03/10/17

Préserver le climat en impliquant les autochtones

Mada Forest
Crédit image:  Pierre-Yves Babelon

Lecture rapide

  • Les forêts constituent la seule "technologie" sûre de capture et de stockage du carbone
  • Les communautés locales sont les gardiens de cette précieuse ressource
  • La reconnaissance de leurs droits fonciers est essentielle pour leur rôle protecteur

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En marge du lancement officiel de l’International Land and Forest Tenure Facility, à Stockholm, une conférence internationale a été organisée sur le thème "Droits fonciers : Lutte contre le changement climatique et promotion de la paix et de l'égalité entre les sexes".
 
Alors que l'inquiétude grandit au sujet de l'éventualité pour la communauté internationale de ne pas atteindre les objectifs de réduction des émissions de carbone, le gouvernement suédois, la Fondation Ford et d'autres bailleurs de fonds, ont repris à leur compte une piste sous-exploitée : la reconnaissance des droits fonciers des indigènes et des peuples des forêts d'Afrique, d'Amérique latine et d'Asie, devenus les protecteurs les plus avisés des forêts tropicales.
 
L’International Land and Forest Tenure Facility est une nouvelle institution créée pour promouvoir la reconnaissance des droits fonciers et forestiers collectifs à l’échelle mondiale, avec, entre autres vocations, la réduction des conflits et la réalisation des objectifs en matière d’environnement et de développement, à l'échelle mondiale.

“Ce qu'on ne dit pas souvent, c'est que ce ne sont pas les scientifiques qui sont au cœur du débat sur le changement climatique. Ce sont les paysans.”

Ibrahima Coulibaly – Coordination Nationale des Organisations Paysannes du Mali

La nouvelle organisation a, lors de la conférence de Stockholm, mis en évidence ses projets pilotes dans plusieurs pays d'Asie et d'Afrique.
 
Au Mali, la Coordination Nationale des Organisations Paysannes (CNOP) et Helvetas Suisse Intercoopération ont ainsi mis au point des approches et des outils innovants pour résoudre les conflits liés à la terre et encourager une gestion collaborative des ressources naturelles.
 
L'initiative, dénommée projet de soutien foncier et forestier au profit des communautés locales au Mali, a été partiellement financée par l’International Land and Forest Tenure Facility.
 
Elle a mis l'accent sur l'opportunité d'aborder les conflits fonciers, à la suite du conflit armé au Mali et a contribué à la réalisation de l'Accord de 2015 pour la paix et la réconciliation.
 
La CNOP et Helvetas ont en outre formé 17 commissions foncières locales et créé la première forêt intercommunautaire du Mali, facilitant ainsi un dialogue local multipartite sur l'exploitation minière.
 
Plus significatif encore est le travail abattu dans le domaine de la lutte contre le changement climatique.Boubacar Diarra, le responsable du projet de facilitation de tenure foncière pour le Mali, estime que celui-ci a contribué à mettre en place des collaborations entre trois communes pour le transfert de la gestion de massifs forestiers de 4220 ha, au bénéfice des communautés.
 
"Le transfert de la propriété de l'Etat aux collectivités va permettre d'améliorer la gestion, de diminuer la déforestation et, du coup, de contribuer à la réduction de l'impact du changement climatique", a-t-il déclaré dans une interview à SciDev.Net.
 
Ibrahima Coulibaly, président de la CNOP et vice-président du Réseau des organisations paysannes et des producteurs agricoles d'Afrique de l'Ouest (ROPPA), va plus loin, pour sa part, estimant que "les paysans sont au cœur des enjeux du changement climatique, étant donné qu'ils en sont les premières victimes."
 
"Si l'on veut réellement régler le problème de la dégradation des ressources naturelles et des sols, ainsi que les problèmes de pollution, il faut accélérer le règlement de la question de la propriété des terres et des ressources naturelles", poursuit-il.
 
"Ce qu'on ne dit pas souvent, c'est que ce ne sont pas les scientifiques qui sont au cœur du débat sur le changement climatique. Ce sont les paysans."
 
Selon Ibrahima Coulibaly, le projet, qui a été mis en œuvre au Mali avec l'appui de l’International Land and Forest Tenure Facility, a permis de se rendre compte que quand les communautés sont responsabilisées, la nature de la gestion change avec effet immédiat et le potentiel de mise à l'échelle est prometteur.

Surconsommation

Moussa Djire, recteur de l'Université des sciences juridiques et politiques du Mali, fait ressortir de son côté que les ressources naturelles font l'objet d'une énorme pression, due à l'urbanisation anarchique, à la démographie galopante et à des modèles de production orientés exclusivement vers le profit.
 
Cette situation a pour conséquence une surconsommation des ressources naturelles, avec beaucoup d'effets négatifs à la clé, estime-t-il.
 
Le chercheur malien cite l'exemple d'une entreprise internationale qui a investi dans l'industrie de la canne à sucre, dans la région de Ségou, à environ 235 km au nord-est de Bamako, avec à la clé des images de désolation à l'échelle d'une vingtaine de localités.
 
"Avec les pesticides utilisés, les engrais, il y a eu une pollution de l'eau d'irrigation, qui a entraîné la mort de centaines d'arbres dans la zone", regrette-t-il.
 
"Il y a eu aussi l'apparition d'oiseaux prédateurs, liée à la culture de la canne, celle d'insectes jusque-là inconnus, ainsi qu'une pollution de la nappe phréatique".

Expertise

 
En reconnaissant les droits des communautés sur leurs terres, en leur donnant la parole et en les associant, il est possible de les encourager à contribuer à endiguer ces phénomènes, de même que, de manière globale, le changement climatique, estime Moussa Djire. 

Reste qu'il est légitime de se demander dans quelle mesure les populations indigènes peuvent se saisir des questions relatives au changement climatique, en raison de leur complexité, dans un pays comme le Mali, avec un taux d'alphabétisation de 33,4%.
 
Mais pour Stephanie Keene, analyste des régimes fonciers au sein de l'ONG Rights and Resources, avec plusieurs années d'expérience en Afrique, la qualité première des populations autochtones, dans leur rapport avec la nature, reste le bon sens.
 
"Je ne pense pas que l'alphabétisation est une condition requise pour que les populations indigènes perçoivent les effets des changements climatiques et en comprennent les enjeux, parce qu'elles vivent ces réalités au quotidien", fait-elle valoir dans une interview avec SciDev.Net, précisant : "Ce dont ils ont besoin, c'est une organisation conséquente et c'est ce pourquoi la communauté internationale se mobilise pour défendre leur cause."
 
Toutefois, Boubacar Diarra note que l'un des obstacles auxquels le projet de tenure foncière au Mali était confronté reste précisément la question du niveau d'expertise.
 
Mais, explique-t-il, "un ensemble de collaborations entre les services techniques de l'Etat et des consultants privés, ainsi que des visites d'échanges, en vue du renforcement des capacités des autochtones, ont permis de venir à bout de cette difficulté."
 
En marge de la conférence de Stockholm, un nouveau rapport sur les conflits fonciers a été rendu public, avec un accent sur l'Asie du sud-est.
 
Le document estime que le respect des droits des peuples autochtones et des communautés locales réduit les risques dans le domaine des affaires, tout en préservant les ressources naturelles.
 
Les participants ont souligné que le consensus mondial croissant dans les allées des pouvoirs au sujet de la garantie des droits fonciers des autochtones et des communautés locales permettrait, entre autres, de lutter plus efficacement  contre le déboisement et le changement climatique et de résoudre les conflits persistants qui entravent le développement économique.