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David Dickson, Directeur fondateur de SciDev.Net et figure charismatique du journalisme scientifique et des milieux du développement, est décédé  d’une crise cardiaque soudaine, le 31 juillet 2013.

Au moment où les hommages continuent d’affluer à SciDev.Net,  nous aimerions partager avec vous les trois réflexions personnelles ci-après :


Andrew Bennett, président du Conseil d’administration de SciDev.Net

David avait une foi inébranlable en l’importance de l’élaboration de politiques et de la prise de décision reposant sur des données probantes dans le domaine du développement. Il était un ardent défenseur de la facilitation de l’accès à la science, et a consacré toute sa carrière à la promotion d’un journalisme de qualité et à soutenir les autres pour une information objective sur la science et dans un langage facile à comprendre.

Après une longue et brillante carrière comme journaliste et rédacteur en chef de Nature, du Supplément du Times sur l’enseignement supérieur, de Science et du New Scientist, David avait éprouvé la nécessité de créer SciDev.Net – une source objective d’informations en ligne librement accessible sur les avancées et les applications de la science au développement. Sans sa vision et sa détermination, SciDev.Net n’existerait pas.

Comme fondateur et premier Directeur de SciDev.Net pendant plus de dix ans, David a suscité  l’appui  ferme des donateurs et piloté son développement  à un point tel qu’il est devenu une source très respectée d’informations scientifiques pour le développement portant sur des sujets variés. Il a pu tisser un réseau de journalistes scientifiques talentueux à travers le monde.

SciDev.Net est une passerelle unique et précieuse entre la science et la communauté du développement.

Même dans sa retraite, David n’a cessé de soutenir SciDev.Net en animant une chronique régulière et en encadrant les stagiaires.

David était un excellent rédacteur en chef et un encadreur irréprochable. Il était dévoué et sincère. Son œuvre est immense et son décès constitue une grande perte pour ses collègues et amis.

En ma qualité de Président du Conseil d’administration, je lui vouais une profonde admiration et un immense respect pour  son engagement, son intégrité, et pour tout ce qu’il a pu accomplir. Même lorsqu’il a pris la décision de quitter sa direction, il n’a cessé de privilégier les intérêts de SciDev.Net –  c’est l’héritage qu’il laisse au monde de la science au service du développement, et nous devons tous lui en être reconnaissants.

Luisa Massarani — Coordonnatrice régionale pour l’Amérique latine

David était l’homme d’une seule idée. Une seule idée brillante et complexe – il s’était donné pour objectif d’améliorer la communication scientifique dans le tiers-monde, en  « associant la science et le développement ».

La première fois que je l’ai rencontré, quelques idées commençaient juste à germer dans sa tête. Il  venait de présenter un exposé à la Conférence sur la communication publique de la science et de la technologie (PCST) tenue en février 2001 à Genève, en Suisse. Dans son exposé, il défendait l’idée de la création d’un site Internet d’accès libre qui proposerait des informations sur la science et le développement dans tiers-monde.

Il soutenait qu’il était nécessaire de développer les compétences des individus et des communautés d’une manière susceptible de contribuer à améliorer l’impact de la science et de la technologie sur le développement durable, et en définitive, permettre de réduire la pauvreté.

Dans l’exposé présenté à Genève, il avait également indiqué avoir testé ses idées à travers une expérience pilote dans le cadre de la « Conférence mondiale sur la science pour le XXIème siècle : un nouvel engagement », tenue à Budapest, en Hongrie, du  26 juin au 1er juillet 1999, sous les auspices de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture et du Conseil international pour la science (ICSU), en collaboration avec d’autres partenaires.

Curieusement, dans son propos, il avait indiqué que cette expérience pilote s’était avérée particulièrement concluante au Brésil, et de ce fait, il  souhaitait faire la connaissance d’un journaliste scientifique  brésilien. Plus tard ce jour-là, je l’avais approché en compagnie de ma collègue Monica Macedo et nous nous étions présentées ainsi : « Nous sommes des journalistes scientifiques brésiliennes ». Nous avions échangé nos cartes de visite et nous avions commencé à maintenir le contact à distance. C’est ainsi que j’ai eu l’occasion de suivre la concrétisation de cette idée depuis sa conception.

David était alors le chef de la rubrique actualités à la revue Nature, avec une longue et solide expérience en communication scientifique.

Pendant toute l’année 2001, il avait  fait le chemin de croix, sollicité des financements et persuadé des organisations  et des acteurs clés de la justesse de son idée. Au mois de décembre de la même année, le bébé était prêt à venir au monde : SciDev.Net fut lancé, avec une vision novatrice et unique consistant à fournir des nouvelles et des opinons fiables sur la science et le développement dans le tiers-monde. La formation était également une composante essentielle de cette vision.

Durant cette première année, il prit la décision de créer des portails régionaux – qui devinrent plus tard une marque de fabrique de SciDev.Net. Le premier portail créé a été celui consacré à l’Afrique – une région qui était toujours au centre de son attention. Il comprit très vite que pour autonomiser ces régions et améliorer la pertinence et la fiabilité de la couverture de SciDev.Net, il fallait impliquer des ressortissants de ces parties du monde.

Ensuite, ce fut notre tour – l’Amérique  latine. La vision de David consistait à faire confiance aux gens et donner une chance à ceux qui voulaient se joindre à lui, tout en essayant de réduire autant que possible les risques. En me gardant toujours tout près de lui  et en  me donnant l’occasion de mieux comprendre mon travail, il avait contacté plusieurs personnes à l’effet de se renseigner sur mon passé. Finalement, il s’était forgé son opinion et m’avait chargée de coordonner le portail Amérique latine, lancé au début de l’année 2003.

Collaborer avec David était exaltant. Cela passait par une initiation, dans la pratique, à sa vision de la science et du développement. Progressivement, il vous laissait la liberté de forger la personnalité éditoriale de votre région, à sa manière (très gentille) de participer à tout.

David a réussi quelque chose de symbolique : mettre sur le site Internet de SciDev.Net deux revues qui se font une concurrence acharnée. C’était la manifestation de la volonté de SciDev.Net d’être au-dessus de la mêlée. Il a mis des articles gratuitement à la disposition des scientifiques du monde en développement qui n’avaient pas les moyens de lire ces deux « Bibles » de la science. Mais il a aussi entrepris une action cruciale, en commençant à déployer des efforts afin que ces deux revues commencent à s’intéresser aux réalités scientifiques en provenance d’autres horizons.

C’est ainsi que SciDev.Net s’est rapidement affirmé comme une puissante force, et plusieurs revues publient désormais des articles scientifiques en provenance de nos pays. Il a également pu constituer un solide réseau de personnes inspirées par cette vision de la science au service du développement et qui ont contribué à étendre le projet dans le monde entier.

A mon avis, en développant les compétences du monde en développement et en permettant à l’information scientifique de circuler librement dans le monde, il a modifié la géopolitique de la communication scientifique.

David est parti trop tôt, mais ses idées continueront à façonner le monde  pendant de nombreuses années.

T V Padma – Coordonnatrice régionale pour l’Asie du Sud

Visionnaire et idéaliste, David avait identifié depuis longtemps les réalités du journalisme scientifique dans les pays en développement, notamment les difficultés d’accès aux scientifiques et à l’information, le manque d’accès à la formation, aux encadreurs et à des modèles à imiter dans ce domaine. Il a également compris quelque chose de plus fondamental : le journalisme scientifique international – ainsi que ses priorités et perspectives – a tendance à être fortement dominé et influencé par des journalistes basés pour la plupart en Occident. C’est ce déséquilibre dans la couverture que David a tenté de corriger, en fondant SciDev.Net.

Ses premiers exposés dans le cadre de la présentation de sa vision de SciDev.Net dans le monde en développement, analysaient le rôle et la responsabilité du journalisme scientifique. « La principale mission de la communication scientifique est de renforcer les compétences des individus, afin qu’ils participent au dialogue entre la science, la technologie et la société », pensait-il.
Durant les années suivantes, il s’est intéressé au rôle essentiel de la communication scientifique dans le développement, soutenant que la science, la technologie et l’innovation sont essentiels pour répondre à la triple hélice du développement, à savoir relever les défis suivants : assurer la croissance économique, réduire la pauvreté, et permettre la durabilité environnementale.

La communication en général, et la communication dans les domaines de la recherche et de la science, en particulier, constituent le quatrième pôle de l’hélice du développement, affirmait-il.

L’intérêt de David pour les pays en développement n’est pas né du jour au lendemain. Même en tant que chef de la rubrique actualités à la revue Nature, il manifestait un profond intérêt pour le monde en développement.

Killugudi Jayaraman, correspondant de la revue Nature à New Delhi et conseiller de SciDev.Net Asie du Sud, se souvient : « Il tenait à connaître l’évolution scientifique dans les laboratoires indiens, ainsi que les questions politiques touchant à la communauté scientifique et les sujets à controverse. Je me rappelle qu’à l’occasion d’une visite à New Delhi, il m’avait demandé d’organiser des rencontres avec des responsables de divers organismes scientifiques. Ses idées et suggestions d’articles étaient toujours d’une grande utilité”.

Feue Christina Scott, chef de la rubrique actualités pour l’Afrique subsaharienne, qui était basée au Cap, m’avait jadis confié quelle a été sa surprise lors d’un échange avec David au sujet de la Conférence de Durban sur le sida de l’an 2000, qui avait été le théâtre d’un affrontement entre les pays africains qui défendaient leur droit à des génériques moins chers produits en Inde et les multinationales du médicament.

Les premières années furent difficiles. Au début des années 2000, et même jusqu’en 2005, quand j’ai rejoint le bureau Asie du Sud de SciDev.Net, dans plusieurs pays, y compris l’Inde, il subsistait quelques doutes sur la viabilité de l’information en ligne. La stature de David comme ancien journaliste à Nature, Science et New Scientist, ainsi que l’appui de Nature, de Science et de la TWAS (Académie des sciences pour le Tiers-monde), a permis de convaincre ceux qui s’étaient dans un premier temps montrés sceptiques.

Mais cet essor aurait été impossible si SciDev.Net, sous la direction de David, n’avait pas défendu un journalisme scientifique de qualité dans la création de la marque SciDev.Net. David ne croyait pas aux méthodes bâclées ou aux raccourcis dans le métier de journalise scientifique. Il ne pensait pas non plus qu’il faut renoncer à la qualité ou à l’indépendance éditoriale. Il faisait des remarques perspicaces, réfutait les affirmations des scientifiques, et posait sans cesse des questions, lançant de nouveaux courants de pensée sur des débats scientifiques complexes. Il fournissait également la documentation pour l’information de base du journaliste. Ainsi, quand j’écrivais un article pour SciDev.Net, j’apprenais automatiquement davantage sur un sujet.

Naturellement, il prenait souvent des positions tranchées sur certains sujets, comme l’accès libre, mais aussi sur d’autres questions comme la recherche sur les médicaments en open source, la régulation des nouvelles technologies à controverse, et le brevetage des résultats de la recherche universitaire financée sur fonds publics.

Ce que l’on sait moins de David c’est que ses deux ouvrages – Politics of Alternative Technology et New Politics of Science – occupent les rayons des bibliothèques de plusieurs instituts de recherche sur les politiques en Inde et du Département des sciences politiques de l’Université de Delhi.

A l’occasion d’un déjeuner offert par la famille d’une illustre écologiste gandhienne, je suis tombée sur un professeur de sciences politiques. Quand elle a réalisé que je travaillais pour SciDev.Net, dont David Dickson était à l’époque le rédacteur en chef, elle m’a présentée à quelques-unes de ses connaissances, simplement en ces termes : « elle travaille  avec David Dickson, l’auteur de ces ouvrages sur la politique scientifique ». Mon nom et celui de SciDev.Net semblaient n’avoir aucune importance. Quand j’ai relaté la scène à David, il a comme à son habitude malicieusement lancé : « Il semble que mes livres sont plus lus en Inde qu’ici [en Grande Bretagne] ».

David était courtois et prévenant  dans ses rapports avec les journalistes scientifiques des pays en développement – et c’est pour cela qu’ils sont nombreux à lui rendre hommage sur Facebook, le présentant comme un mentor et un excellent maître. D’autres encore ont été sensibles à cette gentillesse. M.S. Swaminathan, père de la « Révolution verte » indienne, m’avait autrefois confié : « par-dessus tout, David est un homme très bien ».

Ragunath Mashelkar, ancien membre du Conseil d’administration de SciDev.Net et ancien Directeur-général du Conseil de la recherche scientifique et industrielle, rappelle que « David était un être extraordinaire, d’une droiture et d’une honnêteté invraisemblables ». La communauté scientifique d’Asie du Sud le décrivait comme un gentleman et un brillant journaliste.

Pour consulter les archives des articles écrits par David pour SciDev.Net durant l’année écoulée, cliquez-ici.

Pour lire l’annonce de son décès et les réactions, cliquez-ici.