01/12/16

Q&R : L’IRD et le financement de la recherche en Afrique

Jean Paul Moatti
Crédit image: IRD / Emmanuel Dautant

Lecture rapide

  • Avec des laboratoires mixtes, l’IRD aide à structurer des centres de recherche en Afrique
  • Ce soutien de 40 000 €/an vise la création de laboratoires de référence sur le continent
  • Pour financer la recherche, l’Afrique pourrait s’inspirer de l’European research council

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L’Institut de recherche pour le développement (IRD) n’est pas en soi une agence de financement de la recherche ; mais, comme son nom l’indique, une structure dédiée à la recherche proprement dite.
 
Cette institution française qui travaille beaucoup avec les pays en développement n’est pas cependant sans savoir que la problématique des ressources financières demeure le tendon d’Achille de la recherche scientifique dans les pays du sud, notamment en Afrique.
 
SciDev.Net a dès lors interrogé Jean-Paul Moatti, le président-directeur général de l’IRD pour comprendre comment ce centre de recherche contribue à relever un tel défi.
  

Comment l’IRD travaille-t-il avec les chercheurs des pays en développement ?

 
Un de nos mécanismes principaux, c’est d’envoyer en expatriation des chercheurs de l’IRD ou des chercheurs qui ne sont pas de l’IRD, mais qui sont dans des laboratoires de l’IRD. Nous les envoyons pour deux ans renouvelable une fois sur un programme de recherche dans les laboratoires de nos partenaires. Mais, dans certains pays, nous avons des représentations. Nous en avons 28 au total dans 23 pays et cinq régions d’outre-mer. Et il y a 14 en Afrique ; soit sept (7) en Afrique de l’ouest et centrale qui couvrent 21 pays, quatre (4) en Afrique de l’est, Afrique australe et Océan indien, qui couvrent 17 pays et deux régions d’outre-mer ; et trois en Afrique du nord et au Moyen-Orient qui couvrent huit pays. Six de ces quatorze implantations de référence sont dans des pays considérés comme les plus pauvres et prioritaires pour l’aide française. Ce sont le Bénin, le Burkina Faso, Madagascar, le Mali, le Niger, et le Sénégal. Tous les pays pauvres et prioritaires de la coopération française sont couverts par des représentations de l’IRD ou ont des chercheurs de l’IRD qui travaillent sur place. Mais, nous pouvons être dans d’autres pays de façon très forte sans y avoir de représentations…

La contribution principale de l’IRD, c’est le temps de travail que nos agents mettent dans ces pays et dans les laboratoires de ces pays. Evidemment, ils publient ou il co-publient avec des partenaires sur place. 

“Il faut pour l’Afrique l’équivalent de l’European research council (ERC), un dispositif financé par les Etats et des donneurs internationaux pour donner aux jeunes chercheurs les moyens de travailler”

Jean-Paul Moatti
P-DG de l'IRD – Marseille, France

Ainsi, 40 à 50 % de la production scientifique des laboratoires français qui sont sous-tutelle de l’IRD sont faites en co-publication avec des chercheurs du sud. Mais, si l’on considère les laboratoires qui ont envoyé des chercheurs dans des pays du sud, on passe à une proportion de 95%. 
Donc, quasiment tous les chercheurs qui sont allés au sud co-publient avec nos partenaires du sud. Ils vont travailler dans les laboratoires de nos partenaires, mais, restent rattachés à leurs laboratoires français. Car, ça n’a pas de sens d’avoir des laboratoires de l’IRD dans des pays étrangers. On n’est plus des colons.
Nous avons des dispositifs de financement de structures de recherche en partenariat pour aider nos collègues du sud. L’IRD, c’est en tout 2 500 personnes dans le monde ; mais, elles ne représentent qu’une partie du personnel de nos soixante laboratoires de recherche, que nous payons directement. Sur ces 2 500 personnes, on a 383 agents actuellement en Afrique, dont 230 sont des enseignants-chercheurs expatriés. 273 de ces 383 agents sont en service en Afrique de l’ouest et centrale, et pour beaucoup en Afrique francophone. En Afrique équatoriale et en Afrique anglophone, on a une soixantaine d’agents et en méditerranée, Afrique du nord et Moyen orient, on en a une cinquantaine. De plus en plus, nos représentations ne sont plus que des sièges administratifs et logistiques. Dans certains cas, non seulement nous avons ces bâtiments administratifs, mais, il y a des implantations où on peut mettre des instruments et équipements de recherche. C’est le cas au Sénégal.
 

Comment l’IRD adide-t-il concrètement à résoudre les problèmes de financement de la recherche dans ces pays où il intervient ?

 
Nous avons deux dispositifs qui marchent d’ailleurs très bien. On a des laboratoires mixtes internationaux (LMI). Son principe est d’associer au minimum un laboratoire français (IRD) à un ou plusieurs laboratoires de pays partenaires pour travailler ensemble sur un programme de recherche et pour aider à la structuration de la recherche. Et dans tous ces LMI, il y a toujours co-investigation ; c’est toujours un chercheur du pays en question qui est co-directeur. Actuellement nous animons au moins 33 LMI dans le monde, dont 17 en Afrique. L’idée, c’est qu’ils sont créés pour cinq ans. L’argent que nous pouvons leur donner reste limité ; ce n’est pas avec le financement que donne l’IRD et qui est de l’ordre de 40 000 euros par an qu’ils peuvent financer les programmes de recherche qu’ils mettent en œuvre. Cet argent aide surtout à la structuration. Après, le LMI, avec les financements nationaux des pays, va aux appels d’offres, au NIH américain, à l’ANR, etc.
On a un autre mécanisme qui s’appelle les Jeunes équipes associées à l’IRD, et on en compte 26 en Afrique. Elle consiste à aider les chercheurs qui n’ont pas encore toute la reconnaissance, y compris par leurs académies locales, pour monter des projets, pour les aider à les booster, pour passer à un niveau supérieur.
 

Et que deviennent ces programmes au terme de la durée de votre appui ?

 
La vocation aussi bien des LMI que des Jeunes équipes, n’est pas de se perpétuer. Les LMI, on les renouvellera une fois après cinq ans. Et on ne continuera à les soutenir après la première période de cinq ans que s’il y a une perspective claire permettant sa pérennisation. Sa vocation est de déboucher sur des centres de recherches connus plus largement. Par exemple, nous avons de bons espoirs que les LMI que nous faisons avec les Sud-Africains sur l’océanographie et basés à Cape Town et à Port-Elisabeth deviennent des centres de référence sud-africains avec des antennes dans d’autres pays de la région. Il y a d’autres bailleurs de fonds comme les Norvégiens de la fondation Desmond Tutu et nous espérons faire venir les Anglais. Donc, la vocation de ce LMI est de se fondre dans un centre de recherche plus large et à la limite, il pourra continuer à utiliser ce sigle, s’il le faut, pour garder les financements. Mais, l’objectif n’est pas de pérenniser ce dispositif.

D’ailleurs, on ne nous attend pas pour en faire dans d’autres pays. J’ai vu en Côte d’Ivoire par exemple qu’ils mettent en place d’autres soutiens ou d’autres financements des programmes de recherche qui peuvent déboucher sur des structurations du type centres de référence. Nous appuyons cela et éventuellement, on va insérer notre financement LMI et nos chercheurs dans de tels projets.

Il est important de savoir que l’IRD n’est en aucun cas une agence de financement ; mais un organisme de recherche. On n’a pas vocation à financer la recherche. Les financements dont je parle sont des financements qui aident à la structuration de la recherche. Dans notre plan stratégique, nous tenons compte, beaucoup plus que par le passé, de la différenciation des situations. Par exemple, en Inde, il n’y a pas de représentation de l’IRD. Pourtant, en dehors de l’Afrique, c’est l’un des pays dans lesquels nous menons le plus de recherches, où nous avons le plus de LMI et le plus de coproduction et de co-publication sur beaucoup de sujets. C’est parce que les Indiens ne nous attendent pas forcément pour produire scientifiquement. Et inversement, dans un pays comme le Niger, l’essentiel de notre activité passe par notre représentation, à travers l’aide qu’elle doit apporter à la structuration de la recherche.
 

Où situez-vous les principales causes de l’insuffisance de financement pour la recherche, en particulier en Afrique ?

 
En gros, les jeunes et les moins jeunes chercheurs africains aujourd’hui, même s’ils ont été recrutés parce qu’ils ont été en France ou aux Etats-Unis, ou parce qu’ils ont fait une thèse ou des publications, quand ils retournent dans leurs pays, ce qui n’est pas toujours le cas, ils vont être complètement bouffés par l’activité d’enseignement. Deuxièmement, ils ont des conditions matérielles et de salaires qui sont telles que s’ils veulent survivre, ils sont obligés d’être consultants. Ça ne veut pas dire qu’ils arrêtent les activités intellectuelles ou scientifiques, mais qu’ils n’ont pas les moyens, ni suffisamment de temps pour publier scientifiquement ou pour structurer des équipes. Or ce qui compte pour que la science marche, c’est de structurer des équipes et des laboratoires pour en assurer la pérennité, même si les équipes changent ou se renouvellent.

A mon avis, il faut pour l’Afrique l’équivalent de l’European research council (ERC), c’est-à-dire un dispositif qui soit financé par les Etats ou un regroupement d’Etats avec des donneurs internationaux. Un dispositif qui permette de donner des moyens à de jeunes chercheurs pour pouvoir travailler. Aujourd’hui, les chercheurs de l’ERC sont sept fois plus productifs que la moyenne de leur communauté scientifique ; parce qu’on a identifié les meilleurs et on leur a donné les moyens de travailler.
 

Est-ce un rôle que pourrait jouer le NEPAD par exemple ?

 
Effectivement. Mais, il est clair que pour que cela marche, il faut évidemment trouver des financements et un cadre institutionnel et le NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique) pourrait être impliqué. On a une fenêtre d’opportunités. D’abord parce qu’il va y avoir des financements pour la lutte contre le changement climatique avec le fonds vert. 

“Un investissement massif dans l’enseignement supérieur et dans le lien entre l’enseignement supérieur et la recherche est un bon investissement”

Jean-Paul Moatti
P-DG de l'IRD – Marseille, France

Si on arrive à montrer que c’est important d’investir dans la science, la recherche et dans un dispositif de ce type pour aider la science à avancer en Afrique, ce serait un énorme coup d’accélérateur, même si tout ne sera pas couvert par cela.

Ensuite, il va y avoir l’année prochaine, à l’automne, un sommet Union africaine – Union européenne. Un sommet au cours duquel on ne va parler que de choses négatives à savoir comment on va gérer les flux migratoires qui risquent de déstabiliser l’Europe, ou les problèmes de terrorisme, etc. Ce sont des problèmes qu’il faut résoudre et la recherche peut d’ailleurs y contribuer. Dire qu’on va entreprendre de grandes initiatives pour promouvoir les élites scientifiques et universitaires africaines, ça donnerait un message plus positifs.

Enfin, tout le monde est d’accord sur le fait qu’il faut faire un effort sur l’éducation. Et le secret c’est l’éducation des filles et des femmes, notamment en Afrique. Jusque-là, le financement de l’enseignement supérieur et de la recherche n’était pas forcément une priorité de la Banque mondiale ou de l’Agence française de développement (AFD) par exemple. Or, d’une certaine façon, c’est aussi important pour ces pays d’avoir des élites de haut niveau. Les lignes sont en train de bouger et, évidemment, nous à l’IRD, dans la mesure de nos faibles moyens, devons accompagner ce mouvement.
 

Conformément aux Objectifs du développement durable (ODD), l’Union africaine a invité ses Etats membres à consacrer 1% de leur PIB au financement de la recherche. Pourquoi cet objectif apparemment à leur portée est-il finalement si difficile à atteindre ?

 
C’est comme pour l’aide au développement dans nos pays. On n’y est pas encore, même en France. C’est toujours un problème d’arbitrages interministériels par rapport à des contraintes immédiates. Et ça renvoie à ce que nous appelons à l’IRD le paradoxe des ODD, voire le paradoxe des accords de Paris. Parce que quand vous lisez les ODD et l’accord de Paris, il y a de la science quasiment à toutes les lignes, explicitement ou implicitement. En même temps, il n’y a aucun paragraphe dans ces documents qui indique comment on structure la science, comment on la finance, comment on fait que ses résultats soient transférés et valorisés, etc. Sur la technologie, il y a des ouvertures sur le financement, les mécanismes de de facilitation ; mais pas sur la science en tant que telle. Quelque part, c’est un paradoxe.
 

Bien qu’étant l’un des pays les plus pauvres du continent, le Mali, avec 0,7% de son PIB consacré à la recherche, est le pays d’Afrique francophone le mieux classé dans le tout dernier classement établi par l’Institut de statistiques de l’UNESCO. Comment expliquez-vous un tel paradoxe ?

 
Tout dirigeant politique qui a lu un peu la littérature sur le capital humain a compris qu’un investissement massif dans l’enseignement supérieur et dans le lien entre l’enseignement supérieur et la recherche est un bon investissement. Tant mieux si on peut contribuer à ce qu’arrivent aux affaires des politiques qui comprennent un tel enjeux. Justement, quand nous appelons à renforcer l’autonomie de la communauté scientifique, ça veut dire que celle-ci devrait avoir un poids politique et social suffisant dans le pays pour que le fait que les priorités dans les arbitrages interministériels puissent être favorables ou défavorables à la recherche ne soit plus dépendant de la variabilité des parcours individuels des hommes et des femmes, mais, qu’ils puissent se stabiliser. De sorte que même si on a un ministre des Finances qui ne comprend rien à la recherche, qu’il ne puisse pas couper le budget. C’est pour cela que je crois beaucoup à un mécanisme du type ERC.

Cet article fait partie d'une série sur l'avenir du financement de la recherche dans les pays à revenu faible et intermédiaire, soutenue par le Centre de recherches pour le développement international (CRDI).