02/12/19

Q&R : L’intérêt de l’infection provoquée chez l’homme

Maxime Selidji Tdagbe Agnandji
Maxime Selidji Todagbe Agnandji, directeur au Cermel Crédit image: SDN/JC

Lecture rapide

  • L’infection provoquée consiste à tester les médicaments sur l’homme plutôt que sur des animaux
  • Elle présente l’avantage de faire découvrir et développer plus rapidement les médicaments et vaccins
  • Les Africains doivent au préalable comprendre l’importance qu’il y a de se prêter aux essais cliniques

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Du 9 au 14 novembre 2019, la ville de Lambaréné, à environ 250 kilomètres au sud-est de Libreville (Gabon), a abrité la deuxième édition du Congrès africain des essais cliniques (ACCT)[1] sous le thème : « l’essai clinique en Afrique subsaharienne : défi ou opportunité ? ».
 
Au cours de ces travaux, le Centre de recherches médicales de Lambaréné (Cermel) qui abritait les travaux a fait part de son projet de procéder prochainement à des essais cliniques du type « infection provoquée chez l’homme ».
 
Selon Maxime Selidji Todagbe Agnandji, l’un des trois directeurs de cette institution, ce type d’essais cliniques présente un double avantage. 

“Une institution comme le Cermel, en 15 ans, a fait des progrès extraordinaires du point de vue de son plateau technique et de ses ressources humaines et il n'y a aucune raison pour qu'elle n'ait pas la prétention de rehausser le niveau qualitatif de ses recherches”

Maxime Selidji T. Agnandji, directeur du Cermel

D’un côté, il permet de découvrir plus rapidement des candidats-vaccins ou des candidats-médicaments et de l’autre, il permet d’accélérer leur développement avant leur mise sur le marché.
 
A l’occasion du congrès de Lambaréné, ce dernier a accordé à SciDev.Net un entretien dans lequel il revient de long en large sur la consistance de l’infection provoquée chez l’homme et sur l’intérêt d’un congrès dédié aux essais cliniques en Afrique.
 

Lors de la deuxième édition du Congrès africain des essais cliniques, le Cermel a présenté un projet de réaliser des "infections provoquées chez l'homme" dans le cadre de ses recherches. De quoi s’agit-il ?

Il se trouve que la plupart des infections qui accablent le continent africain sont paradoxalement peu connues sur le plan scientifique. Et actuellement, une manière de les connaître est de les étudier chez des animaux qui sont semblables à l'homme, notamment les mammifères et de tenter d'appliquer chez l'homme les connaissances qu'on aura rassemblées chez ces mammifères. 
Seulement, il y a une très faible correspondance entre les modèles animaux et les modèles humains. Donc, développer l'infection contrôlée plutôt chez l'homme est une source de connaissances scientifiques qui permettent plus facilement de découvrir des candidats-médicaments et des candidats-vaccins.
Cela permet ensuite d'accélérer le développement de ces candidats-vaccins et de ces candidats-médicaments en donnant la possibilité de très rapidement connaître leur efficacité chez l'homme. Nous avons suffisamment d'infrastructures sur le plan technique, mais aussi les capacités humaines pour mener à bien ce genre de projet.
Avant de développer ce programme, le Cermel s'est rapproché des autorités nationales de régulation. Nous avons reçu une attention très favorable des autorités éthiques et réglementaires qui vont travailler sur la question et qui ont promis de nous accompagner dans la mise en place de ce programme.
 

Les Etats africains, et en particulier le Gabon, sont-ils prêts pour la réalisation de ce type d'essais ?

Je pense que nos Etats ne sont pas encore prêts. En fait, nous pouvons dire que nous ne sommes prêts nulle part. Mais, en réalité, comme le disait un homme de droit lors des discussions, les faits précèdent le droit partout dans le monde. Les citoyens, parce qu'ils ont acquis des connaissances, parce qu'ils ont des compétences, posent des faits et il revient ensuite aux autorités et aux parlementaires d'encadrer par le droit les faits que les citoyens posent. Une institution comme le Cermel, en 15 ans, a fait des progrès extraordinaires du point de vue de son plateau technique et de ses ressources humaines et il n'y a aucune raison pour qu'elle n'ait pas la prétention de rehausser le niveau qualitatif de ses recherches. Donc, c'est au législateur et aux gouvernants de réglementer les choses. Mais, le Cermel est totalement disposé à travailler avec les autorités pour que le cadre réglementaire soit mis en place.
 

Dans le cadre de ces infections provoquées, le Cermel évalue actuellement un candidat-vaccin antipaludique à partir de sporozoïtes. En quoi consiste-t-il concrètement ?

C'est en fait un vaccin qui a été découvert depuis longtemps et qui est en train de subir son développement clinique. Il y a donc une série d'essais cliniques qui se déroulent en Allemagne et qui se font justement suivant le modèle d'infection contrôlée chez l'homme. Vous savez bien qu'il n'y a pas de paludisme en Allemagne. Donc, les volontaires allemands qui reçoivent ce vaccin pour en évaluer l'efficacité en Allemagne sont infectés de façon contrôlée et on peut vérifier pour voir ceux qui font le paludisme et ceux qui ne le font pas. Dans les résultats qui ont été présentés pour la première fois lors de ce congrès des essais cliniques, on apprend que 10 participants sur 13 n’ont pas fait la maladie. Ce qui permet tout de suite de dire que ce vaccin les a protégés contre le paludisme. Les trois autres ont été moins protégés, puisqu'ils ont eu le paludisme de façon retardée. C'est une efficacité d'à peu près 80%. Mais, c'est sur des sujets naïfs et on ne peut pas transposer ces résultats dans notre environnement. Il faut faire des études dans notre environnement. Nous faisons déjà des études similaires dans la population-cible ici à Lambaréné chez des enfants de 1 à 12 ans qui ont reçu ce vaccin. Nous pensons pouvoir présenter les résultats à la prochaine édition du congrès.
 

Plus généralement, pourquoi le Cermel a-t-il décidé d’organiser un congrès dédié aux essais cliniques ?

Le Congrès africain des essais cliniques est une ambition C’est un projet qui consiste à rassembler la communauté des experts dans le domaine des essais cliniques qui travaillent sur les questions de santé en Afrique subsaharienne. Qu’ils soient de l’Afrique subsaharienne elle-même ou qu’ils soient des partenaires venus d’ailleurs. C’est l’ambition de rassembler cette communauté d’experts ; mais surtout de faire en sorte qu’elle interagisse avec les autres parties prenantes de la société, notamment les parties éthiques, règlementaires, mais aussi la société civile dans son ensemble. Une intention particulière de ce congrès est aussi d’intéresser la société africaine au concept d’essai clinique pour qu’elle en comprenne l’importance dans l’amélioration de la santé des populations.
 

Avez-vous l’impression que les Africains ne s’intéressent pas assez aux essais cliniques ou qu’ils n’en comprennent pas les enjeux ?

Oui, le diagnostic est extrêmement rude. Les Africains en général sont complètement détachés de la réalité de la production de leurs biens de santé. J’interpelle donc les citoyens africains pour qu’ils s’intéressent beaucoup plus à des questions essentielles, comme celle de produire leurs biens de santé. C’est un message que je vous prie de relayer, de la part de tous les chercheurs africains. Que le citoyen africain se dise que les biens de santé se produisent et ne s’achètent pas indéfiniment. Il y a de nombreuses étapes pour les produire et il y a des besoins et des moyens nécessaires pour le faire. Et c’est à nous sur le continent africain de penser à produire nos biens de santé. Si le citoyen commence à s’éprendre de telles questions, peut-être qu’il va un jour donner une contribution pour investir volontairement dans la recherche.
 

Et jusqu’où le Cermel compte-t-il aller dans l’organisation de ce Congrès ?

La vocation de l’ACCT n’est pas d’être identifié au Cermel. C’est un congrès africain qui ambitionne à terme d’être partagé ou récupéré par l’ensemble du continent. Donc, ce sera une fierté un jour si une édition de l’ACCT se tient à Yaoundé, Ouagadougou, Cotonou ou dans n’importe quelle capitale africaine ou dans n’importe quel centre de recherches médicales en Afrique subsaharienne.
 

Quel bilan faites-vous des deux premières éditions ?

Nous avons réalisé des choses extraordinaires. En général, les études et les recherches qui se déroulent en Afrique sont présentées pour la première fois dans des congrès occidentaux, notamment aux Etats-Unis et en Europe. Or, nous avons depuis l’année dernière des résultats qui sont présentés pour la toute première fois à Lambaréné lors de l’ACCT. Nous avons ainsi eu le privilège d’avoir cette année les premiers résultats obtenus en Allemagne concernant les essais de ce vaccin contre le paludisme. C’est un privilège et c’est quelque chose que nous devons pérenniser. Je lance donc un appel à tous les potentiels bailleurs de fonds pour soutenir l’ACCT.
 

Qu’est-ce qui explique la large place qui a été accordée cette année aux sciences sociales durant le congrès ?

Quand on parle d’essai clinique, ça donne à penser que c’est seulement le fait d’administrer un médicament ou un vaccin. Mais, l’essai clinique est bien plus complexe. Toute intervention sanitaire comporte une forte dimension sociologique, anthropologique, psychologique, culturelle, voire économique, avec des exigences comme l’information éclairée des participants, des communautés. Le fait qu’il y ait eu un atelier portant sur le rôle des sciences sociales dans les interventions en santé au cours du congrès est la preuve que l’aspect multidisciplinaire des essais cliniques est bien pris en compte par ce congrès.
 

Pourquoi spécialement les psychologues, les sociologues, les anthropologues etc. Alors que le travail d’information des populations peut être effectué par les médias ?

Le rôle des médias et celui des sciences sociales sont complémentaires. Il y a une dimension scientifique qui est d’ordre culturel, sociologique, psychologique, etc. Il y a un des experts en sciences sociales qui parlait de cosmogonie, des croyances, des principes, des normes qui nous gouvernent et qui doivent être compris et pris en compte dans le type d’information qu’on doit apporter à une communauté ou à un individu pour demander sa participation à un essai clinique. On a besoin d’experts en sciences sociales pour traiter ce genre de questions sous l’angle scientifique. Forcément, après, les médias ont un rôle important à jouer dans la vulgarisation de cette information lorsqu’elle est déjà traitée de façon scientifique par ces experts.
 

A quels types de difficultés êtes-vous confrontés dans vos activités ?

Il y a principalement la question de l’accès au matériel technique. Notre travail demande par exemple beaucoup de réactifs ; et ces réactifs doivent être importés. Donc, leur disponibilité dans les délais souhaités reste une de nos difficultés majeures. En outre, ce n’est pas toujours facile d’assurer la maintenance du plateau technique. Cela nous amène à solliciter souvent une expertise hors des frontières du continent. Mais, nous avons aussi le souci de pérennité parce que nous sommes financés presque exclusivement sur les projets de recherche. C’est vrai que l’Etat gabonais soutient de plus en plus le Cermel sous diverses formes, en prenant par exemple en charge notre consommation d’électricité. Mais, il serait aussi intéressant pour nous d’avoir une subvention pérenne pour soutenir un certain nombre de besoins de fonctionnement qui ne seraient plus dépendants des projets.

Références

[1] African Congres for Clinical Trials