14/04/14

Le financement de la recherche par la redevance pétrolière bat de l’aile

Oil Can_Flickr_Institute for Money, Technology and Financial Inclusion
Crédit image: Flickr/Institute for Money, Technology and Financial Inclusion

Lecture rapide

  • Les projets nigérians et ougandais d'utilisation du pétrole pour financer la science ont fait long feu
  • Après sept ans, l'argent du pétrole au Brésil est détourné de la science
  • L’initiative de la Colombie d’utiliser des revenus issus du pétrole et de l'exploitation minière pour financer la recherche a connu des retards

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[BOGOTA] Plusieurs pays en développement ont lancé l'idée du financement de la recherche publique avec une taxe ou des redevances issues des ressources naturelles telles que le pétrole, mais seulement quelques-uns semblent avoir tenu leur promesse.

La proposition du Nigeria, en 2006, d’utiliser les revenus pétroliers pour créer un fonds de 5 milliards de dollars US pour la science et la technologie semble avoir fait long feu. De même, en Ouganda, où le président avait annoncé en 2010 qu'il voulait utiliser le pétrole nouvellement découvert pour financer la science, les revenus du pétrole n’ont pas encore commencé à arriver.

De l’autre côté de l'Atlantique, les scientifiques du Brésil ont lancé en 2011 une campagne pour que des revenus issus de certains des gisements de pétrole nouvellement découverts dans le pays soient utilisés pour financer la recherche – mais ils n'ont pas réussi.
 
Pourtant, au cours des sept dernières années, les revenus tirés des champs pétroliers plus anciens du Brésil ont fourni près de la moitié du budget du Fonds national pour le développement scientifique et technologique. Mais suite à modification de la loi, à partir de cette année, ces revenus pétroliers iront plutôt à l'éducation et à la santé, entraînant ainsi une réduction du financement des projets de recherche.

Selon Helena Nader, la présidente de l'Association brésilienne pour l'avancement des sciences, "le fonds ne recevra rien des revenus pétroliers".
 
Helena Nader déclare à SciDev.Net que le gouvernement est en train de prendre la "mauvaise voie", en essayant de résoudre les problèmes sociaux actuels, mais en oubliant de concevoir des projets pour dans trente ans. Elle affirme que cela est "dangereux".

Elle mène une campagne impliquant plus de 100 sociétés scientifiques, dont l’objectif est de convaincre les hommes politiques nationaux de consacrer dix pour cent des revenus du pétrole à la recherche scientifique et technologique.
 
"Je me bats pour une réforme de la loi”, ajoute Helena Nader.
 

L'exemple de la Colombie

En Colombie voisine, qui a adopté en 2011 une loi stipulant que dix pour cent des redevances minières et pétrolières seraient investis dans la recherche en matière de science, de technologie et d'innovation (ST&I), le financement s’est poursuivi, mais il y a eu des problèmes.
 
Au total, 580 propositions de projets ont été acceptées à l’origine par le ministère colombien de la science, de la technologie et de l’innovation, qui administre le fonds, mais un peu plus de 200 seulement ont été approuvées par un nouvel organisme, composé d'universitaires et de représentants des gouvernements régionaux et central, appelé Organe collégial d’administration et de décision (OCAD). Cet organisme prend des décisions en partie en fonction des besoins de développement des régions.

Edwin Ramirez, du ministère de la planification nationale de la Colombie, qui gère les investissements publics, déclare à SciDev.Net que la loi prévoit qu’un supplément de 425 millions de dollars US par an soit investi dans la science, la technologie et l’innovation.

"Cela représente une injection de nouvelles ressources pour le système de ST&I équivalant à près de 50 pour cent des investissements publics dans des activités relatives à la ST&I", affirme-t-il.
 
Cela signifie selon lui que le pourcentage du PIB (produit intérieur brut) investi dans le secteur sera passé de 0,45 pour cent en 2012 à 0,6 pour cent en 2013. "Il pourrait même être plus élevé si l'on considère que beaucoup de ces projets approuvés sont également en train d’investir des fonds propres".
 
Selon Ramirez, grâce à cet argent, de nombreux départements de gouvernements régionaux seront en mesure d'investir pour la première fois dans la ST&I.
 
Mais il y a eu des retards importants : les chiffres du ministère de la planification nationale montrent que seulement un peu plus de la moitié des montants alloués pour l’année 2012 – la première année de financement – ont été versés aux scientifiques jusqu'à présent.
 
Selon les statistiques du gouvernement, les premiers chèques n’ont commencé à arriver qu'à la fin de 2013, dans certains cas un an après l’approbation préalable des projets par l'OCAD.

Les chiffres du ministère de la planification indiquent qu’en tout, 303 millions de dollars US des redevances sur les ressources de 2012 et 2013, destinés à des projets de science et d'innovation, attendent toujours l'approbation de l'OCAD.

Et l’idée selon laquelle les besoins de base des gouvernements régionaux devraient être pris en compte au moment où l’on décide quels projets financer est loin de faire l’unanimité.

"La façon dont ils sont distribués et le processus d'attribution des fonds sont absurdes", affirme Francisco Piedrahita, le recteur de l'Université ICESI, en Colombie.
Moisés Wasserman, l'ancien recteur de l'Université nationale de Colombie, ajoute: "Je ne connais aucun pays au monde qui élabore son plan de ST&I en se fondant sur ces types de besoins".

Moisés Wasserman ajoute que l'introduction d'une procédure d'approbation du financement basée sur les redevances pétrolières et minières a créé un processus parallèle au système habituel de financement de la recherche en Colombie. Cela a politisé le système de financement de la recherche et a provoqué une scission au sein du mécanisme, nuisant ainsi à la gouvernance établie du secteur, estime-t-il.

"Les redevances sont fragmentées, négociées et cédées", convient Hernán Jaramillo, doyen de la faculté d'économie à l'Université de Rosario. Il reproche au ministère de la ST&I d’avoir rendu le système vulnérable à des jeux d’influence politique et de manquer de réflexion, de politiques et d’instruments scientifiques à moyen et à long termes.

Avec la contribution d'Emeka John Kingsley et Esther Nakkazi.