22/03/21

Ebola : L’origine de l’épidémie en cours en Guinée fait craindre une stigmatisation

Ebola health workers
Des travailleurs de la santé au front de la lutte contre Ebola en Sierra Leone durant l'épidémie de 2014-2016. Crédit image: EU Civil Protection and Humanitarian Aid (CC BY-NC-ND 2.0)

Lecture rapide

  • L’actuelle épidémie en Guinée est partie d’un patient qui avait survécu à l’épidémie de 2014 – 2016
  • Les chercheurs craignent que cette découverte mette les milliers de survivants au ban de la société
  • La transmission du virus à partir de patients guéris est très faible ; mais, leur suivi reste de mise

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[DOUALA, CAMEROUN] Les chercheurs s’accordent désormais sur le fait que l’épidémie d’Ebola qui s’est déclarée en Guinée le 14 février est partie d’une personne guérie de la maladie lors de la précédente épidémie qui avait endeuillé le pays entre 2014 et 2016.

« Le séquençage du virus au cœur de cette épidémie a montré qu’il s’agit du même virus qui avait provoqué la précédente épidémie », explique Abdoulaye Touré, directeur du Centre de recherche et de formation en infectiologie de Guinée (CERFIG).

Dans un entretien accordé à SciDev.Net, ce dernier fait savoir que « si le virus de cette nouvelle épidémie venait de la faune comme nous l’avions d’abord pensé, le séquençage aurait révélé des différences avec celui impliqué dans l’épidémie de 2014 – 2016 ».

“Il a fallu plus de cinq ans depuis la fin de la dernière épidémie pour qu’un cas connu de transmission à partir d’une personne guérie soit identifié. Cela veut dire que ce risque n’est pas très important.”

Abdoulaye Touré, CERFIG

Cette découverte ne constitue pas une surprise pour Eric Delaporte, chercheur à l’Institut de recherche pour le Développement (IRD) et à l’université de Montpellier en France.

« En cas de séquelles liées à une persistance virale, cela pourrait entraîner une résurgence de la maladie comme cela a été observé récemment dans la reprise de l’épidémie d’Ebola dans le Nord-Kivu en République démocratique du Congo », confie-t-il.

Ce que les chercheurs ignorent en revanche dans le cas de la Guinée c’est le mode de transmission du virus de la personne guérie à l’infirmière qui a été la première patiente de l’actuelle épidémie et qui en est d’ailleurs décédée.

SciDev.Net a appris auprès des chercheurs qu’il faut du temps pour cela et que toutes les équipes pluridisciplinaires sont sur le terrain pour poursuivre les recherches.

Mais, déjà, Eric Delaporte redoute que cette découverte ne se traduise par « la persistance d’une vulnérabilité physique et psychologique avec le risque de stigmatisation accrue » des patients qui ont souffert de la maladie par le passé.Pour Abdoulaye Touré, il ne faut pas qu’on ajoute une épidémie à une autre. « Ça veut dire qu’il ne faut pas qu’il y ait une stigmatisation des survivants qui sont connus. Sinon, la situation peut être très dramatique pour eux et pour la société ».

Ce dernier fait savoir que malgré ce cas de transmission qui est à l’origine de l’actuelle épidémie, les risques de transmission de la maladie d’une personne guérie vers une personne en bonne santé sont « faibles ».

« Il a fallu plus de cinq ans depuis la fin de la dernière épidémie pour qu’un cas connu de transmission à partir d’une personne guérie soit identifié. Cela veut dire que ce risque n’est pas très important. Si la probabilité était élevée, on aurait déjà vu beaucoup de cas depuis la fin de la dernière épidémie », affirme Abdoulaye Touré.

Cette découverte vient conforter les résultats d’une étude réalisée en Guinée par une équipe de chercheurs français et guinéens et dont les résultats ont été publiés en février 2021 dans la revue Clinical Infectious Diseases.

Ces résultats affirment que même si les symptômes diminuent significativement avec le temps, de nombreuses personnes présentent encore des séquelles de la maladie à virus Ebola quatre ans après en avoir été déclarés guéries.

Stimulation du système immunitaire

L’étude en question a consisté en un suivi de 802 survivants pendant 48 mois avec une consignation des symptômes cliniques indiquant leurs dates de début et de fin, ainsi que la prévalence, l’incidence et la durée desdites séquelles.

Les symptômes en question sont de plusieurs ordres : neurologiques (maux de tête, vertige…), abdominaux (douleurs ou gastrites), musculo-squelettiques (douleurs au cou, au dos, aux articulations…) oculaires (conjonctivite, cataracte…) ou généraux (fièvre, fatigue, anorexie…)

Les travaux « montrent qu’il existe toujours une stimulation du système immunitaire avec inflammation pouvant expliquer certaines séquelles en particulier celles dues à une potentielle persistance virale », précise Eric Delaporte, coordonnateur de cette étude.

Pour Gaël Darren Maganga co-responsable de l’unité « Emergence des maladies virales » au département de virologie du Centre interdisciplinaire de recherches médicales de Franceville (CIRMF) au Gabon, « cette étude vient confirmer les recherches précédentes qui démontraient déjà une chronicité de l’infection chez certaines personnes, avec une persistance du virus dans les urines, le sperme et le lait chez des individus ne présentant plus aucun symptôme. »

En effet, cette étude menée sur une vingtaine de patients guéris d’Ebola par des chercheurs du CIRMF en collaboration avec l’IRD et publiée en 2009 avait montré la présence d’immunoglobulines de type G (anticorps luttant contre les infections bactériennes, virales ou fongiques) 7 à 11 ans après leurs guérison.Johan Van Griensven, chef de l’unité VIH et maladies tropicales négligées à l’Institut de médecine tropicale d’Anvers (Belgique) se félicite lui aussi de cette « étude longitudinale soigneusement menée et fournissant des informations plus précises sur certains aspects par rapport à la littérature existante ».

Mais, il relève qu’il y a « une certaine subjectivité » dans les données rapportées. « Comme le reconnaissent les auteurs, dit-il, la principale limite est l’absence d’un groupe témoin. Une autre limite est qu’ils se focalisent principalement sur les symptômes, sans disposer de données solides sur les signes cliniques et les anomalies objectives dans les différents organes. »

Pour ce dernier, il demeure encore de nombreux facteurs que l’on ne comprend pas concernant les séquelles à long terme chez les survivants d’Ebola. Johan Van Griensven cite par exemple le fait qu’on ne sache pas si les caractéristiques virales (la souche virale à l’origine de l’épidémie dans une zone spécifique) ont une influence sur la fréquence et le type de telles complications.

« En outre, dit-il, par rapport à l’épidémie en Afrique de l’Ouest, l’accès au traitement spécifique d’Ebola a considérablement augmenté, et nous ne connaissons pas leur effet sur les séquelles chez les survivants ».

Dès lors, déduit Gaël Darren Maganga, « le suivi des personnes guéries paraît donc essentiel afin de mieux comprendre la dynamique de l’infection chez l’homme ».