12/09/18

RDC : La lutte contre Ebola, entre innovation et éthique

Muyembe Article
Le professeur Jean-Jacques Muyembe, codécouvreur du virus d'Ebola, dans son laboratoire de l'Institut National de recherche biomédicale, à Kinshasa - Crédit image: SDN/PM

Lecture rapide

  • Un nouveau traitement, le mAb114, enregistre des succès prometteurs sur le terrain
  • Toutefois, le nombre de cas est en hausse, notamment dans lea province du Nord-Kivu
  • Des experts appellent à lever les restrictions sur l'administration d'un vaccin aux femmes enceintes

Envoyer à un ami

Les coordonnées que vous indiquez sur cette page ne seront pas utilisées pour vous envoyer des emails non- sollicités et ne seront pas vendues à un tiers. Voir politique de confidentialité.

La panoplie de moyens de lutte contre le virus Ébola s'est enrichie d'un nouveau médicament, le mAb114, devenu l'un des cinq traitements expérimentaux contre la maladie, après que son utilisation eut été approuvée à titre compassionnel dans le contexte des deux dernières épidémies en République démocratique du Congo (RDC).

Le mAb114 est un anticorps monoclonal produit à partir de cellules du sang d’un survivant de l’épidémie de Kikwit, dans le sud-ouest de la RDC, en 1995.

À l'époque, contracter le virus équivalait quasi-certainement à un diagnostic de mort imminente.

Mais depuis les récentes épidémies en Afrique de l'Ouest, un arsenal de traitements ont été proposés par les chercheurs, pour guérir les malades, tandis que des vaccins expérimentaux sont également apparus.

“Nous n’avons pas observé des cas d’intolérance au traitement jusqu’à présent. Nous sommes bien armés pour faire face à un choc anaphylactique grave.”

Jean-Jacques Muyembe – Directeur de l'Institut National de Recherche biomédicale de Kinshasa

Toutefois, du fait de leur caractère expérimental, les modalités de l'utilisation de ces médicaments ne font pas l'unanimité au sein de la communauté scientifique.

Les quatre autres médicaments considérés comme des traitements expérimentaux contre le virus d'Ébola sont le ZMapp, le Remdesivir, le REGN 3470-3471-3479 et Favipiravir.

L'histoire du mAb114 remonte à 2015, lors de l'épidémie d'Ébola, dans la localité de Kikwit, qui avait tué 245 personnes.

RDC Infographies

Au milieu de la cohue et de la panique, un homme, que les scientifiques appelleront Sujet 1, est parvenu à vaincre la maladie, quasiment sans traitement particulier.

Après avoir plusieurs semaines durant, lutté contre ses symptômes les plus ravageurs – fièvres, diarrhées, vomissements, etc. -, il se rétablit et commence à s'occuper des autres malades de la ville.

Intrigués, les scientifiques décident de s'intéresser aux moyens immunitaires du Sujet 1.

Plusieurs années plus tard, son sang fera l'objet de travaux scientifiques et, en 2016, une équipe internationale de chercheurs obtiendra l'autorisation de prélever le précieux liquide.

Dans un article scientifique paru la même année dans la revue Science, les chercheurs expliqueront comment ils ont purifié les anticorps contenus dans le sang du Sujet 1 pour soigner des singes atteints du virus.

Au mois de mai dernier, le mAb114 fait l'objet d'un essai clinique de phase 1, mené auprès de 20 sujets, pour une évaluation préliminaire de l'efficacité de la dose sélectionnée et des combinaisons de molécules.

Ainsi naît le Human Monoclonal Antibody, VRC-EBOMAB092-00-AB [Anticorps monoclonal humain, VRC-EBOMAB092-00-AB, en abrégé, mAb114].

Selon Annick Antierens, conseillère médicale stratégique de Médecins Sans Frontières (MSF), sur le plan purement scientifique, le mAb114 se fixe à une partie cruciale du virus, appelée glycoprotéine, que ce dernier utilise pour attaquer les cellules du corps humain.

Lorsque la molécule est attachée à la glycoprotéine, elle rend le virus inapte à attaquer les cellules humaines.

Jean-Jacques Muyembe, codécouvreur du virus d'Ébola et directeur de l'Institut national de Recherche biomédicale de Kinshasa, a joué un rôle clé dans la mise au point du mAb114, à travers sa participation à plusieurs études menées à partir du sérum du survivant de l'épidémie de Kikwit.

Selon lui, "le mAb114 est administré avec une seule perfusion intraveineuse d'une heure et se fixe sur le virus Ébola pour le neutraliser."

Le chercheur précise que ce mode d'action diffère de celui de ZMapp, un cocktail de trois anticorps monoclonaux génétiquement produits à partir de feuilles de tabac.

L'autre avantage majeur du mAb14 est qu'il se donne par perfusion lente pendant une heure, tandis que la perfusion de ZMapp, par exemple, dure quatre à 5 heures, précise le chercheur congolais, dans une interview avec SciDev.Net.

De manière générale, les autorités sanitaires estiment que le mAb114 a fait ses preuves sur le terrain, pour avoir permis de guérir plusieurs patients infectés.

"Nous n’avons pas observé des cas d’intolérance au traitement jusqu’à présent. Nous sommes bien armés pour faire face à un choc anaphylactique grave", affirme encore Jean-Jacques Muyembe.

Pour sa part, tout en reconnaissant l'apport inestimable des médicaments expérimentaux dans la lutte contre Ébola, Annick Antierens estime dans un entretien avec SciDev.Net, que "les outils pharmaceutiques ne suffisent pas à eux seuls à arrêter une épidémie d'Ébola."

Il convient, souligne-t-elle, de continuer de sensibiliser la population aux risques, de rechercher activement des patients atteints d'Ébola, d'assurer un suivi approfondi de tous les contacts des patients atteints d'Ébola, ainsi qu'un soutien aux soins de santé réguliers non-Ébola.

Cette prudence est, du reste, partagée par Jean-Jacques Muyembe, qui insiste par ailleurs sur le fait que les succès thérapeutiques du mAb114 ne constituent qu'une étape dans la lutte contre le virus.

"Nous aurons gagné une bataille, mais pas encore la guerre, qui se projette à l’horizon : convaincre nos pairs et travailler ensemble pour améliorer cette thérapie contre le virus Ébola", souligne-t-il.

Sur le terrain, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) fait état d'une légère augmentation de l'incidence des cas, avec un bilan établi ce 11 septembre à 132, dont 92 décès, par le ministère congolais de la santé.

Dernier bilan de l'épidémie d'Ebola en RDC – Source: Ministère congolais de la santé

L'OMS estime en outre que des risques importants subsistent qui pourraient mener à la propagation de l'épidémie : réticence de certaines communautés à adopter des mesures de prévention, transmission dans les établissements de santé en raison de la faiblesse des mesures de prévention et de contrôle des infections, retards dans la prise en charge des patients, etc.

Selon le ministère congolais de la Santé, depuis le début de la campagne de vaccination, le 8 août dernier, 8.190 personnes en tout ont été vaccinées, dont 3.572 à Mabalako, 2.428 à Beni, 1.297 à Mandima, 346 à Butembo, 220 à Masereka, 150 à Katwa (150), 121 à Oicha et 56 à Kinshasa.

Les autorités congolaises précisent que les vaccinations effectuées dans la capitale concernent essentiellement des membres du personnel médical déployés dans les provinces.

Pendant ce temps, une polémique agite la communauté scientifique au sujet de l'opportunité de vacciner certaines catégories de personnes, notamment les femmes enceintes et les femmes allaitantes.

En 2017, le Groupe consultatif stratégique d’experts sur la vaccination (Strategic Advisory Group of Experts – SAGE) a préconisé, en cas de survenue d’une flambée épidémique de maladie à virus Ébola due au virus Zaïre avant l’approbation du vaccin candidat, le déploiement rapide du vaccin rVSV-ZEBOV dans le cadre d'une politique dite de "l'accès élargi" ou d’un usage compassionnel, en veillant à obtenir le consentement des bénéficiaires et en respectant les bonnes pratiques cliniques.

Le protocole de l’OMS pour l’accès élargi en RDC prévoit en particulier l'exclusion des enfants de moins de six ans et des femmes enceintes ou allaitantes de ces campagnes de vaccination.

“Le vaccin donnera aux femmes enceintes et aux enfants qu'elles portent une chance de vivre. Sans cela, la plupart des femmes enceintes infectées par le virus Ébola et la quasi-totalité de leurs enfants mourront.”

Ruth Faden, Ruth Karron et Carleigh Krubiner

Ces restrictions se justifient, selon l'OMS, par le manque de données pour ces sous-groupes.

Toutefois, dans un article d'opinion publié par Stat News, un site Internet américain consacré à l'actualité de la santé, trois membres éminents du groupe de travail international sur l’éthique de la recherche sur la grossesse pour les vaccins, les épidémies et les nouvelles technologies (Pregnancy Research Ethics for Vaccines, Epidemics, and New Technologies  – PREVENT), Ruth Faden, fondatrice de l'Institut de bioéthique Johns Hopkins Berman, Ruth Karron, directrice du Centre de recherche sur la vaccination et Carleigh Krubiner, chercheur à l'Institut de bioéthique Johns Hopkins Berman, appellent à revoir la décision du groupe consultatif stratégique d’experts sur la vaccination.

"Le vaccin donnera aux femmes enceintes et aux enfants qu'elles portent une chance de vivre. Sans cela, la plupart des femmes enceintes infectées par le virus Ébola et la quasi-totalité de leurs enfants mourront", écrivent-ils.