la vitrine de l’université. L’université de Dschang s’y est essayée un temps, avant de baisser la garde.
 

Université de Yaoundé II

 
Mais elle fait office de borgne au pays des aveugles. Car, on retrouve sur son site internet des articles sur les prix glanés par ses chercheurs sur le plan international, même si aucune des revues scientifiques éditées au sein de l’institution n’est en ligne. On peut également y consulter les décisions du recteur qui admettent les étudiants dans les cycles de recherche, avec une indication des titres de leurs travaux et de leurs directeurs.
 
Le pire élève de la classe en matière de vulgarisation est l’université de Yaoundé II. Aujourd’hui, son site web n'est même plus fonctionnel. Certains de ses établissements, notamment l’ESSTIC[2] et l’IRIC[3], ont choisi de concevoir des plateformes autonomes. Mais à bien y regarder, la dernière mise à jour faite sur ces sites date de près de deux ans. Ce n’est point compréhensible à l’heure où, même le chef de l’Etat, ne termine plus un discours, sans prononcer le mot "numérique".
 
Si l’on peut comprendre que les autres universités manquent de ressources humaines pour ce travail ardu (encore qu’on peut former les employés moins occupés et les affecter à cette tâche), l’on a du mal à trouver une excuse à l’université de Yaoundé II. Car, un de ses établissements, l’ESSTIC, forme aux métiers et aux sciences et techniques de l’information et de la communication, jusqu’au doctorat. On est donc en présence d’un cordonnier très mal chaussé.
 
On paie souvent cash cette absence de vulgarisation scientifique. Il est arrivé il y a deux années qu’un doctorant en droit de l’université de Yaoundé II arrête ses travaux à mi-chemin, après plus de 5 ans de recherches, simplement parce qu’il s’est rendu compte de ce qu’un autre étudiant de l’université de Douala venait de déposer une thèse sur le même titre : mot pour mot. Imaginez le désarroi de ce chercheur.
 
Pourtant, si chacune de ces universités avait mis en ligne le répertoire des thèses en cours (sujets, directeurs, années d’inscription, objectifs de recherche), l’un des deux n’aurait pas opté pour ce sujet. Car, il se serait très vite rendu compte de ce le sujet était déjà pris et en aurait choisi un autre…
 

Solutions

 
Quelle solution ? Evidemment, le plus simple, comme je l’ai dit plus haut, serait que chaque université crée en son sein un service de vulgarisation scientifique. On devrait y retrouver, des journalistes scientifiques (ou communicateurs sur la science), des infographes, des webmasters, des "community managers", pour ne citer que ceux-là. Il faut à ces derniers un minimum de niveau universitaire : un Master au moins.
 
Pour comprendre ce qu’est une thèse, un article, une revue, un ouvrage de science, et en parler de façon substantielle, il faut déjà s’être frotté à une échelle plus basse, à l’exercice de recherche. Si non, on va faire comme tous les journalistes qui s’intéressent aux travaux universitaires, à savoir poser la question rituelle aux auteurs : pouvez-vous résumer votre travail ? C’est trop classique…
 
A défaut de mettre en place des services de vulgarisation scientifique, les universités doivent créer dans leurs budgets, une ligne de marché public consacrée à cet objet. En d’autres termes, elles doivent externaliser ce service auprès des entreprises compétentes. A ce propos, il convient de faire rapidement une précision : ce n’est pas parce qu’une institution a un site web qu’elle communique. On peut fabriquer un site web en deux jours.
 
Mais ce qui fait sa vitalité, c’est la production des contenus pour le mettre à jour. Un site web qui n’est pas à jour meurt. Cette production des contenus est l’œuvre, non pas du webmaster comme on a tendance à le croire, mais des communicateurs ou des journalistes. Ce sont eux qui sont formés à la production des contenus médiatiques destinés au grand public.
  

“En attendant que les choses bougent dans ce sens, chaque enseignant-chercheur doit pouvoir créer son blog pour rendre compte de ses activités scientifiques : articles, thèses, direction des thèses et mémoires, participation aux colloques”

 
En attendant que les choses bougent dans ce sens, chaque enseignant-chercheur doit pouvoir créer son blog pour rendre compte de ses activités scientifiques : articles, thèses, direction des thèses et mémoires, participation aux colloques, etc.
 
En 2015, nous avons ainsi créé le blog du professeur Yvette Rachel Kalieu Elongo[4], agrégée de droit privé et sciences criminelles, et vice-doyenne à l’université de Dschang. C’était un exercice dont le but était de nous convaincre nous-mêmes de ce qu’un tel mécanisme pouvait produire des résultats. Sur cette plateforme, dans la rubrique "recherches", vous pouvez par exemple avoir le résumé des thèses Ph.D soutenues ou en cours sous son encadrement. C’est un début de solution pour éviter les doublons.
 
Il me plait de souligner qu’en Afrique francophone, l’université Cheihk Anta Diop de Dakar a une longueur d’avance. Sur son site internet, vous avez le programme des soutenances de thèses Ph.D, avec une indication des directeurs[5].  C’est un exemple à suivre.
 
Quand vous publiez hors internet, il faut prendre l’avion et venir jusqu’à vous pour savoir ce que vous faites. Quand vous mettez en ligne (même si ce n’est que le titre), vous simplifiez la tâche à ceux qui peuvent avoir besoin des produits de votre cerveau. Mais cela vous permet aussi d’exister.
 
En fin de compte, la vulgarisation scientifique peut mettre fin à l’idée populaire au Cameroun selon laquelle "l’université camerounaise ne sert à rien". Car, oui, elle produit du savoir, et donc, elle sert. Il faut simplement accroitre la visibilité de ce savoir.

 
Hindrich ASSONGO est un journaliste camerounais. Inscrit en Master II en Etudes africaines à l’Université de Dschang (Cameroun), il envisage de s’investir dans la vulgarisation scientifique à travers le numérique. Son e-mail est : [email protected]

Références

[1] https://www.erudit.org/en/journals/rum/2009-v40-n2-rum1509735/1001393ar/abstract/
[2] Ecole supérieure des sciences et l’information et de la communication
[3] Institut des relations internationales du Cameroun