18/03/19

Ébola : L’engagement communautaire, clé de la riposte

Oly Ilunga Article
Oly Ilunga, ministre de la santé de la République démocratique du Congo - Crédit image: SDN/Patrick Abéga

Lecture rapide

  • Les autorités congolaises ne recourent pas à la force pour imposer le respect des mesures sanitaires
  • L'un des écueils à la riposte reste l'insuffisance de l'engagement des leaders locaux dans la riposte
  • Des infrastructures de recherche seront mises en place pour préparer la riposte à de futures épidémies

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En République démocratique du Congo (RDC), la riposte à l'épidémie d'Ébola marque le pas depuis quelque temps, principalement dans l'est, en raison de l'insécurité qui prévaut dans certains foyers de l'épidémie, notamment Katwa et Butembo.

Selon le ministère congolais de la santé, depuis le début de l’épidémie, le cumul des cas se chiffrait au 16 mars à 951, dont 886 confirmés et 65 probables. Au total, 598 décès (533 confirmés et 65 probables) ont été enregistrés, tandis que 312 personnes ont été guéries.

Le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a déclaré la semaine dernière que la propagation du virus Ébola avait été maîtrisée dans 11 des 28 communautés touchées. Les zones de Butembo et de Katwa demeurent les foyers les plus importants de l’épidémie, Katwa représentant plus de la moitié des nouveaux cas enregistrés.
 
Parallèlement, les organisations internationales, notamment Médecins Sans Frontières (MSF), estiment que le principal écueil dans les opérations de riposte reste l'insécurité et appellent à une remise en question de la stratégie en cours.
 
MSF pointe notamment un doigt accusateur en direction des autorités congolaises, estimant que le recours à la police et aux forces armées pour contraindre la population à se conformer aux mesures sanitaires prises contre le virus Ébola entraîne une aliénation accrue de la communauté et nuit à la maîtrise de l'épidémie.
 
Pour sa part, le ministre congolais de la Santé, Oly Ilunga Kalenga, réfute ces accusations, dans une interview à SciDev.Net et assure que les autorités congolaises n'imposent pas les mesures sanitaires.
 
Tirant les leçons de cette dixième épidémie, le responsable congolais annonce également des mesures dans le cadre de la recherche sur Ébola.
 

Monsieur le ministre, à quand la fin de l'épidémie d'Ébola, en RDC ?

 
J'espère que ce sera pour bientôt, comme les résultats obtenus sur le terrain nous le laissent présager avec optimisme. Regardez les chiffres publiés régulièrement par les services du ministère de la santé et vous vous rendrez compte qu'au-delà des cris d'alarme lancés de ci, de là, un travail de fond s'effectue patiemment et avec détermination, avec la contribution de toutes les parties prenantes, aussi bien les équipes internationales de riposte, que les communautés à la base. Les poches de résistance – si je puis les appeler ainsi – qui posent problème sont ces localités où des facteurs extérieurs à l'épidémie à proprement parler jouent un rôle de ralentissement. Cela étant, au niveau gouvernemental, des mesures sont en train d'être prises pour remédier à toutes ces questions, afin de garantir la sécurité, à la fois des patients, et des membres des équipes de riposte.
 

Les organisations internationales opérant dans le cadre de la riposte font état d’un recours à la force contre les communautés, préjudiciable aux efforts de secours. Que fait justement le gouvernement congolais pour les rassurer ?

 
Je conteste le point de vue des organisations internationales. Ce qu'on peut dire, c'est qu'on n'impose pas le respect des mesures sanitaires. A aucun moment, nous ne recourons à la force pour imposer le respect des mesures sanitaires. L'épidémie survient dans un contexte inédit : elle touche des zones contrôlées par une centaine de groupes armés, une zone où il y a des opérations militaires.

La sécurisation de cette zone est une question primordiale. Toutefois, la sécurisation d’une zone en conflit ne relève ni du ressort, ni de la compétence du ministère de la santé. Sécuriser cette zone en conflit n'équivaut pas à une militarisation de la riposte.

“Je conteste le point de vue des organisations internationales […] A aucun moment, nous ne recourons à la force pour imposer le respect des mesures sanitaires.”

Oly Ilunga, ministre de la Santé – RDC

Les opérations de riposte à Beni n’ont été possibles que parce que les forces armées congolaises, la Monusco et la police avaient créé un périmètre de sécurité autour de Beni.
Pour mettre fin à l’épidémie d’Ébola, la sécurité des agents de santé et des patients doit être assurée. Il faut trouver un bon équilibre entre faciliter l’accès aux soins à la population, maintenir la neutralité de la riposte et protéger le personnel médical contre les attaques par les groupes armés.
 

Les efforts de secours sont également fortement handicapés par ce que les ONG ont appelé la méfiance des communautés vis-à-vis des agents internationaux. Que faire pour ramener la sérénité dans le cœur des populations ?

 
Il faut tout remettre dans le contexte. Vous savez que l'épidémie est contrôlée dans dix-huit des vingt zones qui ont été touchées. Ce résultat n'a été possible que parce que nous avons pu établir de très bonnes collaborations avec la population. L'ancrage dans la communauté reste pour nous l'élément le plus important dans la riposte. Cette stratégie a prouvé son efficacité au regard des vastes zones qui ont été touchées à travers tout le pays. L'élément particulier ici, c'est que les résurgences des violences communautaires dans la zone de Butembo sont certainement liées à des acteurs endogènes. Pour retrouver la confiance, il y a lieu de continuer à avoir cet engagement communautaire. Nous avons lancé un dialogue communautaire et il doit être permanent et c'est cela qui nous permettra, ensemble d'engager des actions avec les communautés, pour vaincre l'épidémie.
 

Certaines informations font état de cas de gens indélicats qui rançonnent la population sur la base d'un échange traitement anti-Ébola contre sexe. Confirmez-vous ces informations ?

 
Jusqu'à ce jour, on peut affirmer qu'aucun cas d'abus ou d'exploitation sexuelle n'a été rapporté. L'allégation avait paru dans la presse à la suite de la publication d'un article mensonger de la presse britannique. C'est vrai que les violences basées sur le genre sont des problèmes de société importants, mais le ministère de la santé tient à rappeler que les services liés à Ébola sont entièrement gratuits et nous avons également mis en place des mécanismes de dénonciation pour éviter ce genre de situation.
 

Quels sont, aujourd'hui, les principaux obstacles, du point de vue du gouvernement congolais, à la fin de l'épidémie ?

 
Pour nous, un des principaux obstacles, c'est le manque d'implication de certains leaders locaux. On a eu des attaques contre des équipes de riposte. On a eu des attaques contre des centres de traitement Ébola, mais on constate qu'il y a eu un silence de la part de la plupart des leaders locaux. La plupart d'entre eux refusent de se prononcer sur l'épidémie, par peur d'être impopulaires ou ont peur de s'engager positivement dans le sens de la riposte. Pour nous, c'est le premier obstacle. Le deuxième obstacle, c'est l'instrumentalisation des réticences communautaires par certains groupes inciviques au sein de la population. Il y a une certaine délinquance urbaine, qui a tendance à instrumentaliser les réticences et les craintes de la population. Le troisième obstacle reste la grande mobilité de la population. Malheureusement, de nombreux contacts continuent de fuir vers d'autres zones de santé, en espérant échapper aux équipes de la riposte.
 

À propos de la mobilité, on sait qu'un certain nombre de pays voisins de la RDC, notamment la Zambie, ont pris ces derniers mois des mesures pour contrer une éventuelle extension de l'épidémie sur leur territoire. Qu'en est-il aujourd'hui du risque d'extension de l'épidémie vers d'autres pays ?

 
Le risque d'extensions vers des pays voisins est un risque existant depuis le premier jour. Depuis le mois d'août, nous collaborons avec les autorités sanitaires des pays voisins. Nous échangeons régulièrement des informations et nous continuons à renforcer les points de contrôle et les points d'entrée vers les pays voisins.
 

Au même moment où on parle d'épidémie d'Ébola en RDC, les médias congolais se font l'écho d'une épidémie de chikungunya. Qu'est-ce qu'il en est exactement aujourd'hui ?

 
Pour moi, chikungunya n'est pas un problème de santé publique, vu que c’est une maladie qui est rarement mortelle. Au regard du contexte, le crois que les problèmes liés aux grandes épidémies restent nos plus grands défis en matière de santé publique. 
 

Au moment où les autorités s'activent pour mettre fin à l'épidémie actuelle, quelle stratégie est engagée contre d'éventuelles épidémies à l'avenir ?

 
Tout d'abord, je suis heureux de pouvoir annoncer que nous avons lancé un projet de Centre d'excellence Ébola, en capitalisant sur toute l'expérience de la RDC dans la prise en charge des épidémies impliquant le virus Ébola. Ce centre pourra aussi préparer les prochaines générations qui seront appelées à faire face aux épidémies d'Ébola.

“Nous avons lancé un projet de Centre d'excellence Ébola, en capitalisant sur toute l'expérience de la RDC dans la prise en charge des épidémies impliquant le virus Ébola.” 

Oly Ilunga

Ce centre va évoluer vers un centre de contrôle des maladies, qui va permettre de renforcer la capacité du ministère de la santé à surveiller les épidémies, à détecter les menaces sanitaires et à y faire face. Il s'agit donc de deux projets ambitieux et importants qui permettront à la RDC de jouer son rôle clé, au cœur de la sécurité sanitaire mondiale.
 

Avez-vous déjà sécurisé les financements pour ces deux projets ?

 
Si je peux en parler, c'est effectivement parce que les financements sont sécurisés, que nous sommes en train de monter en puissance pour nous concentrer sur le centre d'excellence Ébola. Nous essayons de mettre toutes les fonctionnalités en place, en insistant sur la coordination, la gestion de l'information et la formation. Vous savez qu'en pleine épidémie d'Ébola, nous continuons de renforcer les capacités des équipes locales que nous déployons sur le terrain et, surtout, celles que nous intégrons dans la riposte.
 

M. le Ministre, en matière de recherche, des chercheurs congolais se sont récemment illustrés, notamment en ce qui concerne la mise au point du mAb114. Comment s'assurer que la RDC maintienne un tel niveau de réactivité et de compétence, surtout par rapport aux maladies émergentes ?

 
Tout d'abord, dans le cadre du centre d'excellence Ébola et du centre de contrôle des maladies en RDC, il y aura tout un volet et un département recherche. Nous essayons de documenter toutes les avancées scientifiques enregistrées au cours de cette épidémie. Par ailleurs, pour l'avenir, nous devons continuer d'investir dans la recherche, nous devons continuer de soutenir et d'investir dans la recherche et le développement et, surtout, la formation des nouvelles générations.