28/06/10

Analyse africaine : l’Afrique a-t-elle vraiment besoin d’un nouvel idéalisme ?

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D’après Linda Nordling, la politique d'innovation en Afrique a besoin de pragmatisme et de coopération et non de la vague d'idéalisme qui déferle sur la science pour le développement.

Est-ce la crainte que l'aide venant du Nord, inconstant quant à ses largesses financières, puisse être fortement réduite. Est-ce le témoignage d’une frustration grandissante devant l'incapacité des pays riches à tenir leurs promesses envers les pauvres du monde. Quelle que soit la raison, une vague d'idéalisme est en train de déferler sur le débat sur la politique d'innovation, et qui s’accompagne de cette marque qu’est l’idéaliste – le manifeste.

Ce mois-ci, le Social, Technological and Environmental Pathways to Sustainability Centre (STEPS), de l'Université de Sussex, au Royaume-Uni, a publié un manifeste dans lequel il demande que le monde en développement bénéficie des résultats plus équitables et durables issus de la recherche scientifique et de l'innovation (voir Un manifeste appelle à une nouvelle direction pour la recherche dans les pays pauvres).

Cet appel est consécutif à la parution du manifeste indien ‘Knowledge Swaraj’, publié en décembre 2009 par le projet Science, éthique et responsabilité technologique dans les pays en développement et émergents, financé par l’Union européenne. En Septembre, l’African Technology Policy Studies Network (Réseau africain d'études de politique de technologie) (ATPS) , basé à Nairobi, publiera un troisième manifeste, formulant des demandes similaires en Afrique.

Suffisamment révolutionnaire

En règle générale un ‘manifeste’ évoque des images de révolutionnaires dans des bars enfumés complotant pour renverser leurs dirigeants. Les manifestes d'aujourd'hui sont plus pacifiques, et visent à influencer plutôt qu’à abattre le souverain. Mais ils s’attaquent aux motivations qui soutendent les investissements scientifiques et technologiques dans les pays en développement.

Le manifeste du STEPS, publié le 15 juin, affirme que la croissance des investissements dans la recherche et développement (R&D) n’ont pas profité aux pauvres. En Inde, par exemple, des centres de haute technologie comme à Bangalore côtoient des paysans qui vivent encore comme il y a un siècle.

Il accuse la course effrénée aux résultats financiers – plutôt qu’aux résultats du développement – générés par les investissements dans les sciences ; et condamne l'exclusion des populations les plus pauvres de la prise de décisions dans les domaines de la science et de l'innovation.

La solution prônée par le manifeste du STEPS est une ‘nouvelle politique de l'innovation’. Une prise de décisions collective permettrait, en effet, de se concentrer sur les résultats plutôt que sur les intrants tels que les dépenses de R&D.

Le manifeste propose que les pays créent des ‘forums d'innovation’ pour débattre des investissements et des choix technologiques de façon plus globale. Et suggère que le financement des ‘centres d'excellence’ scientifiques soient remplacés par une politique de soutien à une science qui répondrait aux besoins locaux.

Si de telles recherches n’étaient pas publiées dans les plus grandes revues internationales, ou ne conduisaient pas à la découverte d’un nouveau produit particulièrement lucratif, elles pourraient en revanche bénéficier de davantage de retombées.

Un pas de plus

Kevin Urama, le directeur exécutif de l’ATPS, affirme que le manifeste de l’ATPS permettra de faire un pas supplémentaire dans le domaine de la promotion de la ‘domestication’ de la science en Afrique,

La confiance de l'Afrique dans sa propre science — les connaissances traditionnelles — a baissé avec le colonialisme et l'arrivée des traditions scientifiques occidentales. Il fait valoir que cette perte culturelle est à la base de l'incapacité de la science financée par l’Occident d'améliorer la vie des africains ordinaires.

Les agriculteurs qui sont habitués à tenir leur sagesse des anciens ne suivent pas forcément les conseils des plus jeunes, instruits et urbanisés. Leurs systèmes de connaissances ne s’accordent tout simplement pas, dit Urama.

La science doit être différente en Afrique, poursuit-il. Les signes extérieurs de la science internationale ou occidentale — les pressions consistant à publier dans des revues internationales de premier plan et à prendre part à des conférences internationales – font obstacle à la science qui peut contribuer au développement, soutient-il.

Les structures des politiques scientifiques en Afrique doivent également changer afin de rapprocher la science des africains ordinaires, ajoute-t-il. "A l’heure actuelle, ces structures sont pensées par des élites du Nord s’adressant à d’autres élites du Sud – soit des personnes qui ont été formées dans le Nord", poursuit-il.

Mais est-il utile?

Le STEPS et l’ATPS posent des questions cohérentes sur les obstacles qui empêchent les investissements dans la science et la technologie de combattre la pauvreté. Mais l'idéalisme est-il vraiment ce dont l'Afrique a besoin?

Les manifestes, par définition, proposent des positions radicales à des problèmes concrets et souvent redondants. Ils pourraient amener les hommes politiques à croire en des ‘balles magiques’ qui apporteront des améliorations immédiates.

Pire encore, ils pourraient inspirer des volte-face politiques dans lesquelles de plus petites modifications, ou un peu plus de patience, pourraient produire de meilleurs résultats. Par exemple, la condamnation par le manifeste du STEPS des ‘centres de pensée d'excellence’ pourrait inciter les ministres africains à retirer leur soutien à ceux déjà mis en place dans le cadre du Plan d'action consolidé du continent dans des domaines comme la biologie et les sciences de l'eau, gâchant ainsi des années d'investissements et de constitution de réseaux.

Les gouvernements africains devraient lire les manifestes de façon pragmatique et non idéaliste. Ils ne devraient pas se précipiter pour créer de nouvelles structures de soutien à ce type d'innovation et de science, mais étudier la manière dont les canaux politiques actuels peuvent apporter ce que ces documents réclament.

L’interconnexion

L’un des obstacles majeurs qu’il convient d’aborder est l'isolement entre les différents organes directeurs africains. L'agence du Nouveau partenariat panafricain pour le développement de l'Afrique est justement en cours de restructuration pour résoudre ce problème. Peut-être établira-t-elle des liens plus étroits entre les programmes scientifiques et les secteurs de politique connexes tels que l'environnement, la santé et la gestion des ressources.

Des efforts de rapprochement semblables devraient être encouragés dans des organisations comme l'Union africaine, basée à Addis-Abeba. La Conférence ministérielle africaine sur la science et la technologie (AMCOST) devrait être plus proche des conseils des ministres des finances, de l'éducation et l'agriculture, entre autres.

Un bon début pour AMCOST consisterait à rebaptiser sa ‘Décennie pour la science africaine’ qui devrait débuter l'année prochaine en ‘Décennie pour la science et l'innovation en Afrique’. Et amener ensuite d'autres ministères à s’y joindre.