15/03/12

Sortir les innovations des laboratoires pour sauver des vies dans les villages

Les interventions dotées d’une importance vitale, comme les moustiquaires, doivent être largement diffusées et à faible coût. Crédit image: Flickr/Gates Foundation

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D’après Abdallah Daar et Peter Singer, pour améliorer la santé des pauvres il faudra promouvoir les innovations locales et élaborer des stratégies pour les leur apporter.

Dans les années 1980 et 1990, les chercheurs en sciences de la vie ignoraient largement les populations pauvres, confinant par exemple la génomique à des laboratoires sophistiqués des pays riches.

Nous oensons que la révolution des sciences de la vie ouvre aujourd’hui la voie à une nouvelle ère de médicaments, de vaccins et de diagnostics moins chers et de meilleure qualité. [1] C’est dans les pays à faible revenu et dans ceux à revenu intermédiaire (PFR-PRI) que la perspective d’une amélioration de la santé est la plus attendue, avec l’espoir qu’un enfant né dans un pays pauvre aura la même espérance de vie que celui né dans un pays riche.

Ces efforts portent déjà leurs fruits. Prenons l’exemple du paludisme, pour lequel un vaccin est attendu d’ici à 2016. Les biologistes étudient les profils génétiques pour comprendre ce qui fait que certains enfants attrapent le paludisme cérébral et meurent, tandis que d’autres résistent. Il ne s’agit là que de l’une des nombreuses applications des sciences de la vie dans la santé mondiale.

Transférer les sciences de la vie du laboratoire au terrain –à ceux qui ont le plus besoin de ces innovations comporte des défis éthiques, sociaux et commerciaux. Les solutions durables à ces obstacles sont celles qui sont faites maison, lorsque le laboratoire est très proche du terrain.

Les Grandes Initiatives

Le programme Grands défis dans la santé mondiale (Grand Challenges in Global Health), lancé en 2003 par la Fondation Bill et Melinda Gates, a commencé par s’attaquer à 14 ‘obstacles essentiels’ à la résolution des problèmes de santé (principalement infectieux) dans le monde en développement.

Des initiatives ultérieures de priorisation de la recherche ont mis l’accent sur les maladies non transmissibles. On peut citer par exemple le programme des Grands défis dans les maladies chroniques non transmissibles (Grand Challenges in Chronic Non-Communicable Diseases), qui a entraîné la création de l’Alliance mondiale contre les maladies chroniques (Global Alliance for Chronic Disease ou GACD), une alliance internationale d’organismes de financement destinés à coordonner la recherche sur les maladies cardiaques et les accidents vasculaires cérébraux, certains cancers, les affections respiratoires et le diabète de type 2. Plus récemment, on peut mentionner l’Initiative pour les grands défis dans la santé mentale mondial (Grand Challenges in Global Mental Health initiative).

Ces deux dernières identifient le rôle des déterminants sociaux de la santé et la nécessité de mettre l’accent sur le changement d’attitude et la recherche sur la mise en pratique, sur la façon d’encourager l’adoption des résultats de recherche.

La recherche sur la mise en pratique est indispensable dans les PFR-PRI pour s’attaquer à des questions que l’on considère comme allant de soi dans les pays riches. Ainsi, dans les zones urbaines en Tanzanie, la recherche a a montré que 30 pour cent des gens avaient une pression artérielle élevée mais que moins d’une personne sur cinq était consciente de son état. 10 pour cent seulement de ces personnes ont reçu un traitement durable.

Le financement de la recherche sur ces problèmes sera bientôt annoncé par le GACD, en partenariat avec Grand Challenges Canada et d’autres organismes, dont les Instituts canadiens de recherche en santé et le Centre de recherches pour le développement international.

Mise en œuvre: les défis

Jusqu’à présent, la recherche sur la mise en œuvre a été dénigrée. Les études réalisées via des échantillons aléatoires et contrôlés sont la norme rêvée pour évaluer la sécurité et l’efficacité des médicaments. On attache mois d’importance aux programmes touchant aux interventions en matière de santé, qui risquent de bénéficier d’une moindre rigueur scientifique.

Nous devons comprendre comment assurer des interventions médicales salutaires, améliorer l’accessbilité auxdites interventions, les rendre financièrement abordables, et les accroître massivement.

Et nous devons garder à l’esprit que l’identification et le financement des priorités de recherche dans les sciences de la vie ne sont que la première étape vers un changement réel. Les technologies doivent être transformées en produits réels et vulgarisées à faible coût pour les personnes qui en ont besoin.

De nombreuses idées scientifiques n’aboutissent à rien ou aident beaucoup moins de personnes que prévu. Dans la plupart des régions d’Afrique, les idées scientifiques, même les meilleures, ne sont jamais commercialisées.

Par exemple, la commercialisation d’un simple test diagnostic rapide de la schistosomiase sur bandelette a échoué au Ghana faute d’un système adéquat de mise sur le marché. ET l’on peut citer de nombreux autres exemples de ‘technologies stagnantes’.[2]

On peut aussi mettre au nombre des obstacles une culture de la recherche scientifique qui se concentre sur les publications plutôt que sur les résultats du monde réel et une circulation limitée des connaissances et des compétences entre les chercheurs, les entreprises et les fournisseurs de capitaux, les organismes gouvernementaux de réglementation et les décideurs politiques. Et il n’’existe presque aucun capital-risque pour financer des idées à un stade précoce.

L’Afrique est toutefois en mesure, désormais, de prendre en charge la résolution de ses propres problèmes sanitaires et économiques. En Tanzanie, la société A to Z Textile Mills est devenue le plus grand fabricant du continent de moustiquaires imprégnées d’insecticide à longue durée. Elle emploie ce faisant environ 6 000 personnes, participant ainsi directement et indirectement à l’amélioration de la santé.

Soutenir les entreprises locales

Dans la perspective des dix prochaines années, nous estimons que l’innovation alimentera les progrès en matière de santé mondiale et que les problèmes seront résolus d’une manière holistique. Quant à la recherche sur la mise en œuvre, elle prendra de l’importance à mesure que s’approfondira notre vision des risques de maladie et de la biologie.

Susciter des innovations locales et trouver des moyens pour les transférer aux personnes qui en ont besoin est la réponse durable aux problèmes de santé du monde en développement.

Que pouvons-nous faire pour soutenir les entreprises innovantes? Grand Challenges Canada investit dans la recherche pour intégrer les entreprises, la science et l’innovation sociale – c’est ce que nous appelons ‘innovation intégrée’. Celle-ci sera la clef pour faire passer l’idée scientifique du laboratoire au terrain.

Avec son programme Etoiles montantes de la santé mondiale (Global Health Rising Stars), Grand Challenges Canada offre un financement à de jeunes chercheurs de pays en développement pour qu’ils dévoilent des idées vraiment novatrices susceptibles d’avoir un impact majeur.

Il y a peu de doutes quant au fait que les innovations du monde en développement prendront de plus en plus le chemin des pays riches, inversant le sens traditionnel du transfert de technologie.

Abdallah Daar est scientifique en chef et Peter Singer, directeur général de Grand Challenges Canada. Tous deux sont également professeurs à l’Université de Toronto et au Réseau universitaire pour la santé (University Health Network), au Canada. Leur livre, The Grandest Challenge, a été publié par Doubleday Canada.

Références

[1] Daar, A.S, et Singer, P.A. The Grandest Challenge (Random House 2011)
[2] Simiyu, K., Daar, A.S., et Singer, P.A., Stagnant Health Technologies in Africa. Science 330, 6010 (2010)