01/10/20

Paludisme : un nouveau vecteur risque de créer une épidémie en Afrique

Anopheles stephensi
Moustique (Anopheles stephensi) Crédit image: Lauren Holden. Attribution 4.0 International (CC BY 4.0)

Lecture rapide

  • L’Anopheles stephensi est l'un des rares moustiques du paludisme qui prospèrent dans les zones urbaines
  • Selon une modélisation, plus de 126 millions de personnes dans les villes africaines sont en danger
  • Les gouvernements n’ont que quelques mois pour mettre leurs plans en action, préviennent les experts

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L'Afrique n'a que quelques mois pour réagir face à un moustique envahissant du paludisme qui se développe dans les villes, avant que la situation ne dégénère de manière incontrôlable, préviennent les experts.
 
Les scientifiques estiment que plus de 125 millions de citadins à travers l'Afrique seront confrontés à un risque plus élevé de paludisme dû à un type de moustique asiatique qui se déplace rapidement à travers le continent.
 
Le moustique, Anopheles stephensi, est l'un des rares moustiques du paludisme qui prospèrent dans les zones urbaines en raison de sa capacité à trouver de l'eau propre pour pondre ses œufs.
 
Le paludisme est traditionnellement considéré comme une maladie rurale. En Afrique, les centres-villes peuvent être totalement exempts de transmission du paludisme, selon des experts de la London School of Hygiene and Tropical Medicine (LSHTM). 
 
Mais ce moustique envahissant pourrait modifier radicalement la localisation et le mouvement du paludisme en Afrique, un continent qui enregistre 94% des décès dus au paludisme dans le monde, principalement chez les enfants de moins de cinq ans.
 
« Je pense que c'est vraiment effrayant », déclare Jo Lines, professeur de lutte contre le paludisme et de biologie vectorielle à la LSHTM. « Il est de notre devoir en tant que [scientifiques] de dire : «  Regardez ici, il se passe quelque chose ici. " Si nous ne le faisons pas maintenant, il sera trop tard" ».
 
Une nouvelle étude dirigée par Marianne Sinka, chercheuse postdoctorale senior à l'université d'Oxford, indique que l’Anopheles. stephensi peut déjà s'adapter à son nouvel environnement et devenir actif toute l'année. 

“Plus vous regardez, plus vous en trouvez », dit Louisa Messenger. « Nous ne comprenons pas encore vraiment l'ampleur de la menace, mais depuis quelques années, cela ne semble pas bon”

Louisa Messenger, LSHTM

« S'il continue son incursion sur le continent africain sans contrôle, il existe une possibilité très réelle d'épidémies massives de paludisme », déclare l'équipe de Marianne Sinka. « Dans un continent qui s'efforce d'améliorer et de renforcer ses systèmes de santé, un fardeau aussi énorme pourrait être catastrophique. Une surveillance vectorielle ciblée est donc nécessaire de toute urgence », ajoute-t-elle.
 

Nouvelle menace

Les recherches de Marianne Sinka sont une sonnette d’alarme, dit Louisa Messenger, professeur adjoint à LSHTM. « Les principales conclusions et observations sont très frappantes. Les chiffres, s'ils se transforment en réalité, sont très dramatiques », a déclaré Louisa Messenger à SciDev.Net.
 
En 2012, une flambée inhabituelle de paludisme urbain a été signalée dans la ville de Djibouti dans la Corne de l'Afrique, l'Éthiopie et le Soudan ayant également signalé des cas. C'était la première apparition enregistrée de l’Anopheles Stephensi en Afrique.
 
L'année dernière, l'Organisation mondiale de la santé avait émis une alerte vectorielle, avertissant que le moustique semblait se propager de Djibouti vers les pays voisins.
 
Louisa Messenger dit que le moustique est probablement arrivé via des navires entrant dans les ports d'Afrique de l'Est. La cartographie de la transmission montre que la propagation du moustique suit les principaux itinéraires de transport utilisés par les véhicules lourds pour transporter le fret.
 
« L'incursion de l'Anopheles stephensi en Afrique est particulièrement inquiétant; plus de 40 % des Africains au sud du Sahara vivent en milieu urbain », écrivent Marianne Sinka et ses coauteurs dans leur article, publié dans PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences) le 14 septembre.
 
« Dans les environnements urbains, les moustiques peuvent être beaucoup plus difficiles à contrôler, mais les gens peuvent avoir un meilleur accès aux soins de santé et aux traitements. Il est donc difficile d'estimer quelles pourraient être les conséquences de ce moustique envahissant », explique Marianne Sinka à SciDev.Net.
 
Les chercheurs travaillent rapidement pour comprendre l'ampleur de la propagation de l'Anopheles stephensi.
 
« Plus vous regardez, plus vous en trouvez », dit Louisa Messenger. « Nous ne comprenons pas encore vraiment l'ampleur de la menace, mais depuis quelques années, cela ne semble pas bon ».
 
L’entomologiste Fredros Okumu, directeur scientifique de l’Institut de santé Ifakara en Tanzanie, convient que les résultats de l’étude sont significatifs. « Pour l'instant, la meilleure [stratégie] est d'évaluer l'étendue de sa propagation et son rôle dans la transmission du paludisme », déclare-t-il.
 

Appel à l'action

Les gouvernements doivent agir pour contrôler l’Anopheles stephensi d'ici «quelques mois ou un an, mais pas plus. Après cela, il sera trop tard, il se sera trop répandu », affirme Jo Lines.
 
En 1930, le monde n'a pas réagi rapidement à l'invasion du moustique africain Anophèles gambiae au Brésil. Ce qui avait entraîné une épidémie majeure de paludisme en 1938. Jo Lines dit que la crise brésilienne devrait servir d'avertissement, ainsi que d'exemple de succès (lorsqu'un plan de gestion complet a été adopté, l’Anopheles Gambiae a été éradiqué au Brésil).
 
« Plus vous prenez cette décision rapidement, moins elle coûte cher », déclare Jo Lines.
 
« Il s’agit d’une nouvelle catastrophe liée aux maladies infectieuses que nous pouvons encore éviter ; mais seulement si nous agissons de manière décisive maintenant », indique -t-il.
 
Louisa Messenger dit que les moustiquaires et les pulvérisations d’insecticides sont les mesures actuelles, mais qu’ils ne repousseront pas la propagation des moustiques. « Pour la repousser, vous devez penser à une plus grande réduction à la source », dit-elle.
 
Des stratégies intégrées qui incluent des programmes de modification du comportement des ménages et de surveillance, ainsi que des mesures de contrôle conventionnelles, peuvent être couronnées de succès, disent Louisa Messenger et son collègue Jo Lines.
 
« Nous avons des options, [nous avons besoin] de la coordination, de l'argent et de la volonté politique », dit Louisa Messenger.
 
Cet article a été produit par le desk,nglophone de SciDev.Net pour l’Afrique subsaharienne.