10/01/20

Q&R : Être dévoué pour combattre le cancer du col utérin

Cancer cell
Crédit image: Image by skeeze from Pixabay

Lecture rapide

  • Le cancer du col de l’utérus est le deuxième cancer le plus fréquent chez les femmes en Afrique
  • Malgré la disponibilité des vaccins contre la maladie, l'accès au dépistage et au traitement est essentiel
  • Les jeunes femmes qui aspirent à faire carrière dans la science doivent être dévouées

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Le cancer du col de l'utérus, une maladie causée par papillomavirus humain (PVH), est une grande préoccupation en Afrique.
 
Cette maladie sexuellement transmissible est le deuxième cancer le plus fréquent chez les femmes africaines, selon le Centre international de recherche sur le cancer, une filiale de l'Organisation mondiale de la santé.
 
Sur les 119 284 femmes qui contractent le cancer du col de l'utérus chaque année en Afrique, 81 687 meurent de la maladie. Avec environ 372,2 millions de femmes âgées d'au moins 15 ans qui présentent le risque de développer cette pathologie en Afrique, certains scientifiques sont à l'œuvre pour mettre fin à cette épidémie.
 
Lynette Denny, professeure et chef du département d'obstétrique et de gynécologie à l'université du Cap en Afrique du Sud et à l'hôpital Groote Schuur, mène des recherches sur la prévention et le traitement du cancer du col de l'utérus chez les femmes pauvres depuis 25 ans. 

Je voudrais dire aux jeunes femmes qui souhaitent se lancer dans des carrières scientifiques qu’elles doivent être dévouées

Lynette Denny, Université du Cap

Dans une interview accordée à SciDev.Net en décembre 2019, cette dernière décrit son parcours qui fait d’elle l'une des meilleures femmes scientifiques en Afrique, et explique comment son désir de redonner à la société l'aide à lutter contre le cancer du col de l'utérus sur le continent.
 

Où êtes-vous née et comment s'est passée votre petite enfance ?

Je suis née à Pretoria mais j'ai grandi à Durban, en Afrique du Sud. Mes parents m'ont appris à être contre l'apartheid, la ségrégation raciale. Ma mère, féministe de son état, m'a fortement inculqué un rejet de l'oppression des femmes et des Noirs.
 
Le chemin a été long, de l’école primaire à la réalisation des thèses de master et de doctorat au niveau universitaire.
 
Ma première prise de conscience des horreurs de l'apartheid s'est développée lorsque j'avais environ 12 ans. J'ai été exposée aux conditions dans lesquelles les Noirs ont été contraints de vivre. Je ressentais une rage particulière envers le racisme et le sexisme systématiques et institutionnels pratiqués dans le pays et je n’arrivais pas à comprendre la profondeur de la cruauté infligée aux autres.
 

Pourquoi avez-vous choisi de faire des recherches sur le cancer du col de l’utérus ?

J'ai concentré mes recherches sur le cancer du col de l'utérus parce que c'est un type de cancer qui peut être évité et traité. En Afrique du Sud, la maladie est particulièrement courante chez les femmes noires pauvres qui ont un accès limité aux soins de santé.

Il existe plus de 200 types de papillomavirus humain (PVH), dont 40 infectent les voies génitales et environ 14 sont associés au cancer. Tous les types de PVH ne causent pas le cancer. Le papillomavirus humain peut faire évoluer les cellules du col de l'utérus en cellules anormales. Ces cellules ont le potentiel de se transformer progressivement en cancer sur une période de 10 à 15 ans.

Professor Lynette Denny

Le test PAP est un type de test capable de détecter ces cellules anormales. Si les femmes en ont, elles sont référées à des médecins comme moi pour une évaluation plus approfondie. Si des anomalies sont détectées, la zone anormale peut être enlevée chirurgicalement par un processus appelé ablation. Cette approche nécessite l'accès à un site pour prélever les frottis, un laboratoire pour les tester, des moyens pour restituer le résultat au patient et au personnel capable de réaliser le traitement approprié.
 
En 1995, mon équipe et mes collaborateurs de l'université de Columbia aux États-Unis ont reconnu les limites des test PAP et le besoin de laboratoires et de personnel appropriés. Nous avons ensuite fait une étude comparant le test PAP à trois autres types de tests de dépistage : test du col avec le PVH, inspection visuelle du col avec de l'acide acétique, et utilisation d’un appareil photo spécialement adapté pour créer une photographie du col, appelée cervigramme.
 
Nous avons fait le dépistage sur 3 000 femmes, suivies par 3 000 autres. Et après environ 7 000 femmes examinées, nous avons comparé les différents tests.
 
Les programmes de dépistage du cancer du col utérin restent essentiels pour réduire la maladie chez les femmes malgré la disponibilité des vaccins contre le PVH. Le dépistage est important pour toutes les femmes, particulièrement pour les femmes vivant avec le VIH, étant donné la prévalence élevée du PVH dans ce groupe et les risques associés à la progression malgré le traitement antirétroviral. Actuellement, les programmes de dépistage et de traitement basés sur le PVH sont recommandés par l'Organisation mondiale de la santé.
 

Quelles autres recherches menez-vous pour lutter contre le cancer du col de l'utérus en Afrique du Sud?

Dans nos travaux en cours, nous étudions l'utilité clinique d'une nouvelle méthode d'imagerie numérique automatisée du col de l'utérus. Nous évaluons l'efficacité de l'intégration de cette nouvelle technologie mobile dans les programmes de dépistage du cancer du col de l'utérus pour les pays à revenus faibles et intermédiaires. Nous misons sur une collaboration à long terme entre l'université du Cap et l'université de Columbia qui a démontré l'innocuité et l'efficacité du dépistage et du traitement à base de PVH en Afrique du Sud.
 
Nous avons récemment terminé une étude démontrant la faisabilité et les performances exceptionnelles d'un test ADN du PVH en Afrique du Sud. Il s'agit d'un test de laboratoire dans lequel des cellules sont extraites du col de l'utérus pour identifier la constitution génétique ou l'ADN du PHV.
 
Nous nous proposons d'étendre ce travail pour étudier si l'imagerie numérique automatisée peut être utilisée comme test de dépistage autonome pour remplacer le test ADN du PVH et si l'imagerie numérique automatisée peut être utilisée comme test de triage pour les femmes qui ont eu un résultat positif au test ADN du PVH. En outre, nous cherchons à étudier les défis opérationnels en vue de faciliter l'intégration de la nouvelle technologie d'imagerie dans les programmes de dépistage du cancer du col utérin.
 
Nous voulons entreprendre des études pour répondre à ces objectifs chez les femmes vivant avec et sans le VIH en Afrique du Sud. Notre objectif global est de renforcer les approches de dépistage du cancer du col de l'utérus afin de réduire les coûts et d'améliorer l'efficacité du dépistage.
 

Quels sont les jalons de votre parcours pour devenir une femme scientifique africaine de premier plan?

Mon équipe et moi avons reçu de nombreux prix et remerciements pour notre travail. J'ai reçu le premier prix « Shoprite Checkers SABC 2 » de la femme de l'année pour la science et la technologie en 2004. J'ai également été honorée par le Centre international de recherches sur le cancer.
 
En 2012, j'ai reçu un prix du Royal College of Obstetrics and Gynecology, basé au Royaume-Uni. J'ai également été récompensée par le prix humanitaire de l'International Gynecologic Cancer Society.
 
Et en novembre dernier, j'ai été honorée d'une médaille d'or pour l'ensemble de mes réalisations scientifiques par la South African Medical Research Council (Conseil sud-africain de la recherche médicale). C'est un grand honneur qui justifie tout le dévouement que cela exigeait de moi. Il est important de reconnaître que le travail a été fait en équipe avec l'intention de réconforter nos patients.
 

Comment équilibrez-vous votre carrière universitaire et vos autres responsabilités dans la vie?

La collaboration étroite avec une variété de spécialistes tels que des pathologistes et des épidémiologistes a été essentielle à notre réussite et nous avons veillé à ce que les résultats de nos travaux servent aux femmes qui participent à nos études de recherche au niveau des soins de santé primaires.
 
Une carrière universitaire est difficile et le travail semble toujours plus volumineux et requiert ma plus grande attention. Les responsabilités de la vie à la maison pourraient nuire au travail académique. Cependant, il faut trouver un équilibre entre les deux.
 

Qu'est-ce qui vous inspire le plus dans votre carrière?

J'ai été inspirée par mes collaborateurs, en particulier ceux de l'université Columbia et le désir de fournir des soins de santé de qualité à mes patients, ainsi que la formation de mes collègues. Je ressentais et ressens également un fort désir de redonner à la société. Je crois que la recherche n'est pas un luxe; c'est une nécessité.
 
Quand j'ai commencé ma carrière il y a de nombreuses années, je ne m'imaginais pas arriver là où je suis aujourd'hui. Et je voudrais conseiller aux jeunes femmes africaines qui veulent se lancer dans des carrières scientifiques qu'elles doivent être dévouées et se rendre compte que ce n'est pas un voyage facile. Cependant, plus vous travaillez dur, plus la satisfaction est grande.
 
Les questions et les réponses sont éditées par souci de précision et de clarté.
 
Cet article a été produit par le desk anglophone de SciDev.Net pour l'Afrique subsaharienne.

Références

Human Papillomavirus and Related Diseases Report (HPV Information Centre), 2019.