08/05/15

L’anthropologie : une contribution nécessaire pour la lutte contre les épidémies

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Crédit image: Flickr/ Corporal Paul Shaw/MOD

Lecture rapide

  • Les personnes qui refusent de prendre précautions contre la fièvre Ebola ont des raisons d’être suspicieuses
  • Les stratégies qui supposent que tout le monde pense et croit de la même façon ne marcheront pas
  • Les crises sanitaires nécessitent une contribution des sciences sociales, telles le réseau en ligne créé pour la fièvre Ebola

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L'épidémie de fièvre Ebola montre la valeur des sciences sociales pour une riposte  et une planification d'urgence, selon Annie Wilkinson.

L'épidemie de fièvre Ebola en Afrique de l'Ouest a été fondamentalement sociale, en se propageant à travers des réseaux de personnes et en affectant ceux prenant soin des malades et des morts.

Beaucoup a été écrit au sujet de la résistance sociale aux stratégies de lutte, mais de précédentes épidémies de fièvre Ebola montrent que les populations locales s’inspirent de toute une gamme de connaissances pour concevoir des stratégies de lutte efficaces qui rompent avec les normes sociales et rituelles.

Les données issues de la présente épidémie montrent également que les comportements adaptatifs interviennent rapidement.

L'action locale…

La fièvre Ebola a frappé de plein fouet l’agglomération de Monrovia, au Libéria, en juillet 2014.

Au début de septembre, les communautés organisaient des groupes de travail pour la surveillance des quartiers, et les familles planifiaient la façon dont elles allaient s’occuperaient de leurs prochesatteints par la maladie. [1]

L'utilisation de sacs en plastique comme équipements de protection individuelle de fortune (EPI) était une innovation locale qui s’est transmise rapidement par le biais des médias sociaux et du bouche -à-oreille. [2]

En Sierra Leone, les villageois connaissent maintenant bien les modes de transmission de la fièvre Ebola et bon nombre ont changé leurs pratiques de soins. [3]

Les gens signalent les malades et les décès aux chefs de villages ou aux services d'assistance téléphonique, et généralement respectent les mesures telles que la quarantaine et les pratiques funéraires sûres.

Contrairement à ce qui se passait au cours des premiers mois de la crise, la plupart des alertes à la fièvre Ebola sont maintenant traitées rapidement et sans problèmes.

Les corps sont enterrés, les cas étudiés et la plupart des maisons mises en quarantaine reçoivent des rations alimentaires.

… Et la réaction

Pourtant, certains aspects des efforts de lutte restent problématiques.

La résistance, parfois violente, continue en Guinée.

En Sierra Leone,  lorsque les membres d'une communauté de pêcheurs se sont dispersés pour échapper à la quarantaine, une recrudescence du nombre des cas a suivi.

Les archives montrent une résistance faible mais persistante: la dissimulation des personnes malades, des cas suspects ‘en fuite’, des soins médicaux illicites et des corps lavés avant que les parents n’appellent les équipes en charge des inhumations.

Les raisons de ces incidents ne sont pas bien comprises.

Ils sont souvent mis sur le compte de l'égoïsme, de l'entêtement ou d’une culture traditionnelle profondément enracinée.

Mais leur rejet ou leur formulation en termes de ‘culture’ est une erreur, qui gêne les efforts de compréhension et de collaboration avec les gens en situation de risque.

Pour qu’il soit efficace, le système de riposte doit reconnaître la manière dont les groupes locaux réagissent et s’organisent pour contenir une épidémie, et soutenir ces groupes.

Il doit également lutter contre la peur et la méfiance.

La méfiance et les suppositions

Les sciences sociales et l'anthropologie peuvent aider à reconnaître la façon dont les comportements reflètent la culture et la politique.

Cela vaut autant pour le mécanisme de réponse que pour la culture des populations locales.
 
Comme cette épidémie l’a montré, la méfiance et les idées reçues peuvent gêner les interactions entre les personnels chargés de la lutte et les communautés.

Les responsables peuvent supposer par exemple une ignorance de la part des populations rurales, pendant que les populations marginalisées pourraient soupçonner les milieux officiels d’arrière-pensées — leurs soupçons étant parfois renforcés par des informations faisant état de détournements de fonds destinés à la lutte contre la fièvre. [4]

Des agents de sensibilisation communautaire en Sierra Leone se sont plaints que l'un de leurs plus grands problèmes a été que parfois les gens ne les prenaient pas au sérieux, parce qu'ils pensaient qu'ils étaient tout simplement là pour se faire de l'argent.

De fait, beaucoup de choses peuvent paraître suspectes: des ‘bénévoles’ qui reçoivent un traitement; des messages contradictoires qui, au début ont mis l’accent sur la viande de brousse et certains décès consécutifs à une infection, mais évitant ensuite le contact corporel et recherchant un traitement hospitalier.

On peut mentionner aussi des 'solution universelles',  maladroitement appliquées.

Prenons l'exemple d'une politique générale en Sierra Leone suivant laquelle toutes les inhumations doivent être effectuées par des équipes spécialisées.

Pour certains villageois, cette règle d’'inhumations sûres' signifiait que, selon les autorités, tous les décès étaient dus à la fièvre Ebola.

Ainsi, une politique née de la précaution a été contestée parce qu’elle est arrivée dans les villages reculés sans une explication adéquate de sa logique, et a conduit à des doutes quant à la maladie.
 
Vues sous cet angle, les dernières résistances aux mesures à prendre pour lutter contre la fièvre Ebola peuvent avoir moins à voir avec la culture traditionnelle ou l'ignorance qu’avec les contradictions qui engendrent la méfiance.

Vision à long terme

 
Donc, les sciences sociales proposent des idées qui peuvent renforcer la riposte aux épidémies à court terme.

Elles peuvent également proposer des perspectives à long terme sur les origines des opinions locales.

Ebola a trouvé un terrain fertile en Afrique de l'Ouest parce que la méfiance et la suspicion sont enracinées dans un passé d'exploitation – par les élites et les ‘étrangers’ — des esclaves, de la terres ou des minéraux.

Une telle logique ne peut pas être facilement défaite.

Mais en être conscient permet de mieux comprendre comment certaines interventions (telles que les tests qui nécessitent des échantillons de sang) peuvent être mal interprétées, de façon à éviter  les réactions négatives (telles que les accusations de vol de sang).

Il suffit souvent de prendre un peu plus de temps pour expliquer les choses pleinement.

Il y aurait de bonnes raisons de ralentir quelque peu la cadence, de prendre du temps pour coordonner les messages et les activités, et de reconnaître humblement les erreurs passées.


S’inspirer d’un réseau plus large

Il est difficile mais possible d’introduire le point de vue des sciences sociales dans une intervention d'urgence.

Un réseau constitué au cours de cette épidémie — la Plate-forme anthropologique de réponse au virus Ebola et l’Initiative anthropologique contre le virus Ebola — a réuni un ensemble de connaissances obtenues du public et fourni des conseils sur des sujets allant de la conception et de l'éthique des essais cliniques aux outils pour soutenir l'action communautaire contre la fièvre Ebola.

Cette initiative réunit des données venant de gens qui ont tout un éventail de connaissances et de savoir-faire, et pas seulement des spécialistes de l'anthropologie médicale.

Ces sources ne  seraient pas, en règle générale,  les noms ou les spécialistes vers lesquels on se tournerait dans une situation d’épidémie.

L'initiative complète donc la recherche à court terme et les déploiements sur le terrain, qui sont plus courants.

L’inclusion d’anthropologues dans les comités consultatifs scientifiques est une autre façon de faire intervenir cette expertise.

L'épidémie de fièvre Ebola a montré la valeur de l'anthropologie, et a créé une occasion de faire intervenir l’éclairage des sciences sociales dans les opérations sanitaires d'urgence.

Le changement des comportements et les stratégies de lutte ne doivent pas nécessairement partir du fait que tout le monde pense et croit de la même façon – ce qui n’est probablement pas du tout réalisable.

Au lieu de cela, les réponses doivent être organisées autour d’une collaboration significative dès le début, d'une manière qui permette une participation des populations locales et l'utilisation de toute une gamme de connaissances diverses.

Annie Wilkinson est chercheuse postdoctorale à l'Institute of Development Studies (IDS). Elle a effectué des recherches sur la fièvre de Lassa et la fièvre Ebola en Sierra Leone et fait partie du groupe de pilotage de la Plateforme anthropologique de réponse au virus Ebola. Elle peut être contactée à: [email protected]

Cet article fait partie de notre Dossier intitulé : La gestion des crises sanitaires après la fièvre Ebola.

Références

[1] Sharon A. Abramowitz et autres Les réponses communautaires à la fièvre Ebola dans le Liberia urbain: la vue de dessous (Plate-forme anthropologique de réponse au virus Ebola, consultée le 7 avril 2015)  
[2] Elizabeth Cohen Une femme sauve trois de ses parents de la fièvre Ebola (CNN, 26 septembre 2014)
[3] Paul Richards et autres Les réponses des villages à la maladie à virus Ebola dans le centre rural de la Sierra Leone ((Plate-forme anthropologique de réponse au virus Ebola, janvier 2015)
[4] BBC News Un audit de la Sierra Leone affirme que des fonds pour la lutte contre la fièvre Ebola sont manquants (BBC, 13 février 2015)