17/08/12

Etablir de meilleurs ponts entre la science et l’aide au développement

La science et les nouvelles technologies sont à la base de la conception de plusieurs produits humanitaires Crédit image: SunFire Solutions

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A la veille de la Journée mondiale de l'aide humanitaire, les innovateurs dans le domaine de l'aide prônent d'avantage d'interactions entre les chercheurs et les acteurs du développement. Un reportage de Imogen Mathers.

[LONDRES] Au lendemain de l'attaque à la bombe qui avait fait de graves dégâts au sein du quartier général des Nations Unies à Bagdad le 19 août 2003, l'Assemblée générale de cette organisation avait fait voter une résolution instituant une journée mondiale en souvenir des victimes et en hommage aux personnes engagées dans l'action humanitaire internationale à travers le monde : la Journée internationale de l'aide humanitaire.

La science, la technologie et l'innovation sont souvent partie intégrante du travail humanitaire. La notion d'innovation peut aider à stimuler le développement en apportant des solutions à la pauvreté ou aux défis posés par les catastrophes, et en adaptant les technologies aux exigences et réalités locales.

Les technologies proposées par les organisations humanitaires, des cuisinières solaires aux vélos ambulances en bambou, sont toujours inspirées par la préoccupation de l'exploitation du potentiel de la science au profit des pauvres, et l'adaptation de l'innovation aux besoins de base.

Cependant, l'accès aux connaissances scientifiques et technologiques n'est pas toujours facile. Dans les pays en développement, en particulier, les plateformes de dialogue entre les scientifiques et les concepteurs des technologies et les agences de développement qui proposent les inventions aux populations sont souvent rares, voire inexistantes.

C'est ainsi que d'après Lare Toumpane Daméssanou, Directeur exécutif d'ACDI-SOLAR, une organisation qui propose des solutions basées sur l'énergie solaire aux communautés qui ne sont pas connectées au réseau électrique en zones rurales dans le nord du Togo où les infrastructures électriques ne desservent que 20 pour cent de la population [1], le gouvernement « n'apporte absolument aucun soutien aux énergies renouvelables ».

ACDI-SOLAR est en contact avec des chercheurs de la seule université ouest-africaine spécialisée dans les énergies renouvelables, l'Institut international de l'eau et de l'environnement (2IE) au Burkina Faso, et l'Université Kwame Nkrumah des sciences et des technologies.

Mais, pour ce qui est de la communication productive avec les chercheurs du Togo, « il ne se passe absolument rien », lâche-t-il. « Nous voulons améliorer la communication avec les chercheurs afin de développer nos modèles, mais les opportunités d'échange sont très rares ».

Absence de communication entre les intervenants

Crosby Menzies, Directeur de SunFire Solutions basée à Johannesbourg, qui travaille au développement d'une cuisinière solaire, et fondateur du réseau Solar Cookers for Africa, fait savoir dans un entretien accordé à SciDev.Net que l'accès aux progrès scientifiques dans le domaine de la technologie solaire peut être difficile alors que la science fait « partie intégrante des produits que nous développons ».

« Nous avons des contacts avec des scientifiques travaillant dans d'autres disciplines et qui ont montre de l'intérêt pour ce que nous faisions », affirme-t-il. « Mais, ces interactions ne sont pas aussi fécondes qu'ils pourraient l'être, loin s'en faut ».

Un technicien de laboratoire

De nombreuses technologies sont développées dans les universités sans jamais  être mises sur le marché

Shutterstock

Pour lui, l'insuffisance d'un dialogue fécond découle en partie de l'absence de « vision à long terme » de la part du gouvernement et de l'absence d'investissements productifs adéquats dans l'innovation de la cuisinière solaire, les énergies renouvelables et l'enseignement supérieur.

Pour ne rien arranger, les recherches entreprises restent souvent enfermées dans les laboratoires, indique-t-il. « De nombreuses technologies fantastiques sont développées dans les universités et n'arrivent jamais sur le marché, ne dépassant pas l'étape du prototype », explique-t-il.

De façon ironique, contrairement aux échanges avec les chercheurs d'Afrique australe qui restent très limités, la collaboration avec les organisations basées à l'étranger, surtout en Chine, en Europe et aux Etats-Unis, est très avancée.

« La Chine et l'Inde cherchent à mettre des technologies à notre disposition, et nous leur soumettons à notre tour tous les problèmes de conception et de développement que nous rencontrons sur le terrain, ceci dans le but de fabriquer des produits plus 'africanisés' et mieux adaptés aux objectifs que nous poursuivons », explique-t-il.

Selon Bernice Dapaah, Directeur de Ghana Bamboo Bikes, qui est spécialisé dans le développement des véhicules adaptés au monde rural, l'absence de plateformes locales d'échange d'idées entre les chercheurs et les organismes de développement constitue également un obstacle au Ghana.

« La relation entre la science et les organismes d'aide doit être très dynamique et transversale », déclare-t-il dans l'entretien accordé SciDev.Net. Mais, « en Afrique de l'ouest cette relation est véritablement mauvaise » et «  elle doit être renforcée », recommande-t-il.

Divyesh Thakkar, fondateur de Sunlite Solar – un organisme de développement basé à Mumbai qui fournit des lampes LED aux camps de réfugiés et aux communautés rurales – reconnaît qu'il y a un manque de communication entre les scientifiques et les innovateurs, malgré « l'importance capitale de la collaboration avec les scientifiques ».

Toutes les organisations avec lesquelles SciDev.Net a discuté dans le cadre de cet article de fond affirment qu'elles disposent de 'scientifiques maison' sur qui elles s'appuient. Et Thakkar estime que les scientifiques sont « très réceptifs quand ils sont sollicités ; comme nous, ils veulent mieux faire connaître leurs travaux […] Si ces liens pouvaient être renforcés, cela contribuerait beaucoup et de manière positive au secteur du développement ».

Mais, Sachin Shah de Toyop Relief, qui fournit des produits de secours d'urgence aux Nations Unies et à la Croix-Rouge internationale, pense que c'est entre les fournisseurs de technologies et les organismes de développement que se posent les problèmes de communication les plus urgents, et non avec les scientifiques.

« Si nous ne suivons pas les évolutions technologiques, nous ne pourrons pas fournir les produits dont les gens ont besoin », dit-il.

Cependant, Shah précise que « les humanitaires ne sont pas très ouverts aux innovations, particulièrement dans les situations d'urgence où ils préfèrent utiliser les produits dont l'efficacité a déjà été prouvée ».

Selon lui, la nouvelle tendance qui stimule la recherche scientifique au service du développement consiste en la mise en œuvre par les multinationales de politiques de responsabilité sociale.

Des enfants assis autour d'une lampe solaire

SunFire Solutions espère conclure de nouvelles collaborations pour mettre ses innovations à partir de l'énergie solaire sur le marché

Sunlite Solar

Il soutient qu'elle a à la fois permis d'accroitre le financement de la recherche scientifique et d'améliorer considérablement les mécanismes permettant de sortir les produits des laboratoires pour les mettre sur le marché. « Désormais, les entreprises comme Samsung investissent beaucoup dans la responsabilité sociale, et nous collaborons avec elles pour le développement de certains objets plastiques [de fabrication de produits innovants utilisés dans le travail humanitaire] ».

Créer des réseaux pour un développement sur mesure

L'une des solutions selon Thakkar consiste à multiplier les forums regroupant les divers intervenants, des gens aux idées novatrices, des scientifiques ayant des idées théoriques sur papier, et des gens capables de proposer ces idées aux communautés concernées.

« Il nous faut des activités de mise en réseau ou de réflexion où tous les intervenants, des travailleurs humanitaires aux décideurs politiques, en passant par les étudiants, les chercheurs et les journalistes discuteraient autour d'une même table. Cela pourrait montrer aux gouvernements l'endroit où trouver l'expertise nécessaire ainsi que les stratégies pour élaborer des systèmes et faire avancer les idées ».

AidEx, une foire commerciale annuelle qui se tiendra à Bruxelles en octobre et qui réunira des organisations humanitaires, des scientifiques et des innovateurs technologiques, et à laquelle Daméssanou, Dappah, Mezies, Shah et Thakkar prendront part, sera l'occasion de mener telles concertations.

Ainsi, Dappah espère que Ghana Bamboo Bikes pourra nouer des partenariats avec les organisations œuvrant dans le domaine de la santé afin de contribuer à la conception des vélos ambulances en bambou et améliorer ainsi l'accès des communautés rurales aux formations sanitaires.

De même, Menzies espère étendre le domaine d'activités de SunFire.

« Nous comptons collaborer avec des scientifiques pour résoudre […] tout un éventail de problèmes sociaux, et on ne peut y arriver sans s'appuyer sur la science, et rendre les [technologies] abordables et applicables », fait-il remarquer au reporter de SciDev.Net.

« Le travail en réseau et la sensibilisation jouent un rôle très important», indique Thakkar. « Les humanitaires ont tellement de problèmes à résoudre que vous devez leur montrer clairement en quoi les nouveaux produits qui arrivent sur le marché peuvent bénéficier aux communautés ciblées ».

« Il est capital pour notre travail de discuter avec les décideurs qui comptent et sensibiliser sur les autres options de développement disponibles », dit-il.

Daméssanou d'ACDI-SOLAR espère que la foire Aidex l'aidera à nouer des partenariats avec les organisations internationales capables de lancer la production des technologies solaires au Togo, et éliminer ainsi les coûts importants liés à l'importation des technologies du Nigéria et du Ghana.

Ils affirment tous qu'il est urgent de multiplier de tels forums.

« J'espère qu'AidEx n'est que l'une des nombreuses plateformes locales, nationales et internationales de travail en réseau entre la communauté des acteurs du développement et les scientifiques », ajoute Dapaah.

« Ces échanges doivent s'effectuer localement avec l'appui du gouvernement, ainsi qu'à l'étranger et dans les pays du Nord ».

Et les nouveaux liens qui en résultent doivent permettre l'émergence de modèles de développement adaptés au contexte local, « on ne peut pas simplement copier des modèles ici et les coller ailleurs », prévient Menzies de SunFire.

« Les décideurs politiques essaient souvent de suivre des modèles historiques ou internationaux comme celui des grandes centrales électriques ». Mais, les options adaptées au contexte local comme l'énergie solaire décentralisée, sont souvent mieux adaptées aux besoins des communautés.

VOir ci-après une vidéo sur SunFire Solutions :
 



 

Voir ci-après une vidéo sur Sunlite Solar
 



 

Références

[1] WHO and UN Development Programme: The Energy Access Situation in Developing Countries — A Review Focusing on the Least Developed Countries and Sub-Saharan Africa, November 2009 http://content.undp.org/go/cms-service/stream/asset/?asset_id=2205620