08/09/09

Les complexités du climat suscitent des polémiques sanitaires

Les modèles climatiques — et par conséquent les modèles des maladies -- sont pleins d’incertitudes Crédit image: VETS/UCAR

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Justine Davies explique pourquoi la modélisation de l’influence des changements climatiques sur les maladies à transmission vectorielle est extrêmement complexe – suscitant une polémique croissante.

C’est une idée attirante, aux implications considérables : les changements climatiques pourraient favoriser la propagation vers de nouvelles zones géographiques de certaines des maladies infectieuses les plus mortelles, accroissant ainsi leur fardeau dans le monde en développement.

La théorie est apparu il y a plusieurs décennies déjà – et les scientifiques s’attèlent à la conception de modèles visant à prédire où exactement les maladies infectieuses se propageront, et à quel point leur incidence progressera. Ils ont publié 4 000 articles sur ce sujet rien qu’en 2008 – et certains chercheurs ont publié des preuves qui semblent indiquer que l’avancée des maladies est déjà lancée.

“L’idée est intuitivement séduisante et s’est répandue”, affirme Kenneth Wilson, de l’Université de Lancaster, au Royaume-Uni.

Cette année, pourtant, des voix discordantes se sont fait entendre, soulevant des questions difficiles quant aux modèles utilisés par les scientifiques, aux données qui y sont exploitées. Certains mettent en doute la capacité même de modèles améliorés
à prédire un jour la manière dont les maladies réagiront aux changements climatiques.

Des dissensions croissantes

Dans un article soumis à la revue de la Société écologique des Etats-Unis ou Ecological Society of America appelée Ecology, Kevin Lafferty a mis en doute cette orthodoxie, et suggéré que certaines maladies pourraient même reculer avec les changements climatiques. Chargés d’assurer la qualité scientifique de l’article, ses pairs ont alors exprimé leurs vives préoccupations. Les opinions étaient si tranchées que la Société prit une décision inhabituelle.

L’article de Lafferty, affilié à l’Université de Californie, Santa Barbara, aux Etats-Unis, serait bien publié. Mais les "points de vue extrêmes et opposés" – c’est ainsi que Wilson décrit les réactions des examinateurs de l’article de Lafferty – le seraient aussi. Le résultat a été 46 pages de débats (voir Débat sur les effets des changements climatiques sur les maladies).

La revue estime le débat profond, ayant des implications qui s’étendent au-delà du monde de la science, touchant les professionnels de la santé, les conversationnistes, et les responsables politiques.

“Mettre en doute l’association entre les changements climatiques et les maladies infectieuses pourrait l’allocation des financements et créer des retombées politiques“, explique Wilson dans une introduction au débat dans la revue.

Deux problèmes

La maladie de Chagas se transmet par une piqûre d’insecte

Flickr/gauchocat

Les chercheurs tiennent particulièrement à modéliser les implications des changements climatiques pour les maladies infectieuses transmises par des vecteurs. Parmi elles figurent des maladies transmises par des insectes comme le paludisme, la dengue, la maladie du sommeil, la maladie de Chagas ou la leishmaniose. Elles sont transmises aux êtres humains lorsque les moustiques, mouches tsé-tsé, insectes de contact ou phlébotomes sucent le sang humain. Parfois, ces insectes assurent la transmission des maladies infectieuses entre les humains, parfois entre les humains et les animaux.

Le problème a un double aspect. D’une part, es scientifiques ne comprennent pas encore les innombrables manières dont les conditions atmosphériques influencent cette transmission. Les modèles dépendent donc de nombreuses hypothèses, explique Simon Hay, un spécialiste en statistiques des maladies infectieuses à l’Université d’Oxford, au Royaume-Uni. D’autre part, il fait remarquer que ces modèles projettent des scénarios climatiques futurs, qui sont également des prédictions.

“Il y a donc deux grandes sources d’erreur potentielles ", affirme-t-il.

Les scientifiques ont développé deux types de modèle. Les modèles statistiques exploitent des données sur des climats où ces maladies ont existé par le passé, afin de prédire où elles seraient susceptibles de survenir dans l’avenir.

Les modèles biologiques, quant à elles, examinent la manière dont le climat et ses évolutions pourraient avoir un effet sur les facteurs complexes intervenant dans la transmission des maladies comme, par exemple, la fréquence des piqûres, la durée de vie du vecteur, ou le temps nécessaire pour le développement du virus ou du parasite en son sein.

Sans une compréhension totale de la façon dont les conditions météorologiques influencent le chemin tortueux menant à la transmission des maladies, chacun des modèles comporte des lacunes.

Complexité biologique et simplicité statistique

Les scientifiques élaborant des modèles biologiques se sont concentrés le plus souvent sur le paludisme. Leurs modèles doivent refléter la manière dont une augmentation de la température ou des précipitations pourrait avoir une influence sur les populations de moustiques. L’élévation des températures conduit un moustique à se nourrir plus fréquemment, multipliant ainsi les possibilités de transmission de toute infection dont il est porteur, affirme Menno Bouma, du London School of Tropical Medicine and Hygiene, au Royaume-Uni.

Mais il serait trop simpliste de conclure que la prévalence du paludisme augmentera inévitablement avec le réchauffement de la planète. Son parasite est complexe. Ses phases de développement chez le moustique et l’être humain diffèrent et nous ne comprenons pas encore comment le climat les influence.

Krijn Paaijmansa, spécialiste dans le domaine de la dynamique des maladies infectieuses auprès de l’Université d’Etat de Pennsylvanie, aux Etats-Unis, a récemment démontré que même des fluctuations de température en une seule journée ont leur impact, et devraient donc être prises en compte dans les modèles.

Si, suite aux changements climatiques, de grandes différences se creusent entre les températures diurnes et nocturnes, le parasite peut ne passer qu’un bref temps dans sa ‘zone de confort’ de température, où il lui est possible de se développer rapidement. Si le parasite se développe plus lentement chez le moustique, il est possible que le moustique, dont la durée de vie est courte, meure sans avoir pu transmettre l’infection.

Des problèmes supplémentaires viennent complexifier la donne pour d’autres maladies – la fièvre jaune par exemple dispose d’un deuxième réservoir, chez les singes.

Les singes sont un réservoir de maladies comme la fièvre jaune

Flickr/teague_o

Les modèles statistiques, de leur côté, sont confrontés à plusieurs problèmes ;beaucoup viennent de la nécessité de dissocier les effets du climat d’autres facteurs possibles.

"Par le passé, l’élévation de la température s’est accompagnée de l’aggravation d’autres facteurs qui peuvent favoriser la propagation des maladies à transmission vectorielle", affirme Sarah Randolph, écologiste des parasites à l’Université d’Oxford, au Royaume-Uni. La population peut avoir augmenté ; la résistance aux médicaments peut s’être accrue. Si les scientifiques ne parviennent pas à déterminer le rôle joué par le climat par le passé, ils ne pourront prédire son comportement dans l’avenir.

Incertitudes liées au climat

Le second des deux problèmes auxquels les modélisateurs font face vient de l’incertitude même des modèles climatiques.

“Il est difficile de prédire le degré de réchauffement d’une zone particulière donnée”, explique Andy Morse de l’Université de Liverpool, au Royaume-Uni. Les tropiques pourraient ainsi connaître un degré de réchauffement inférieur à celui des latitudes situées plus au nord.

D’autant plus, soutient Morse, que les futurs scénarios de précipitations, élaborés par le Groupe d’Experts intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) sont moins robustes encore que les scénarios de températures. Certains prédisent plus de précipitations, d’autres moins– alors qu’en moyenne, il pourrait n’y avoir que de petits changements.

En outre, ajoute Madeleine Thomson de l’Institut international de Recherche sur le Climat et la Société, les scénarios du GIEC ne sont le reflet que d’une tendance à long terme, avec des fluctuations probables. Une décennie de refroidissement pourrait ainsi se superposer à une tendance à long terme de réchauffement.

Comment les modèles peuvent-ils correctement évaluer les effets de protection accordée par les moustiquaires?

Flickr/Vestergaard Fransen

D’autres facteurs encore échappent à de nombreux modèles. Pour donner un exemple simple, mais parlant : un acteur principal en matière de transmission des maladies pourrait ne pas être capable d’atteindre un cadre par ailleurs idéal. L’Amérique du Nord avait ainsi un environnement approprié pour le moustique Aedes albopictus, explique Randolph, mais ce n’est qu’après avoir traversé le Pacifique depuis le Japon dans des lots de pneus usagés que l’espèce est apparue sur le continent.

Même si les protagonistes sont présents, et que les modèles prédisent avec exactitude si les maladies pourraient émerger, un autre niveau de complexité subsiste : la vulnérabilité aux infections. Le modèle évalue-t-il les niveaux de l’infection à VIH, qui rend les gens plus susceptibles, demande Thomson ?

Et le modèle peut-il évaluer les effets de protection accordés par l’utilisation des moustiquaires, la pulvérisation ou les médicaments ? Lafferty, l’auteur de l’article controversé dans Ecology, soutient même que les infections pourraient reculer si le paludisme se déplace vers le nord, pour atteindre des pays plus développés ; mieux armés contre la maladie.

Les populations varient aussi sur le plan de la densité – un aspect que certains modèles ne prennent pas en considération. De nombreux modèles, dont celui co-publié par Randolph dans la revue Science, semblent indiquer que le paludisme disparaîtra de certaines régions pour en envahir d’autres – amenant au final peu de changements sur son étendue globale.

Mais si le paludisme réussit à gagner, comme certains le prévoient, les régions montagneuses d’Afrique, le parasite y trouvera des densités de population jusqu’à 100 fois supérieures les régions sèches. "Cela provoquerait une augmentation spectaculaire du nombre de cas de paludisme", affirme Bouma.

Si le paludisme se répand dans les montagnes africaines, le parasite y trouvera des densités de population jusqu’à 100 fois supérieures

Flickr/Kakenyi

Trop spécifiques pour être utiles

Certains scientifiques soutiennent que le modèle parfait est probablement impossible à élaborer. Sa conception pourrait même ne pas être souhaitable, tant le modèle ne serait approprié que pour une région infiniment petite ; son utilité en serait donc limitée.

Pour Andrew Dobson de l’Université de Princeton, aux Etats-Unis, “si de très nombreux facteurs interviennent dans un modèle, le modèle sera certes très approprié, mais trop spécifique.”

Dans ce cas, s’il faut attendre le jour où les modèles soient suffisamment solides pour toutes les situations, ne sera-t-il pas trop tard ? Dobson rejette cette idée : "Il n’est jamais trop tard. La science de l’élaboration des modèles pour les maladies à transmission vectorielle est relativement nouvelle, et attire de plus en plus de scientifiques”, ajoute-t-il.

Certains analystes font remarquer que la solidité d’un modèle dépend du problème que l’on se pose.

”Nous devons commencer par savoir quel est le problème à résoudre,” explique Thomson. ”A une échelle globale, à long terme, les modèles prédisant des changements chez les maladies à transmission vectorielle sur la base des scénarios du GIEC sont utiles pour encourager les pays à agir afin d’atténuer les changements climatiques".

Elle souhaiterait néanmoins voir deux changements intervenir dans la façon d’aborder la modélisation.

“Les scientifiques doivent s’accorder : qu’est ce qui constitue une preuve ? Il faudra travailler en étroite collaboration avec les climatologues de manière à pouvoir comprendre et interpréter les données".

Elle insiste également sur le rôle des pays en développement: "Les scientifiques internationaux n’utilisent souvent que des produits climatiques mondiaux. Les agences météorologiques nationales et les scientifiques locaux ont souvent des information locales de meilleure qualité".

Quant à Wilson, il conclut son article en insistant sur des points suscitant le consensus auprès des scientifiques : les changements climatiques influent sur et modifient la distribution et la fréquence de certaines maladies infectieuses et continueront dans ce sens ; isoler la façon dont le climat influence la propagation des maladies est un défi difficile à relever ; les données et les différentes façons d’aborder la modélisation doivent être améliorées ; et certains facteurs intrinsèques à des maladies spécifiques – comme l’évolution ou l’immunité – auront aussi leur rôle à jouer.

La question épineuse de l’importance des changements climatiques dans les distributions changeantes des maladies infectieuses ne sera résolue qu’à condition de réunir deux ingrédients essentiels : des débats éclairés et le passage du temps. Ce sont ses conclusions.