13/12/21

Relancer le processus d’inscription du lac Tchad au patrimoine mondial

Paysage du lac Tchad 2
Un aperçu du lac Tchad. Crédit image: Dossier de proposition d’inscription sur la liste du patrimoine mondial

Lecture rapide

  • Pour relancer le processus, les experts recommandent un dialogue sincère entre les Etats parties
  • L’inscription peut permettre de promouvoir un modèle de développement endogène
  • Depuis la suspension du processus, la question est ignorée par les chefs d’Etat et experts de la CBLT

Envoyer à un ami

Les coordonnées que vous indiquez sur cette page ne seront pas utilisées pour vous envoyer des emails non- sollicités et ne seront pas vendues à un tiers. Voir politique de confidentialité.

[YAOUNDE] Des experts appellent les Etats membres de la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT) et leurs partenaires à poursuivre le processus d’inscription du lac Tchad au patrimoine mondial de l’UNESCO (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture).

Ils l’ont fait savoir au cours du débat en ligne qu’a organisé SciDev.Net le jeudi, 2 décembre 2021 sous le thème : « Enjeux et défis de l’inscription du Lac Tchad au patrimoine mondial de l’UNESCO ».

Le processus qui avait commencé en 2018 avait connu un coup d’arrêt en 2020 suite à une demande de suspension introduite par le Tchad d’après des informations largement répandues dans la sous-région et même au-delà.

“Les derniers échanges que nous avons eus avec le Tchad ont souligné son engagement dans ce processus aux côtés des trois autres Etats. Nous espérons que ce processus portera des résultats concrets le plus tôt possible”

Alessandro Balsamo, Unité des propositions d’inscriptions, UNESCO

Mais, au cours de ce webinaire, Alessandro Balsamo, chef de l’Unité des propositions d’inscriptions à l’UNESCO a affirmé que l’initiative de la suspension du processus est plutôt venue de l’UNESCO elle-même.

Ce dernier explique que cette décision a été prise à cause de l’impossibilité pour les organisations consultatives indépendantes désignées par la Convention du patrimoine mondial de se rendre sur le site proposé pour effectuer les évaluations nécessaires avant l’inscription.

« Cela n’a pas pu se faire pour des raisons de sécurité et nous nous sommes vus obligés de suspendre cette évaluation jusqu’au moment où la situation permettra aux experts de visiter le site », soutient Alessandro Balsamo.

Une information qui surprend quelque peu Christophe Mbida Mindzie, chef du département « Arts et Archéologie » de de la faculté des Arts, lettres et sciences humaines de l’université de Yaoundé I au Cameroun.

Ce dernier explique en effet qu’il avait appris cette demande de suspension à travers une réponse de l’UNESCO au ministère du Développement touristique, de la culture et de l’artisanat du Tchad, qui avait auparavant adressé une lettre à l’UNESCO demandant la suspension de ce processus.

Incompréhensions

« Cela nous étonnait tout de même parce que jusque-là on avait travaillé en toute bonne intelligence avec les autorités et les collègues tchadiens. Nous ne comprenions pas cette volte-face », rappelle l’enseignant qui avait été l’un des principaux acteurs de la préparation du dossier d’inscription soumis à l’UNESCO. Il était alors le directeur du patrimoine culturel au ministère de la Culture du Cameroun.

C’est à peu près de la même manière que Hamissou Halilou Malam Garba, directeur adjoint de la Faune, de la chasse et des aires protégées au ministère de l’Environnement et de la lutte contre la désertification du Niger, avait aussi appris cette nouvelle.

« On était à deux doigts de ce qu’on appelle le suivi réactif. C’est à ce niveau que se règlent des questions comme la position de chaque Etat partie et son soutien à l’inscription du dossier ou pas », explique-ce dernier qui est par ailleurs membre du groupe d’experts pour le classement du site.

Quoi qu’il en soit, propose Christophe Mbida Mindzie, il faut lever le voile des incompréhensions entre les trois autres Etats et le Tchad et que ce soit une discussion qui se fasse entre les spécialistes.

« Si c’est une décision qui a été prise à un très haut niveau, il faut expliquer techniquement comment cela peut se faire, dans l’intérêt partagé de tout le monde », poursuit-il. L’idée étant de trouver le moyen de relancer le processus.« Des Etats ne peuvent pas se mettre à travailler en harmonie et puis, du coup, on voit une décision alors que les autres ne sont pas consultés. Moi je pense que c’est l’un des défis pour ce qui est des institutions dont nos pays se dotent, des décisions qui se prennent et de leur mise en œuvre », martèle Christophe Mbida Mindzie.

Alessandro Balsamo quant à lui est optimiste : « Les derniers échanges que nous avons eus avec le Tchad ont souligné son engagement dans ce processus aux côtés des trois autres Etats. Nous espérons que ce processus portera des résultats concrets le plus tôt possible », dit-il.

Une information que confirme Bandiougou Diawara responsable technique au projet Biosphère et patrimoine du lac Tchad (BIOPALT) de l’UNESCO, dont l’inscription au patrimoine mondial constitue l’une des composantes.

Il commence par préciser que « la demande de suspension du processus avait été faite par un nouveau ministre de la Culture deux mois après sa prise de fonction au Tchad, alors que son prédécesseur avait fortement soutenu le processus. ».

Il enchaîne en précisant qu’après que cette demande de suspension a été faite, une rencontre a été organisée entre l’ambassadeur du Tchad auprès de l’UNESCO et la direction générale du Centre du patrimoine mondial.

Atouts

« A cette occasion, le Tchad a clairement dit qu’il ne demande pas de suspendre le processus. D’ailleurs, la convention du patrimoine mondial ne le permet pas. Le Tchad a bien dit qu’il souhaite que le processus suive son cours normal », fait savoir Bandiougou Diawara.

Mais, insiste Alessandro Balsamo, il faudra au préalable régler le problème d’insécurité afin de permettre aux experts de l’UNESCO d’effectuer les missions d’évaluation sur le site.

« Sur cette question de sécurité, nous sommes sûrs que si la délégation de l’UNESCO arrive au Tchad la sécurité de ses membres sera assurée », réagit Abdoulaye Yaya Ali, président de l’ONG Tchad agir pour l’environnement (TCHAPE), impatient lui aussi de voir le processus d’inscription se poursuivre.

Pour ce dernier, ce projet est important pour sauver le lac Tchad « urgemment » parce que beaucoup des personnes vivent grâce à ce lac.

Hamissou Halilou Malam Garba rappelle à sa suite que la zone du lac Tchad présente de nombreux atouts culturels, biologiques, agricoles et halieutiques ainsi qu’une biodiversité florale et végétale spécifique.

« On y trouve par exemple une race de vaches appelée Kuri qui n’existe que dans la zone du lac Tchad et nulle part ailleurs dans le monde et qui produit du lait en très grande quantité », dit-il.Dès lors, vouloir exploiter le pétrole dans cette zone comme l’annoncent certaines informations, « c’est courir le risque d’effacer sept millions d’histoire, puisque le crane de Toumaï, considéré comme l’ancêtre de l’humanité, a été découvert dans cette zone », met en garde Bandiougou Diawara.

Pour ce dernier, une solution alternative serait d’attribuer d’autres zones pétrolières aux entreprises qui auraient voulu faire de l’exploitation pétrolière dans la zone du lac Tchad.

Pour Christophe Mbida Mindzié, l’inscription du Bassin du lac Tchad au patrimoine mondial peut constituer une façon de protéger un modèle de développement endogène et harmonieux conçu par les communautés elles-mêmes.

Alessandro Balsamo souligne que des études sur d’autres sites du patrimoine mondial ont mis en évidence des bénéfices concrets après le classement.

« Dans beaucoup de cas, les endroits qui ont bénéficié d’un classement au patrimoine mondial ont assisté à une augmentation du nombre des visiteurs », indique-t-il

« J’ai bon espoir que le processus, n’ayant pas été arrêté, va reprendre et qu’il y aura une discussion franche même au sujet des options de développement », affirme ce dernier et les autres intervenants.

Toutefois, le fait que les derniers sommets des chefs d’Etat et des gouverneurs de la CBLT aient ignoré ce sujet inquiète les acteurs qui s’intéressent au processus.