21/04/16

Les “couverts comestibles”, moyen de lutte contre la pollution plastique

Edible spoons
Crédit image: Bakeys Cutlery

Lecture rapide

  • 300 millions de tonnes de matières plastiques sont rejetées chaque année
  • Une partie de ces déchets proviennent des couverts en plastique
  • Avec des couverts comestibles, la quantité de déchets pourrait se réduire

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L'entreprise indienne Bakeys Cutlery a lancé une gamme de couverts comestibles pour remplacer les traditionnels ustensiles du service de table – cuillères, fourchettes et autres.

Elle espère ainsi contribuer à la réduction de la quantité de déchets plastiques rejetés chaque année dans la nature.

L'aventure des couverts comestibles a commencé pour Narayana Peesapaty, directeur de Bakeys Cutlery India, lorsqu'à l'occasion d'un voyage par voie aérienne, il a constaté que certains passagers se servaient de morceaux de Khakra sec (sorte de casse-croûte de gujarati d'Inde) comme d'une cuillère.

"C'est la première fois que je me suis demandé pourquoi nous ne pouvions pas utiliser une cuillère comestible", explique-t-il.

"A mon retour, l'idée de la cuillère comestible prenait déjà forme dans mon esprit", ajoute-t-il.

De fait, Narayana Peesapaty voulait s'attaquer à plusieurs problèmes à la fois, liés à la santé, à l'hygiène et à l'environnement.

Les cuillères en matière plastique sont en effet aujourd'hui répandues dans le monde et constituent, au même titre que les déchets plastiques, en général, un véritable problème pour l'environnement humain.

Les déchets plastiques foisonnent dans les océans et les dépôts publics, souvent mal entretenus dans plusieurs pays.

Au cours des soixante dernières années, le degré de pollution était tel que certains chercheurs ont estimé que nous avions affaire au marqueur d'une nouvelle ère géologique,  l'Anthropocène artificiel.

En ce qui les concerne, les couverts plastiques constituent une part non-négligeable du problème.

Selon certaines estimations, 311 millions de tonnes de matières plastiques ont été produites dans le monde en 2014, soit l'équivalent de 8% environ de la production mondiale de pétrole.

Les Etats-Unis utilisent à eux seuls 40 milliards d'ustensiles de matière plastique par an.

Narayana Peesapaty, ancien employé du Centre de Recherche de l'Institut International de gestion des eaux, assure avoir aussi à cœur la protection des sols, en favorisant la culture du millet et la réduction des plantations de riz et d'autres cultures réputées grosses consommatrices d'eau dans des régions à faible pluviométrie.

"Les agriculteurs utilisent l'énergie à mauvais escient pour pomper de l'eau et ensuite la gaspiller", explique-t-il encore.

Enfin, la préservation de la santé constitue une autre raison fondamentale qui a motivé la mise au point de ces couverts comestibles.

"Grâce à la création d'un produit à valeur ajoutée comme des cuillères qui peuvent se consommer régulièrement tout comme la nourriture, nous contribuons aussi à aider les agriculteurs à maintenir une bonne santé", renchérit-il. 

Les couverts mis au point par sa société, Bakeys, sont fabriqués à partir de divers mélanges de farine.

"Je confectionne en ce moment des couverts à base de sorgho, de riz et un mélange de blé", a-t-il déclaré à SciDev.Net.

"Il nous arrive d'ajouter ou de supprimer l'un de ces ingrédients et d'utiliser du maïs, du soja, du millet ou de l'orge."

Les neuf femmes employées par la petite PME de l'Etat du Telangana, dans le sud de l'Inde, confectionnent parfois des cuillères au goût simple.

100% végétarien

"Nous pouvons faire des cuillères avec des goûts simples ou ajouter du sucre, des épices, de l'ail, du gingembre, de la betterave, des carottes, de la pâte d'épinards, mais elles coûtent plus cher et certaines avec de la pulpe de légumes ont une plus courte durée de vie, car elles peuvent ramollir plus rapidement que notre mélange standard qui lui, peut avoir une durée de vie de deux ans. Nous n'ajoutons pas de produits chimiques, pour modifier la couleur ou la saveur et le produit est 100% végétarien, végétalien et 100% biodégradable."

“Nos produits marcheront certainement sur le continent africain, en raison de leur forte valeur nutritive; de plus, les Africains cultivent et mangent le sorgho et cela ne devrait pas représenter pour eux un produit exotique”

Narayana Peesapaty
Directeur de Bakeys Cutlery


L'entreprise a été montée sur la base d'un modèle de financement communautaire.

Organisée sur le site Kickstarter, la campagne de financement de Bakeys avait un objectif initial de $20.000 (environ 12 millions de Francs CFA).

Mais les organisateurs ont recueilli 12 fois plus d'argent.

Si Bakeys a été fondée depuis 2011, en revanche, la carrière internationale de ses couverts comestibles n'a commencé que le mois dernier, avec la publication d'une vidéo sur le réseau social Facebook, qui a été consultée à ce jour par plus de cinq millions de personnes.

Bakeys vend 1.5 million de cuillères par an et compte parmi ses clients des entreprises de restauration servant des repas lors des mariages et autres événements, mais la société envisage de s'attaquer sous peu à d'autres marchés, en Inde, ainsi qu'en Afrique.

"Nos produits marcheront certainement sur le continent africain, en raison de leur forte valeur nutritive; de plus, les Africains cultivent et mangent le sorgho et cela ne devrait pas représenter pour eux un produit exotique", explique le directeur de Bakeys.

"Une fois que nous réussirons à rationaliser nos systèmes de production et à déterminer le volume de couverts que nous pouvons produire, nous penserons peut-être aussi à fabriquer de nouveaux types de couverts – baguettes chinoises, fourchettes, cuillères à dessert , etc. A ce moment, nous pourrons penser sérieusement à l'exportation."

En attendant, selon Narayana Peesapaty, de nombreux défis restent à relever; l'un des plus importants concerne le prix des couverts, qui se vendent 2 roupies l'unité – environ 150 Francs CFA.

L'entreprise indienne envisage de le ramener à 1,5, voire 1 roupie – entre 100 et 75 Francs CFA.

Elle compte réaliser cet exploit en passant directement commande de ses matières premières auprès des agriculteurs et en réalisant des économies d'échelle, avec l'ajout de nouveaux produits, grâce aux fonds recueillis en ligne.

En ce qui concerne une possible importation du concept en Afrique, si la plupart des environnementalistes consultés par SciDev.Net reconnaissent l'intérêt de l'innovation pour la protection de l'environnement, en revanche, les nutritionnistes se montrent circonspects.

"Cette innovation présente certainement un intérêt environnemental. Si promouvoir des couverts comestibles et biodégradables peut réduire l'utilisation de couverts en plastique, que demander mieux ? Mais l'apport nutritif de ces couverts est minimal", estime ainsi Binetou Seck, nutritionniste et directrice du cabinet Nutrideal, à Dakar.

D'autres encore redoutent des problèmes de santé potentiels, liés aux conditions de conservation des couverts.

Mais pour Narayana Peesapaty, il ne s'agit pas d'un problème majeur.

"Si les paquets sont gardés ouverts, ils pourraient attirer des germes, notamment dans des contextes climatiques marqués par la chaleur", affirme-t-il.

"S'ils sont conservés à l'air libre comme nous le faisons avec les cuillères en acier, ils deviendront moins croustillants et mous avec le temps. Le mieux est de les stocker dans une boîte à couvercle étanche et d'ouvrir la boîte seulement quand on a besoin de se servir", recommande-t-il.

Les couverts de Bakeys ont obtenu une licence d'exploitation de la Food Safety and Standards Authority of India (FSSI), l'autorité de contrôle des produits alimentaires, qui dépend du ministère de la Santé et du bien-être familial.