19/12/13

Sénégal: Du “pain composé” pour réduire la consommation de blé

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Crédit image: Flickr/rprata

Lecture rapide

  • Le Fonds national pour la recherche agricole et agro-alimentaire du Sénégal a mis au point un nouveau type de pain, sur la base d'une combinaison de blé et de produits locaux
  • Le but est de réduire la facture des importations de blé, passée de 5 à 45 milliards de CFA en trois décennies
  • Le nouveau pain est également jugé riche en nutriments et de qualité gustative égale, sinon meilleure

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Le pain composé est fabriqué avec des produits locaux incorporés au blé, à un taux variant entre 5 et 15%. 

Des tests concluants ont été organisés en 2012, avec des boulangers qui fabriquaient du pain avec 15% de produits locaux tels que le mil, le maïs, le manioc et le niébé.

Selon l’Institut Technologie Alimentaire (ITA) de Dakar, qui a évalué l'aptitude des principales variétés locales de manioc à la panification, la farine à base de manioc cultivé au Sénégal présente de bonnes caractéristiques pour la fabrication du pain.

Un jury a analysé l'acceptabilité de pains à différents taux d'incorporation de farine de manioc, ainsi que certains paramètres technologiques.

Parmi les cinq variétés les plus répandues au Sénégal, la variété Soya a été utilisée  pour produire de la farine de manioc à partir de la râpure des tubercules séchés et moulus.
Ce choix est motivé par une production importante, une large répartition géographique, une couleur et une granulométrie de farine très proches de celle du blé.

Une farine de manioc de qualité supérieure a été produite et expérimentée et l'analyse statistique des résultats indique qu'il n'y a aucune différence significative des notes du jury sur la densité, la mie et le goût du pain pour les taux  d'incorporation de 0%, 10%, 20% et 30%.

Ainsi, il ressort de cette étude que si on considère tous les paramètres, le pain blé-manioc est acceptable jusqu'à 20% d'incorporation.

Au-delà de ce taux, il présente des imperfections qui conduiraient à des pains de faible volume, rigides et cassants.

L’objectif d’ici à 10 ou 15 ans, est d'atteindre 30% de taux d'incorporation pour certaines céréales, ou 20% pour le manioc, selon les instituts de recherche qui ont mené des études sur la qualité des céréales panifiables, notamment l’Institut de Technologie Alimentaire.

La phase de test était circonscrite à la région de Dakar avec une cinquantaine de boulangers partenaires.

Désormais, les technologies mises au point seront déployées dans la quasi-totalité des régions du Sénégal, avec l’appui de 150 boulangeries.

Pour le président de la Fédération nationale des boulangers du Sénégal, Amadou Gaye, le recours aux céréales locales est la seule alternative pour mettre fin aux crises récurrentes dans le secteur de la production du pain.

"Nous partons du constat que d’ici à 10 ou 20 ans, les importations de blé vont augmenter, a-t-il confie a SciDev.Net. On était à 200.000 tonnes en 2000, on sera à 1 million en 2020. Il arrivera qu’avec 1000 francs, le Sénégalais ne pourra pas acheter son pain. Nous n’allons pas forcer les Sénégalais à changer leurs habitudes alimentaires, mais nous voulons juste varier et enrichir l’offre pour que les générations futures puissent s’habituer aux types de pain à base de céréales locales."

Cette initiative vise en effet à réduire la dépendance vis-à-vis du blé pour assurer la sécurité alimentaire et promouvoir le secteur agricole.
 
Selon la FAO, c'est en Afrique de l’Ouest – qui ne produit pratiquement pas de blé, contrairement à l'Afrique australe et orientale où la production de blé sur les plateaux couvre un  peu moins de 50% des besoins – que le déficit en blé est le plus préoccupant.
 
La consommation par tête explose, passant de 9,5 kg à 21,8 kg en 2005 avant de baisser à 18,2 kg en 2007, du fait de la flambée des prix, soit une hausse annuelle de 8,6% de 1995 à 2005 ou de 5,5% de 1995 à 2007!
 
Si la croissance de la consommation par tête se poursuivait à ce dernier taux, elle serait de 184 kg en 2050, impliquant des importations totales de 115 Mt en 2050, ce qui serait impossible à financer et impliquerait que les agriculteurs d'Afrique de l’Ouest voient baisser drastiquement leurs ventes de céréales locales et tubercules.
 
Pour ce qui concerne le Sénégal, le riz et le blé constituent les céréales les plus importées.

Les importations de blé ont atteint 45 milliards CFA en 2007 pour un volume de 300.000 tonnes, alors qu'elles ne représentaient que 5 milliards dans les années 80, pour un volume de 100.000 tonnes.

Selon les promoteurs, le pain à base de céréales locales est un excellent pourvoyeur d’énergie, faible en graisse, et riche en glucides. Il contient également des protéines, des vitamines (B1), du fer, du magnésium et des fibres, informe le texte.

Comparé aux pains blancs, celui à base de céréales locales renferme également plus de vitamines, de minéraux, et de fibres alimentaires.

Les organisations de producteurs ont été dotées de matériel pour assurer un nettoyage, un conditionnement et un stockage qualitatif de la matière première. Les transformateurs ont été équipés en lignes de transformation permettant d'obtenir une farine à granulométrie fine.
 
Pour le respect du processus de qualité, l'Association sénégalaise pour la promotion du développement à la base (Asprodeb) a procédé à une évaluation des risques d'hygiène, de sécurité, de santé et d'environnement de toute la chaine de valeur.
 
L’opération a montré que les sites des organisations de producteurs font surtout face à des risques de santé et sécurité ; les lignes de transformation présentent surtout des risques de sécurité ; et les boulangeries rencontrent essentiellement des risques d'hygiène.
 
Des recommandations précises ont été faites pour prendre en charge ces aspects dans le cadre de la nouvelle phase qui est en cours de lancement.
 
Comme ce fut le cas durant la phase pilote, les transformateurs de céréales seront encore une fois dotés d'équipements adéquats permettant de fabriquer de la farine très fine : moulins à cylindre, épierreurs, nettoyeurs, "entoleters" pour enlever les germes.
 
Mais ils relèvent certaines difficultés que l’Asprodeb doit prendre en charge pour le bon succès de cette diffusion à grande échelle. "Nous avons rencontré des difficultés au niveau de l'approvisionnement du fait qu'il n'y avait aucune banque pour  accompagner le processus de contractualisation entre les différents partenaires (entre producteurs et transformateurs ; entre transformateurs et boulangers). Il est nécessaire de stocker des tonnages élevés, ce qui demande un important fond de roulement ou l’appui d’une banque pour faire face aux charges financières. Les transformateurs ont également eu des difficultés pour trouver des moulins à cylindre localement et ils ont dû en importer", explique Mme Aissatou Deme, directrice de Free Work Services, une structure qui a participé au projet pilote en tant qu’entreprise de transformation de céréales locales.
 
Selon elle, pour "booster la consommation des produits locaux, il faut la disponibilité des produits sur le marché et à des prix compétitifs. Il est aussi important que certaines taxes soient allégées sans parler d’une communication institutionnelle générique en faveur des produits locaux. Nous devons favoriser la création de magasins de référence destinés à ces produits."