08/05/15

Communication de crise sur Ebola : Faits et chiffres

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Crédit image: Samuel Aranda / Panos

Lecture rapide

  • L’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest a décomposé le tissu social de communautés entières
  • Les vulnérabilités historiques et la communication ont eu un impact réel sur l’action d’urgence
  • Les défaillances et les succès de la communication sont riches d’enseignements pour les futures crises sanitaires

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Les défis posés par l’épidémie d’Ebola sont riches d’enseignements pour les futures urgences sanitaires. Elizabeth Smout analyse les succès et les échecs de la réponse. 

L’épidémie d’Ebola en cours en Afrique de l’Ouest a fait des ravages en Guinée, au Libéria et en Sierra Leone.

C’est la plus grande épidémie jamais enregistrée de cette maladie (voir figure 1), et les conséquences économiques en sont particulièrement lourdes, représentant un manque à gagner du PIB (produit intérieur brut) de l’ordre de US$ 25,2 milliards pour la période 2014-15, selon les chiffres de la Banque mondiale. [1]

Si le nombre de décès constitue une mesure évidente du coût humain, ce total ne traduit pas pleinement l’ampleur des ravages de l’épidémie.

Car le virus se transmet par des comportements qui relèvent du meilleur de l’être humain – le soin proposé aux malades, le respect accordé aux morts, l’échange d’affection entre personnes ; cette épidémie a donc su défaire le tissu social de communautés entières. 
 


Figure 1
Figure 1. Comparaison entre tous les cas d’Ebola notifiés précédemment et l’épidémie de 2014.

Ebola Timeline French
Figure 2. ENLARGE ICONPour voir l'historique complet des épidémies d'Ebola en Afrique de l'Ouest, téléchargez cette chronologie en haute résolution (552KB) ou en basse résolution (191KB).

L’isolement et la prise en charge des personnes infectées ou suspectées d’être infectées par le virus Ebola représentent la principale stratégie de lutte contre la flambée de cette maladie grave et méconnue (voir encadré 1).

Aussi adaptée que soit une telle stratégie d’un point de vue médical et scientifique, cette riposte s’est néanmoins heurtée à des dynamiques sociale, culturelle et politique.

Il est donc pertinent de procéder, sous le prisme de la communication et des sciences sociales, à un examen critique des difficultés et des expériences lors de la réponse à cette épidémie, afin de dégager des leçons pour de futures actions de santé publique face aux flambées de maladies infectieuses.


Encadré 1. Ebola : faits et chronologie
  • La maladie
  • La maladie à virus Ebola est une fièvre hémorragique virale causée par les filovirus. Il existe cinq souches connues du virus d’Ebola.
  • Transmission animale
  • Les humains peuvent être contaminés après un contact rapproché avec des animaux infectés, comme les chauves-souris et les singes.
  • Transmission humaine
  • La maladie peut se transmettre d’une personne à l’autre par un contact direct avec le sang ou les sécrétions infectés, ou par le contact avec une personne récemment décédée de l’infection.
  • Mythes
  • Il n’existe aucune preuve qu’Ebola puisse être véhiculé par l’air, l’eau, les aliments ou les moustiques..
  • Incubation
  • Le temps écoulé entre l’infection par le virus Ebola et les premiers symptômes peut varier de 2 à 21 jours. 
  • Symptômes
  • Les symptômes de la maladie sont nombreux : fièvre, céphalées, douleurs musculaires et articulaires, irritation de la gorge et une faiblesse musculaire. On observe ensuite diarrhées, vomissements, éruptions cutanées, douleurs abdominales et troubles de la fonction rénale et hépatique. Les stades avancés s’accompagnent d’hémorragies internes et externes, notamment du nez, des oreilles et de la bouche.
  • Mortalité 
  • Au moins 50 pour cent des personnes infectées par la maladie à virus Ebola en meurent. Il n’existe aucun traitement ou vaccin homologué contre la maladie.

Source : Center for Disease Control and Prevention [2]
 



Des vulnérabilités historiques
 
Il est nécessaire de se pencher sur l’histoire de l’Afrique l’Ouest pour comprendre comment l’épidémie d’Ebola s’est établie dans la région. Plusieurs décennies de guerre civile ont détruit les systèmes de soins de santé et les autres infrastructures en Guinée, au Libéria et en Sierra Leone. Pour se soigner dans ces pays, la population recourt principalement à des traitements alternatifs, non fondés sur des données probantes.

L’automédication ou le recours aux tradipraticiens est répandu dans la région, les établissements publics de santé ne disposant pas de personnels, de stocks de médicaments ou d’équipements suffisants. Au cours de l’épidémie, les malades se sont parfois tournés vers des agents de santé du secteur informel en raison d’une croyance répandue : le virus Ebola aurait pour origine les hôpitaux et les établissements de santé, notamment ceux gérés par les organisations internationales.

 
Dans un entretien à SciDev.Net, Melissa Leach, directrice de l’Institut des Etudes sur le Développement de l’université du Sussex au Royaume-Uni, évoque avec Imogen Mathers la méfiance de la population locale, lors de l’épidémie de la fièvre à virus Ebola, à l’égard des services de santé proposés par les établissements publics nationaux et internationaux.

Elle analyse les raisons sociales et historiques pour lesquelles en Guinée, au Libéria et en Sierra Léone, la population peut se montrer méfiante à l’égard des agents de santé intervenant en situation d’urgence dans le cadre de missions pour le compte de leurs gouvernements ou des ONG internationales. 

 
L’héritage de la colonisation et des conflits postcoloniaux influe sur la communication entre la population locale et les organisations intervenant dans le cadre de l’épidémie. La Guinée, le Libéria et la Sierra Leone ont connu de longues années d’oppression, d’inégalités, et d’exploitation internationale et nationale des richesses de la région.

Ce passé a engendré une certaine suspicion quant aux motivations réelles des gouvernements étrangers, ainsi qu’un rejet des messages de santé publique au profit d’une interprétation plus individuelle des origines de l’épidémie. [5] La méfiance qui en découle a entravé la diffusion des messages officiels de santé publique. [6] 
 

La rumeur et la désinformation autour de la maladie ont même débordé sur la sphère politique. En Sierra Leone, par exemple, lorsque les premiers cas sont apparus à Kailahun, district situé dans le fief du principal parti d’opposition, ils ont suscité l’apparition de rumeurs selon lesquelles le parti au pouvoir avait créé des ‘escadrons de la mort’ avec pour mission de conduire des communautés entières dans des centres de traitement pour leur administrer une injection létale afin d’affaiblir les rangs de l’opposition.

Au Libéria, la Présidente Ellen Johnson Sirleaf a été accusée d’empoisonner délibérément la population et d’exagérer l’ampleur de l’épidémie afin de bénéficier des fonds des bailleurs internationaux. [7] 

 
Le mauvais état des infrastructures entrave également l’efficacité de la communication, car une stratégie de communication optimale ne saurait pallier à l’absence de routes ou de réseaux de transport pour évacuer les malades vers les centres de traitement, ou à la faiblesse du réseau de télécommunications entravant la dissémination des messages de santé publique au profit des populations vivant en zones reculées.

En revanche, la circulation des personnes est fluide en Afrique de l’Ouest. La mobilité de la population dans cette région est considérée comme étant sept fois supérieure à la moyenne mondiale. [8] Commerçants, familles et personnes en quête de soins de santé proches de leurs terres d’origines font partie de ces déplacements permanents. Les migrations transfrontalières et à l’intérieur des pays sont quasiment incontrôlables ; or ce phénomène expose davantage de personnes au virus et permet de rapprocher le virus de populations différentes.

 
Mal comprises, ces questions peuvent également influencer l’opinion de la communauté internationale. Pendant l’épidémie actuelle, des attitudes à l’égard d’Ebola manifestées à une échelle locale ont parfois été étendues à tout un district ou un pays, ou considérées comme liées aux croyances relevant de la sorcellerie ou de la médecine traditionnelle, perçues comme des obstacles à une riposte médicalisée à l’épidémie. [9] 
 
Ces expériences montrent clairement qu’au-delà de la validité scientifique des mesures de santé publique, la communication dépend de nombreux facteurs aux conséquences réelles sur la réponse aux urgences sanitaires. Sans stratégie de communication efficace, de mobilisation ou de rassemblement des communautés, la population locale peut ne pas solliciter de prise en charge lorsqu’une infection est suspectée.

Sans une stratégie de communication efficace entre les organisations œuvrant sur le terrain, les ressources ne seront pas orientées vers là où les besoins sont les plus criants. Et sans échange d’informations entre gouvernements, la gestion transfrontalière d’une épidémie peut en pâtir. 

La communication, outil essentiel de la riposte
 
Pour qu’une épidémie soit contrôlée, les interventions se doivent d’être en adéquation à l’ampleur de la crise. Si elles sont trop modestes, inopportunes, ou inadaptées, la riposte ne saurait réussir. L’organisation humanitaire Médecins Sans Frontières (MSF) –le premier acteur sur le terrain en Afrique de l’Ouest et à l’avant-garde des efforts de lutte contre l’épidémie – qualifie la réponse à l’épidémie comme étant ‘dangereusement en-deçà des besoins’, dénonçant l’absence de personnel suffisant et un déficit infrastructurel particulièrement prononcé, notamment en zones rurales [10]. 
 
L’expérience de cette crise et d’autres urgences sanitaires montre par ailleurs que la communication est souvent un facteur clé de la réussite ou de l’échec d’une intervention donnée. Une étude réalisée au Royaume-Uni pendant la pandémie de grippe en 2009 prouve l’existence d’une corrélation évidente entre l’adoption de comportements préventifs contre le virus, comme l’achat des désinfectants pour mains, et la couverture médiatique et les efforts de sensibilisation sur le sujet de la grippe porcine. [11]

Aux Etats-Unis, un sondage réalisé par les Centers for Disease Control and Prevention, dix jours après la notification du premier cas de grippe porcine dans le pays, a permis d’établir que la plupart des Américains connaissaient les principaux traits caractéristiques de la maladie et comment la prévenir ; une situation que l’on a surtout attribuée à une communication ouverte et franche autour de l’épidémie. [12] D’abondantes preuves illustrent par ailleurs le rôle capital joué par la communication dans la lutte contre le VIH/sida –influant sur les connaissances, les attitudes, les comportements à risque, ainsi que la décision de recourir aux soins et d’observer le traitement.  [13] 

 
Durant l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, un haut responsable de l’équipe de riposte de MSF en Guinée a regretté à quel point l’accent mis sur le traitement et l’hospitalisation a réduit la capacité de l’organisation à investir dans la communication de messages de santé publique et de sensibilisation des communautés. [14] La conséquence fut une défiance à l’égard des équipes de riposte (voir encadré 2). Dressé par l’organisation la plus active dans la riposte à l’épidémie, ce constat remet le rôle de la communication pendant les crises sanitaires aux devants de la scène. 
Encadré 2. Résistance à la riposte à l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest
En Guinée, les efforts des autorités publiques visant à sensibiliser la population sur le virus Ebola et retrouver les personnes ayant été en contact avec les personnes infectées ont suscité de vives réactions. En septembre 2014, huit personnes dont des responsables locaux, des agents de santé et des journalistes qui tentaient de sensibiliser la population sur la maladie ont été tués à Womey par un groupe de villageois en colère.[15]

Un récent rapport détaille comment les équipes de la Croix-Rouge ont, en moyenne, fait face à dix attaques par mois en Guinée depuis le début de l’épidémie, dont des incidents de lapidation des équipes procédant aux inhumations. [16] Autre théâtre d’une résistance farouche aux efforts de riposte : West Point, le plus grand bidonville de Monrovia, au Libéria.

Une attaque menée contre un centre d’isolement en août 2014 a permis à des malades contaminés de s’échapper, et des équipements médicaux et des matelas ont été volés. En réaction, le gouvernement a placé tout le quartier en quarantaine. Des violences ont alors éclaté, les habitants du quartier protestant contre le manque de nourriture et l’absence d’un service de ramassage des corps. Un jeune homme de 15 ans a été abattu par la police lors de ces événements. [17]

Nouer des relations avec la population locale
 
En général, les organisations impliquées dans la réponse à l’épidémie d’Ebola n’ont pas, dans un premier temps, accordé la priorité nécessaire à l’établissement des relations avec les communautés touchées. Elles n’ont pas cherché à comprendre profondément l’opinion et les expériences de la population, ce qui a créé du ressentiment.

L’échange d’informations doit pourtant s’accompagner d’un dialogue, facilité par des représentants de la population locale formés et agissant comme agents de mobilisation sociale ; les personnes connues au sein d’une communauté étant assurément les mieux placées pour dialoguer avec la population, et pour se voir confier leurs inquiétudes.

 
Le dialogue entre les pays, et entre les autorités locales et les autorités centrales joue un rôle tout aussi important.  Les ressources consacrées à la lutte contre la maladie et l’épidémiologie de la transmission au niveau local se doit d’être partagé avec l’échelle nationale ; inversement, les directives sanitaires et l’évolution des questions comme les primes de risque (indemnité versée pour travail dans des conditions dangereuses) ou les mesures de quarantaine doivent être expliquées à l’échelle locale. 
 
Au niveau national, la coordination permet d’harmoniser les stratégies de communication et d’endiguement – les mouvements transfrontaliers de la population dans la région en font une question capitale. En janvier, MSF s’est inquiété de l’absence d’échange d’informations entre les pays. [18] Aujourd’hui, certains signes permettent de constater une amélioration.

Un protocole d’accord, signé entre le district de Kambia en Sierra Leone, et la préfecture voisine de Forecariah en Guinée, prévoit des discussions, des actions de sensibilisation communautaire et des ressources pour combattre l’épidémie. Comme pour les discussions de haut niveau, les stratégies pratiques peuvent être harmonisées au moyen d’échanges entre les équipes de riposte de districts voisins de part et d’autre d’une frontière. 

 
Tous les partenaires impliqués dans la riposte à l’épidémie (voir figure 3) ont besoin d’une stratégie de communication efficace. Leur nombre élevé et leurs mandats différents compliquent singulièrement la coordination des activités de communication.

Il s’agit là d’un trait caractéristique des crises sanitaires : l’organisation d’une action d’urgence nécessite généralement l’implication de nombreux spécialistes de domaines variés, des soins médicaux à la logistique en passant par la gestion des données. Or l’ampleur du défi posé par l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest est inédite. Avec très peu de structures en place dans les pays concernés, la riposte s’est organisée pratiquement à partir de rien. Tout le monde a dû se mettre en première ligne.

 
L’épidémie a suscité un grand intérêt dans le monde, ce qui s’est aussi traduit par une plus forte demande d’information par rapport à la plupart des crises sanitaires (voir encadré 3 pour un résumé des sources). Désormais, dans un souci de réduire le risque de propagation de fausses informations et des rumeurs, les supports de communication produits pour aider les ONG et d’autres organisations à sensibiliser les communautés sur l’Ebola doivent être approuvés par le ministère compétent dans chaque pays et les partenaires techniques ou scientifiques comme l’UNICEF (le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance). 


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Figure 3. Relations et outils de communication clés dans la risposte Ebola. ENLARGE ICONCliquez ici pour agrandir   

Encadré 3. Sources d'informations sur l'épidémie d'Ebola
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) publie des rapports hebdomadaires de situation dont les chiffres sont régulièrement repris par les médias
La Mission des Nations Unies pour la lutte contre Ebola  (MINUACE) diffuse des rapports de situation, des notes d’orientation et des comptes rendus de réunion, ainsi que d’autres ressources.
MSF met à disposition des mises à jour sur la crise, des guides interactifs et des blogs écrits du terrain.
Le ministère sierra-léonais de la Santé et de l’Assainissement et le ministère libérien de la Santé et des Affaires sociales publient tous deux quotidiennement des rapports de situation. Ces rapports s’appuient sur les enquêtes épidémiologiques financées par l’OMS, mais certains ont été obsolètes au moment de leur publication, surtout lors des premières phases de l’épidémie


Les outils de communication

Divers outils de communication, à la fois classiques et nouveaux, ont été mis à contribution dans la lutte contre Ebola. Les journaux, la radio et la télévision diffusent en boucle des messages et des débats locaux et nationaux en Guinée, au Libéria et en Sierra Leone.
 
La radio revêt une importance particulière dans cette région, tout comme dans la majeure partie du monde en développement. Une étude réalisée en 2011a conclu que 86 pour cent des femmes écoutaient la radio en Sierra Leone, 81 pour cent au Libéria, et 74 pour  cent en Guinée. [19] Les programmes radio diffusés dans la région ont intégré de courts messages de santé publique à propos d’Ebola.

Des émissions de débat ont été organisées, au cours desquelles le public peut appeler ou poser des questions par SMS aux invités, et des pièces théâtrales radiophoniques plus longues ont été produites. Ainsi, BBC Media Action a produit une série théâtrale intitulée Mr Plan-Plan and the Pepo-oh, diffusée à plusieurs reprises dans les pays touchés.
 
Conçu pour prendre le contre-pied de la prédominance des messages sur ‘les choses à ne pas faire’ durant l’épidémie, le programme met l’accent sur ce que l’on peut faire pour se préparer, empêcher le virus de se propager et riposter si quelqu’un dans l’entourage venait à être infecté. [20]

Autres outils d’échange informel d’informations : les services de messagerie instantanée comme WhatsApp se sont révélés importants, avec des effets à la fois bénéfiques et dommageables. Les gens y ont eu recours pour participer aux larges discussions de groupe durant lesquelles les informations issues des briefings officiels, de communiqués de presse et d’articles de journaux étaient échangées, ainsi que les rumeurs et les inquiétudes des membres du groupe.

Certes, ces outils permettent aux informations à jour de parvenir à beaucoup de gens de manière quasi instantanée.  Or le niveau de désinformation est également très élevé : les discussions s’effectuant sans modérateur, les canulars ont été relativement nombreux.

L’épidémie a également suscité des innovations. Les organisations comme l’UNICEF et l’entreprise IBM ont élaboré des systèmes grâce auxquels les gens peuvent appeler ou envoyer des textos pour exprimer leurs inquiétudes sur la riposte à l’épidémie, ou fournir des informations en temps réel au ministère de la Santé publique et aux centres de riposte de district sur les endroits vers lesquels les ressources devraient s’orienter. [21]

Plusieurs chansons ont été composées sur Ebola : dans le but de diffuser des messages, de rendre hommage aux victimes, ou pour véhiculer des messages politiques.  Une chanson intitulée White Ebola traduit la méfiance et le déni très répandus au début de l’épidémie. [22] La fondation Global Alliance for Immunization Against AIDS (GAIA) a conçu un pagne Ebola à porter par les agents de santé qui discutent avec la population. [23]
 

Informations : ce qui a été diffusé, ce dont on avait besoin

L’information fournie par plusieurs agences ne répond pas toujours aux besoins en information du public.

Selon les conclusions d’une étude réalisée au Libéria, par exemple, si les responsables des communautés affirmaient comprendre les messages élémentaires sur le virus et sa transmission, ils disaient aussi n’avoir pas reçu de conseils sur la gestion des malades. [20]. D’autres éléments plus anecdotiques suggèrent par ailleurs que les rumeurs colportées par le grand public éclipsent l’information scientifique, quand bien même si les informations parviennent jusqu’au niveau communautaire.

Cela ne signifie pas nécessairement que la population fait fi des messages de sensibilisation sur le virus, mais montre à quel point les gens sont beaucoup plus préoccupés par l’impact que l’épidémie pourrait avoir sur leur quotidien. Ainsi, en Sierra Leone, l’information diffusée par des canaux informels s’est progressivement déplacée du déni d’Ebola vers la remise en cause de la science, en passant par les rumeurs qui entourent la mise en quarantaine et l’impact de ces mesures sur le grand public.
 
Dans les premières phases de l’épidémie, les agences dotées de l’expertise technique comme l’OMS ont mis un accent particulier sur l’interdiction de la consommation de la viande de brousse en tant que stratégie de lutte. Certes, des études ont établi un lien entre la consommation de la viande de brousse et la transmission du virus Ebola de l’animal à l’homme, mais ce risque semble se limiter à ceux qui chassent et préparent eux-mêmes le gibier ; dès qu’une épidémie s’installe, c’est l’interaction entre les gens qui propage le virus. [24]

Mais cette nuance dans les connaissances scientifiques a été dans un premier temps ignorée, avec des conséquences néfastes. Les premiers messages étaient ainsi susceptibles de pousser les communautés à penser que le fait de ne pas consommer de la viande de brousse était plus important qu’éviter tout contact avec les cadavres. [25]
 
Nombreux sont ceux qui ont aussi pensé que les messages sur Ebola étaient confus, ou négatifs (en mettant par exemple l’accent sur le fait qu’il n’existe aucun traitement contre le virus), ou ne fournissaient pas d’explications sur les raisons pour lesquelles certains comportements devaient être évités. [26] Les messages diffusés ont parfois été complètement factuels, sur un ton prescriptif, sans explications ou informations pratiques sur la façon dont il faut gérer le virus au sein d’une communauté.
 

La population locale doit être à l’avant-garde de la riposte

Diffuser des messages et des instructions sans les accompagner d’information ou d’une formation permettant aux communautés d’élaborer leurs propres stratégies de riposte est un problème récurrent dans la gestion des épidémies. [27]

Trop souvent, les messages de santé publique ont été délivrés en tenant très peu compte du contexte communautaire, et les croyances sociales et culturelles sont souvent considérées comme des obstacles à un endiguement efficace de la maladie. Dans le cas de l’épidémie actuelle, les sciences sociales ont proposé des approches permettant de faciliter le dialogue, comprendre le contexte social et adapter les pratiques afin qu’elles tiennent compte des réalités culturelles.

Dans la seconde partie de cet entretien en deux temps, Melissa Leach, directrice de l’Institut pour les Etudes sur le Développement à l’université du Sussex, explique à Imogen Mathers pourquoi certaines des premières mesures imposées quand l’épidémie d’Ebola a éclaté en Afrique de l’Ouest ont suscité une résistance de la population.

Elle explique pourquoi la riposte internationale aux situations d’urgence doit essayer de faire participer davantage la population locale à l’élaboration des stratégies de lutte dès les premières étapes de l’épidémie. Dans le cas d’Ebola en Afrique de l’Ouest, il fallait identifier et mieux comprendre les croyances et pratiques liées aux soins de santé, à la mort et aux rites funéraires.

L’importance des initiatives communautaires dans la riposte à Ebola ne saurait être sous-estimée, surtout en zones rurales où la structure traditionnelle de la société domine (voir encadré 4).

Chefs traditionnels, autorités religieuses, tradipraticiens et autres responsables de la société civile jouissent d’une forte influence ; leur participation et leur soutien peuvent faire réussir ou échouer les efforts locaux de riposte à Ebola. L’adhésion locale est essentielle dans la compréhension et la prise en compte des préoccupations de la population dans les efforts de communication.

Peut-être que l’absence de prise en compte des préoccupations de la population locale est un trait caractéristique des réponses aux urgences de santé publique partout dans le monde, et pas uniquement dans les pays pauvres. Ainsi, l’éclatement d’une épidémie de rougeole depuis Disneyland dans l’État de Californie (États-Unis) en décembre 2014, a immédiatement suscité une réprobation générale du mouvement anti-vaccination.

Pourtant, si certains des parents opposés à la vaccination dans un premier temps ont par la suite fait vacciner leurs enfants, ce changement d’avis s’est opéré après un entretien avec leur médecin sur les raisons de leur hésitation, et non à la suite d’une présentation de leurs craintes comme étant non avenues ou irresponsables. [28] D’aucuns soutiendraient que la défiance et la peur, aggravées par une longue histoire de publicité négative autour du vaccin combiné contre la rougeole, les oreillons et la rubéole, ont contribué aux inquiétudes ressenties dans un premier temps par les parents, une peur qui a été ensuite dissipée par la menace imminente d’une épidémie qui se propageait.

Encadré 4. Des exemples de mobilisation communautaire contre Ebola en Afrique de l’Ouest
Les communautés savent ce dont elles ont besoin pour répondre efficacement aux flambées de maladie :  une précédente épidémie d’Ebola en Ouganda en est l’illustration. Dans un premier temps, la population a pensé qu’il s’agissait d’une maladie ordinaire et ont eu recours à la fois aux soins médicaux et aux traitements traditionnels. Mais très vite, la communauté a compris la gravité de la situation, et ont commencé décrire la maladie comme étant l’œuvre d’un esprit particulièrement maléfique. En communiquant avec ces termes, l’auto-isolement est rapidement devenue une pratique adoptée par les ménages touchés, de peur que l’esprit maléfique ne frappe quelqu’un d’autre ; c’est ainsi que l’épidémie fut endiguée avec succès. [29]
 
Pendant la crise actuelle, des anthropologues ont invité des chefs communautaires et des leaders d’opinion issus de villages ‘résistants’ en Guinée à participer à un atelier avec les organisations impliquées dans la riposte. L’objectif était de s’assurer que l’on écoute la population, et d’élaborer une stratégie commune de participation et de sensibilisation fondée sur leurs besoins et préoccupations. [5] Résultat, les leaders communautaires se sont publiquement engagés à assurer que leurs communautés soient formés aux pratiques d’hygiène de base et ont promis de briser leur résistance à l’égard des équipes de recherche des contacts. En retour, les organisations engagées dans la riposte ont accepté de fournir les moyens pour la décentralisation de la gestion de l’épidémie et garantir une riposte mieux adaptée aux besoins locaux.
 
Le Comité international de secours ( International Rescue Committee, ou IRC) plaide pour que les populations locales soient à l’avant-garde des efforts d’élaboration des stratégies de prévention dans leur région ; il n’est pas suffisant de leur communiquer des messages élaborés par d’autres organisations, très souvent sans la participation de la population locale. [30] L’IRC a également plaidé pour ‘l’adoption’ des efforts de riposte par les populations locales, en mettant en place un système d’alerte rapide grâce auquel des agents de santé désignés par la communauté assurent le suivi par la notification par téléphone mobile de tout événement préoccupant relevé au sein de la communauté. Toute notification déclenche ensuite une visite d’un agent de surveillance pour enquêter sur l’événement. [31]
 
En Sierra Leone, cinq organisations impliquées dans la riposte à Ebola (BBC Media Action, Focus 1000, GOAL, Restless Development et les Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis), se sont associées pour fonder le Consortium d’Action pour la Mobilisation sociale (SMAC), et mener la plus grande opération de mobilisation communautaire jamais organisée dans le pays. [32] Leur approche a accordé la priorité à l’action communautaire par la formation et le renforcement de la capacité des communautés à agir et prendre des responsabilités dans la lutte contre l’épidémie dans leur région.
Écouter et apprendre

Il ne fait aucun doute que les systèmes de gestion des crises, et la communication de crise, en particulier, peuvent et doivent être révisés au vu de cette épidémie dont l’ampleur est sans précédent. Communiquer efficacement sur cette crise n’a pas été une mince affaire. L’épidémie étant en déclin, le temps est venu d’évaluer les pratiques et leçons apprises.

À ce stade de la réflexion, il n’existe pas de liste définitive de choses à faire ou à ne pas faire, mais il est possible s’inspirer de certains exemples de réussite, notamment les stratégies communautaires de riposte, les innovations et les initiatives institutionnelles décrites plus haut.

Avec tant de partenaires impliqués dans la riposte, la communication doit être coordonnée à partir d’un seul point, de préférence dans le cadre de la riposte au niveau du district. Ce point de coordination serait chargé de l’identification des détenteurs de l’information, de ceux qui en ont besoin et du meilleur moyen de la partager, ce qui permettrait de savoir qui participe à l’échange d’informations et comment.

L’épidémie a élégamment démontré l’importance des stratégies de communication qui d’entrée de jeu tiennent compte des préoccupations de la population locale et sont mises en œuvre à travers un dialogue permanent.

Ces stratégies doivent être intégrées aux systèmes locaux et nationaux de coordination, afin que les besoins de la population soient pris en compte dans les discussions de haut niveau. Cela est particulièrement important dans un contexte où la suspicion, les préjugés et la désinformation règnent. Ce n’est que par l’échange ouvert d’informations et le dialogue à tous les niveaux que l’on peut relever les défis, instaurer un climat de confiance et vaincre une épidémie aussi dévastatrice qu’Ebola.

Elizabeth Smout, actuellement basée en Sierra Leone, est chercheuse à la London School of Hygiene & Tropical Medicine (Royaume-Uni). Elle travaille sur le projet intitulé The Vaccine Confidence Project, qui examine les déterminants politiques de la confiance du public aux programmes de santé. Vous pouvez lui écrire à l’adresse [email protected]

Cet article fait partie de notre dossier spécial sur la gestion de la communication des crises sanitaires après Ebola.

Références

[1] The economic impact of the 2014 Ebola epidemic: short and medium term estimates for West Africa (World Bank, October 2014)
[2] Transmission | Ebola haemorrhagic fever (Centers for Disease Control and Prevention, updated 9 April 2015)
[3] Outbreaks chronology: Ebola virus disease (Centers for Disease Control and Prevention, updated 20 April 2015)
[4] Ebola situation report (WHO, 25 March 2015)
[5] Julienne N. Anoko Communication with rebellious communities during an outbreak of Ebola Virus Disease in Guinea: an anthropological approach (ebola-anthropology.net, accessed 12 April 2015)
[6] Ashoka Mukpo The biggest concern of the Ebola outbreak is political, not medical (Aljazeera America, 12 August 2014)
[7] Helen Epstein Ebola in Liberia: an epidemic of rumors (The New York Review of Books, 18 December 2014)
[8] Atlas on Regional Integration in West Africa Population series: migration (ECOWAS-SWAC/OECD, August 2006)
[9] Jared Jones Ebola, emerging: the limitations of culturalist discourses in epidemiology (The Journal of Global Health, accessed 12 April 2015) 
[10] Ebola response: where are we now? (Médecins Sans Frontières, December 2014)
[11] G. J. Rubin and others The impact of communications about swine flu (influenza A H1N1v) on public responses to the outbreak: results from 36 national telephone surveys in the UK (Health Technology Assessment, July 2010)
[12] Brendan Maher Swine flu: crisis communicator (Nature, 13 January 2010)
[13] Douglas Storey and others What is health communication and how does it affect the HIV/AIDS continuum of care? A brief primer and case study from New York City (Journal of Acquired Immune Deficiency Syndromes, August 2014)
[14] Misha Hussain MSF says lack of public health messages on Ebola ‘big mistake’ (Reuters, 4 February 2015)
[15] Amy Brittain The fear of Ebola led to slayings — and a whole village was punished (The Washington Post, 28 February 2015)
[16] Ebola crisis: Red Cross says Guinea aid workers face attacks (BBC News, 12 February 2015)
[17] Joe Shute Ebola: inside Liberia's West Point slum (The Telegraph, 16 December 2014)
[18] An encouraging decline in Ebola cases, but critical gaps remain (Médecins Sans Frontières, 26 January 2015)
[19] Frances Fortune and others Community radio, gender and ICTs in West Africa: how women are engaging with community radio through mobile phone technologies (Search for Common Ground, July 2011)
[20] Sharon A. Abramowitz and others Community-centered responses to Ebola in urban Liberia: the view from below (ebola-anthropology.net, December 2014)
[21] Ebola tracking system for Sierra Leone offered by IBM (BBC News, 27 October 2014)
[22] Boima Tucker Beats, rhymes and Ebola (Cultural Anthropology, 7 October 2014)
[23] GAIA brings educational textile design to the field of public health (Global Alliance to Immunize against Aids, accessed 12 April 2015)
[24] Information note: Ebola and food safety (WHO, 24 August 2014)
[25] Ebola (Institute of Development Studies, accessed 16 April 2015) 
[26] Obinna Anyadike Ebola, is culture the real killer? (IRIN, 29 January 2015)
[27] Clare Chandler and others Ebola: limitations of correcting misinformation (The Lancet, 4 April 2015)
[28] Andrew Gumbel Disneyland measles outbreak leaves many anti-vaccination parents unmoved (The Guardian, 25 January 2015)
[29] Barry S. Hewlett and Richard P. Amola Cultural contexts of Ebola in Northern Uganda (Emerging Infectious Diseases, 2003)
[30] IRC community-partnership approach helps reduce Ebola spread in targeted West African communities (International Rescue Committee, 9 October 2014)
[31] Kulsoom Rizvi The IRC and partners pilot a community ‘early warning system’ for Ebola (IRC, 9 February 2015)
[32] Ebola response: triggering local communities to prevent Ebola (Restless Development, accessed 12 April 2015)