15/06/18

Q&R: La diversité comme axe central de la recherche

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Crédit image: Julia Tagüeña/SciDev.Net

Lecture rapide

  • L'Amérique latine a un taux plus élevé de chercheuses que la moyenne mondiale
  • Mais peu de femmes scientifiques accèdent à des postes de direction
  • Les agences de financement devraient renforcer la dimension de genre dans la recherche

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[MEXICO] Le pourcentage de femmes chercheuses en Amérique latine est parmi les plus élevés au monde. Il a atteint 44%, contre une moyenne mondiale de 28%. Cependant, des écarts entre les genres persistent, empêchant les femmes scientifiques d'avoir les mêmes opportunités et la même reconnaissance que leurs collègues de sexe masculin.

Dans la perspective du Sommet sur le genre, qui aura lieu ce mois à Londres, Julia Tagüeña, directrice adjointe du développement scientifique au Conseil national pour la science et la technologie du Mexique (CONACYT- Consejo Nacional de Ciencia y Tecnologia), souligne l'importance de l'inclusion de la dimension de genre dans la recherche et le financement.

Les discussions lors des sommets précédents sur le genre ont insisté sur le fait que la science n'est pas neutre et qu'il est nécessaire d'évoluer vers un paradigme où la science est sensible à la dimension de genre. Comment imaginez-vous ce nouveau paradigme prendre forme en Amérique latine ?

Je suis de plus en plus convaincue qu'il est nécessaire d'inclure la sensibilité au genre dans la recherche, partout dans le monde. Et j'imagine un paradigme qui inclut plus d'inclusions – c'est-à-dire qui inclut la diversité comme axe central – parce que l'expérience nous montre que les groupes avec un certain niveau de diversité font de meilleures recherches. Lorsque vous avez une vision plus large de la recherche, vous pratiquez mieux la science. Un exemple est celui de la crise cardiaque chez les femmes. La symptomatologie étant différente pour les hommes et les femmes, et étant donné que la symptomatologie la plus connue est celle des hommes, les femmes ne la reconnaissent pas lorsqu'elles font une crise cardiaque et ne vont pas à l'hôpital à temps. Un autre exemple est celui des ceintures de sécurité initialement conçues à partir de prototypes masculins ; les entreprises ont récemment réalisé qu'elles ne fonctionnaient pas correctement chez les femmes, parce qu'elles avaient simplement une anatomie différente. Donc, si nous avons un paradigme dans lequel la recherche et la technologie prennent en compte et traitent ces différences, nous enrichirons la vie des gens.

“Au Mexique, à travers le CONACYT, nous avons pris des mesures, d'une part, en faveur de l'égalité des sexes et, de l'autre, en intégrant l'analyse de genre dans la recherche.”

Julia Tagüeña

En plus d'améliorer la qualité de vie, la dimension genre dans la recherche peut-elle promouvoir le développement?

Pratiquer la science suivant de meilleurs principes est utile à maints égards, y compris dans le sens du développement de nos pays. En parlant de croissance économique, par exemple, un rapport du McKinsey Global Institute suggère que si les femmes participent à l'économie dans les mêmes conditions que les hommes, d'ici 2025, elles ajouteraient 26% au PIB mondial, ce qui équivaut à celui des économies des États-Unis et de la Chine réunies. Et l'une des régions susceptibles d'en tirer le plus grand parti serait l'Amérique latine. D'autre part, l'importance des femmes dans l'atteinte des 17 objectifs de développement durable des Nations Unies a déjà été démontrée. Dans de nombreux endroits, les femmes jouent un rôle essentiel dans la prise de décisions liées à la durabilité, telles que le ménage ou l'éducation des enfants.

Comment, et de qui, l'investissement devrait-il provenir pour renforcer le nombre et la pertinence des femmes dans la recherche sur les STIM?

Je crois que la promotion de la dimension de genre dans le cadre de la recherche passe par les agences de financement. Aux National Institutes of Health (NIH) aux États-Unis, par exemple, il est déjà obligatoire que toutes les expériences médicales soient effectuées sur le même nombre d'hommes et de femmes. Et s'ils [les chercheurs] ne respectent pas cette exigence, ils ne reçoivent pas de financement. Au Mexique, à travers le CONACYT, nous avons pris des mesures sur l'égalité des sexes, d'une part, et de l'autre, sur l'intégration de l'analyse de genre dans la recherche. Nous avons des dispositions particulières pour les femmes autochtones, nous offrons des extensions aux chercheuses lorsqu'elles tombent enceintes, et nous augmentons la limite d'âge pour les femmes qui participent à des concours pour occuper des postes dans des centres de recherche ou pour gagner des prix [parce qu'elles pourraient avoir passé du temps loin du travail pour des activités d'ordre familial]. Mais je pense que l'investissement initial doit provenir de l'enseignement public, pour motiver les filles à étudier les STIM (science, technologie, ingénierie et mathématiques).

Voyez-vous des différences significatives entre les conditions en Amérique latine et dans le reste du monde?

Ce que nous savons des statistiques de l'UNESCO est que l'Amérique latine est l'une des régions comptant le plus grand nombre de femmes scientifiques et que, face aux problèmes sociaux de notre région, les femmes instruites ont plus d'opportunités que les hommes non éduqués [à niveau égal]. Le problème est que dans la plupart des pays, les femmes n'arrivent pas à atteindre des postes de direction ou des postes décisionnels aussi souvent que les hommes. L'écart entre les salaires et la difficulté de combiner la parentalité et la vie universitaire demeurent des défis. Mais je vois aussi que c'est une question de génération et que de plus en plus de jeunes femmes occupent des postes de direction. Les changements s'opèreront de manière progressive.