01/02/19

Le bassin du Congo menacé par les petites exploitations

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Bien plus que les grandes entreprises, les petites exploitations sont jugées responsables de la majeure partie de la destruction de la forêt du bassin du Congo - Crédit image: Loboda

Lecture rapide

  • Entre 2000 et 2014, le massif forestier du bassin du Congo a perdu 16,6 millions d’hectares
  • La situation est due davantage à l’action des petits exploitants qu’à celle des grandes compagnies
  • La solution réside dans la mise en place de politiques adaptées et l’assistance aux populations rurales

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Des chercheurs du département des sciences géographiques de l’université du Maryland, aux Etats-Unis, ont publié une étude indiquant qu’au rythme actuel de leur destruction, les forêts naturelles en République démocratique du Congo (RDC) pourraient disparaître d’ici à 2100.
 
Parue dans la revue Sciences Advances, l’étude, qui porte sur les forêts naturelles de l’ensemble du bassin du Congo, fonde sa conclusion sur l’analyse de données satellitaires chronologiques relevées entre 2000 et 2014.
 
Ces données ont montré que pendant cette période, la superficie de forêts perdue dans tout le bassin est de l’ordre de 16,6 millions d’hectares (ha). La RDC se taillant la part du lion, avec 69,1% de cette surface, suivie du Cameroun (9,9%).

“Il faut d’abord progresser dans l’état de droit, avec des lois qui sont appliquées et un système judiciaire qui fasse effectivement appliquer les sanctions prévues par la réglementation.”

Alain Karsenty, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD).

Quant à la superficie annuelle moyenne de forêts perdue par pays, elle varie entre 8.000 hectares en Guinée Équatoriale et 817.000 hectares en RDC.
 
L’étude attribue cette rapide déforestation à la forte pression démographique, couplée au fait qu’un grand nombre de ménages ne vivent que de l’exploitation des ressources de ces forêts.
 
« On estime que 84% des perturbations forestières de la région sont dues au défrichement à petite échelle et non mécanisé de forêts », peut-on y lire. Cette situation tranche nettement avec l’idée répandue dans la région selon laquelle ce sont les compagnies d’exploitation forestière qui sont les premiers responsables de la déforestation.
 
Alexandra Tyukavina, chercheure associée à l’université du Maryland, explique dans une interview à SciDev.Net que « l’exploitation forestière par les grandes entreprises est l’un des principaux facteurs de perte de forêts au Cameroun et en République du Congo, mais pas dans tout le bassin du Congo ».
 
Mais elle s’empresse de souligner qu’au plan général, « en Afrique centrale, les forêts ont toujours été défrichées principalement par les petits exploitants, contrairement à d’autres régions et pays comme le Brésil et l’Indonésie, où le défrichement à grande échelle des forêts industrielles est dominant ».
 

Dégradation

 
Cela dit, insiste-t-elle, « la nouveauté de notre recherche réside dans la quantification explicite des contributions de différents facteurs de perte de forêt pour la première fois pour l'ensemble du bassin, à l'aide de données de télédétection. »
 
Si la responsabilité des petits exploitants est à ce point engagée dans la dégradation et la déforestation dans la sous-région, la question s’impose de savoir comment préserver cet écosystème, tout en nourrissant la population croissante de cette région qui, d’après l’étude, sera multipliée par cinq d’ici à la fin du siècle.
 
Alain Karsenty, chercheur au département « Environnements et Sociétés » du Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), estime qu’il faut agir aussi bien au niveau des politiques publiques, qu'à l’échelle des petits exploitants.
 
« Il faut d’abord progresser dans l’état de droit, avec des lois qui sont appliquées et un système judiciaire qui fasse effectivement appliquer les sanctions prévues par la réglementation », précise le chercheur.
 
Il est nécessaire, selon lui, pour chaque État, de définir et cartographier un « patrimoine forestier permanent » dans le cadre d’un aménagement du territoire négocié avec les différentes parties prenantes de l’utilisation des forêts.
 
« Assurer la primauté de la loi signifie qu’il faut faire prévaloir le statut de patrimoine forestier permanent sur les autorisations administratives qui peuvent être accordées par différents ministères, pour développer l’agriculture au détriment des forêts classées permanentes », souligne-t-il.
 

Maîtrise de la démographie

 
Le chercheur invite en outre les six pays [1] concernés par l’étude à mettre en place des politiques de maîtrise de la démographie et de développement combiné du gaz naturel et de l’électricité dans les grandes agglomérations en substitution du charbon de bois.

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Par ailleurs, « il faudrait être en mesure d’offrir aux petits paysans des incitations directes à la conservation des forêts, au reboisement, à l’agroforesterie et à la restauration des terres dégradées », ajoute-t-il.
 
Alain Karsenty pense notamment à des programmes de type « paiements pour services environnementaux », qui existent déjà dans certains pays comme le Costa Rica ou le Mexique.
 
Point focal de l’Osfaco (Observation spatiale des forêts de l’Afrique centrale et de l’Ouest) au Congo, Georges Claver Boundzanga, rejette pour sa part, le postulat de la disparition de la forêt en RDC.
 
« C’est la reprise d’un slogan politique porté par certaines personnes morales et physiques qui apprécient la déforestation du bassin du Congo, sur la base des convois de bois extrait de façon légale ou illégale », explique-t-il d’emblée.
 
« Les analyses que nous avons faites sur la base des plans d’aménagement forestier durables nous indiquent avec beaucoup de certitude que même avec le triplement de la population en 2100, les forêts du Bassin du Congo, dont certaines concessions seront à leur troisième rotation, resteront forêts », ponctue l’intéressé.
 

Patrimoine commun

 
Maxime-Thierry Dongbada-Tambano, point focal d’Osfaco en République centrafricaine (RCA), conteste lui aussi cette éventualité. « L'étude ignore les résultats de multiples activités et actions de conservation et de protection menées par les différents pays du bassin du Congo », affirme-t-il.
 
« D'ailleurs tous les États membres de la Comifac [2] (Commission des forêts de l’Afrique centrale, NDLR) disposent des textes de lois qui protègent le patrimoine commun de la sous-région. Ces États sont engagés pour la plupart dans le processus REDD+ [3] », poursuit-il.
 
Prenant l’exemple de son pays, la RCA, Maxime-Thierry Dongbada-Tambano, assure que « les agents du ministère en charge des eaux et forêts et ceux du ministère en charge de l'Environnement effectuent des contrôles périodiques au sein des sociétés forestières, pour vérifier l'application des clauses des cahiers de charges ».
 
« Certes, on note les cas d'exploitation illégale de la forêt par les petits exploitants et les populations riveraines, mais ceux-ci sont soumis à des contrôles stricts », conclut-il.
 
Ces réserves sur l’éventuelle disparition des forêts en RDC sont partagées aussi par Alain Karsenty : « les forêts marécageuses qui chevauchent les frontières de la RDC et du Congo pourraient ne pas reculer très fortement du fait des difficultés d’accès et d’utilisation de terres inondées fréquemment, ou de manière quasi-permanente », analyse-t-il.
 
Au regard de tous les dispositifs régionaux et nationaux, Georges Claver Boundzanga conclut que la question de la préservation des forêts du bassin du Congo ne relève plus que de la dynamique de la coopération internationale au profit de ces forêts du Bassin du Congo, en termes de mobilisation financière ».

Références

[1] Cameroun, Congo, Gabon, Guinée Equatoriale, République centrafricaine et République démocratique du Congo.
[2] Les pays membres sont : Burundi, Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, RCA, RDC, Rwanda, Sao Tomé et principe, Tchad.
[3] La réduction des émissions résultant du déboisement et de la dégradation des forêts (REDD +) est un mécanisme mis au point par les parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) pour offrir aux pays en développement des incitations leur permettant de réduire les émissions provenant des terres forestières.