13/01/11

Le secteur informel africain peut stimuler l’innovation

Un entrepreneur dirige un magasin d'électronique, un cybercafé et un centre de formation en informatique à Nairobi, Kenya Crédit image: Steve Daniels

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Pour Steve Daniels, la science et la technologie doivent s’adapter au système informel africain de production et d’échanges afin d’avoir un impact.

Depuis un demi-siècle déjà, la science et la technologie (S&T) promettent d’apporter la prospérité à l’Afrique subsaharienne, mais peu de progrès ont été réalisés. Cela s’explique, en partie, par la grande informalité du système africain de production et d’échanges, à laquelle l’industrialisation dans sa version occidentale peine à s’adapter.

Le mot ‘informel’ peut évoquer des images d’activités illicites du marché noir ou des pratiques rituelles nuisibles — le côté plus sombre, plus rare de l’informalité.

Mais le secteur informel — des entreprises juridiques en grande partie non enregistrées et non protégées — comprend un éventail beaucoup plus large d’activités, allant de l’assemblage de matériaux mis au rebut dans des ateliers de fortune à l’octroi de crédit aux clients fidèles.

La plupart des produits sont de simples biens comme les meubles et les ustensiles de cuisine, mais un groupe d’artisans de niveau avancé a développé des machines agricoles et d’outillage complexes.

Au Kenya, la plus récente enquête sur les microentreprises, publiée par le Bureau national de la statistique en 1999, suggère que le secteur informel fournit plus de trois-quarts des emplois non agricoles. Pour que les interventions technologiques aient un impact, elles doivent s’adapter à ce mode informel de production et d’échanges.  

Ingéniosité, relations et raison

L’esprit informel, connu au Kenya sous le nom de jua kali, a favorisé la création de groupes d’activités économiques partout dans les villes africaines et les places de marchés ruraux. Les producteurs et les commerçants installent leurs boutiques les uns à côté des autres, attirant les concurrents, la main d’œuvre, les clients et les services d’appui tels que les fournisseurs de crédit.

Ce cercle vertueux a donné naissance à quelques-uns des plus grandes agglomérations de fabrication dans le monde – par exemple Gikomba à Nairobi, au Kenya, ou Suame Magazine à Kumasi, au Ghana. Ces centres prospèrent grâce à trois facteurs : l’ingéniosité, les relations et la raison (ou les connaissances) des entrepreneurs.

Des ingénieurs ingénieux fabriquent des trésors à partir de déchets – élaborant par exemple des lampes à huile en boîtes de potage, des tondeuses d’herbe faites à partir des rebuts de ferraille — et à la fin de leur durée de vie utile, ces mêmes articles sont réinjectés dans le circuit de production par les ramasseurs de rebuts, bouclant ainsi le cycle.

En l’absence d’institutions formelles, les relations se substituent aux contrats. Les entrepreneurs réussissent pourtant à mettre en commun machines, main d’œuvre, et épargne, sans l’aide d’avocats, éliminant ainsi les intermédiaires.

Une bonne compréhension du contexte local est profondément ancrée dans les entreprises informelles. Les ingénieurs adaptent en permanence les méthodes de production aux matériaux disponibles et la qualité des produits aux portefeuilles des clients – et ce faisant, atteignent précisément le niveau de flexibilité nécessaire pour réussir dans ce contexte, quoiqu’en pensent les régulateurs.

Malgré la promesse des groupes informels, peu d’innovation a vu le jour en termes de nouveaux produits pour satisfaire la demande locale – pour des outils qui stimulent la production agricole, par exemple.

Exercer une influence sur l’informel

Si la science et l’économie occidentales peuvent susciter des progrès technologiques dans le monde en développement, elles fonctionnent mieux dans un système où les processus sont formalisés. Qu’arrive-t-il, par exemple, quand des gouvernements ou des institutions multilatérales mettent en place des usines et des parcs d’entreprises ?

Pas grand-chose. Une usine pourrait employer une douzaine de travailleurs qualifiés, mais l’investissement finit rarement par profiter à l’économie ‘locale’. Et les entreprises ne peuvent qu’importer les matières premières et exporter les marchandises qui en résultent, créant ainsi un circuit fermé sans liens avec l’industrie locale.

Pourtant, il est possible d’exercer une influence sur l’économie informelle, plutôt que de la combattre. Le principal obstacle à l’innovation et la croissance pour les entrepreneurs est le facteur risque — ils doivent s’assurer que chaque investissement produise un rendement.

Nous pouvons réduire ce risque en améliorant l’accès aux ressources comme le crédit, les outils et les compétences. Et nous pouvons favoriser la volonté de prise de risques à travers la promotion d’une culture de l’innovation en utilisant l’information commerciale, en œuvrant avec les clients pour co-créer des produits et en améliorant le processus de conception.

Mais la simple réduction des risques ne suffit pas : au Kenya, un projet de l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI) a fourni l’énergie et des équipements aux propriétaires d’entreprises jua kali en milieu rural et a constaté qu’ils ont utilisé ces nouveaux outils pour ne fabriquer que les mêmes produits et dans les mêmes quantités.

‘Maker Faire Africa’, un festival à l’intention des artisans, a déclenché un mouvement social autour de l’innovation informelle en récompensant ceux qui font preuve d’inventivité et de prise de risque. Ce mouvement a incubé de nouvelles technologies pour la consommation locale, comme une machine de fabrication de cordes et un infuseur à thé mis en marche à distance, par message SMS.

Rapprocher informel et formel

Bien qu’elle soit en soi pleine de ressources, l’économie informelle est inextricablement liée à l’économie formelle. Ainsi, les déchets d’usine agissent comme la source des matériaux, et les commandes les plus fiables sont exécutées en sous-traitance auprès des entreprises formelles.

Les systèmes formels peuvent avoir un impact plus grand. L’explosion de l’accès aux appareils mobiles et à l’informatique dans les nuages change quelque chose en Afrique – en permettant aux petites entreprises d’effectuer des paiements plus facilement et en toute sécurité en utilisant le M-PESA de Safaricom, par exemple, de contacter de grands groupes en utilisant des technologies telles que FrontlineSMS de Kiwanja.net, et d’entretenir des pages d’accueil virtuelles à l’aide du web vocalisé d’IBM.

Le potentiel d’utilisation de la technologie formelle pour permettre aux entrepreneurs de s’assumer d’une manière qui respecte l’entreprise gérée sur un mode décentralisée ou informelle, reste énorme.

Les institutions scientifiques aussi perçoivent la valeur de la recherche accomplie par l’économie informelle. Ainsi, des chercheurs de l’Université de Nairobi ont formulé des enquêtes et des recensements à l’usage de ce secteur. Et un certain nombre d’écoles d’ingénieurs pilotent des ateliers de co-création avec des jua kali locales.

Pourtant, on peut faire beaucoup plus pour élargir ces programmes et rapprocher le formel de l’informel. Si l’économie informelle en soi ne puisse pas apporter la prospérité à l’Afrique, les interventions techniques et scientifiques qui exercent une influence sur l’informalité seront plus susceptibles de réussir.

Steve Daniels est l’auteur de Système D : l’innovation dans l’économie informelle au Kenya (Making Do: Innovation in Kenya’s Informal Economy), une exploration des systèmes d’innovation locale en Afrique. Il est chercheur auprès du Social Computing Group d’IBM, centré sur les TIC pour le développement.

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