28/05/14

L’arganier, arbre en voie de disparition, huile bon marché

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Crédit image: Flickr/asirap

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L’huile d’argan, produit unique d’un arbre local, soutient l’un des projets scientifiques de développement les plus réussis au Maroc, réalisé uniquement par des femmes.

[LE CAIRE] Pendant plusieurs siècles, l’arganier résistant à la sécheresse, arbre endémique du Maroc, a servi de « rideau écologique » contre la désertification par le Sahara envahissant. L’huile d’argan représente le produit le plus précieux de l’arbre. Réputée pour sa saveur légère au goût de noisette, l’huile est utilisée en tant qu’assaisonnement et pour la cuisine, et est également connue pour ses vertus médicinales et cosmétiques.
 
Toutefois, au cours du vingtième siècle, le Maroc a perdu environ la moitié de ses arganiers du fait de la déforestation, du surpâturage et du déboisement des terres agricoles.
 
Une partie du problème était liée au fait que la production d’huile d’argan ne motivait pas assez les populations locales à protéger les arbres : le processus d’extraction était difficile, chronophage et nécessitait un travail manuel ardu, et il y avait peu de preuves scientifiques pour rendre compte de la valeur nutritionnelle de cette huile, en d’autres termes, elle n’était pas rentable.
 
Par conséquent, les populations locales ont procédé à des déboisements pour laisser la place à des cultures plus lucratives et qui requirent moins de travail, comme par exemple les oranges, les bananes et les tomates. Mais Zoubida Charrouf, professeur de chimie à l’Université Mohammed V de Rabat, au Maroc, a vu l’arbre comme ayant un fort potentiel économique et écologique, en mécanisant partiellement les processus de production d’huile traditionnelle et en impliquant les communautés locales. « L’idée consiste à transformer le problème environnemental en opportunité économique, et à investir dans la nature», déclare Zoubida Charrouf.
 

La science à la rescousse

En 1986, Zoubida Charrouf a commencé à faire des recherches sur les techniques traditionnelles et les processus de production de l’huile d’argan.
 
En utilisant la nouvelle technologie développée dans son laboratoire de Rabat, elle a mécanisé une partie du processus de production : elle a découvert que le fait d’automatiser le pressage de l’huile permettait d’accélérer les opérations, d’améliorer la qualité de l’huile, de réduire les déchets et de prolonger la durée de conservation de l’huile, ce qui contribue à réduire les coûts de production et à améliorer le revenu engendré par les ventes d’huile. Elle a également découvert que l’huile d’argan contenait des substances moléculaires uniques, dont des agents antioxydants et antimicrobiens, et a réalisé des études sur le terrain, au cours desquelles elle a consulté des producteurs d’huile locaux pour établir un plan innovant destiné à améliorer l’ensemble du processus de production et le rendre plus durable et plus lucratif.
 
L’objectif du projet consistait également à établir une industrie appartenant aux populations locales et gérée par elles en les encourageant à se sentir responsables de la protection et de la gestion de la durabilité des arbres. Cette nouvelle industrie est basée sur des preuves scientifiques solides et sur plusieurs années de recherche.
 
En 1998, après avoir obtenu une bourse d’étude de quatre ans de la part du Centre canadien de recherches pour le Développement International (IDRC), Zoubeida Charrouf a démarré son projet.
 
Elle a commencé par réunir des femmes analphabètes ayant de l’expérience dans le domaine de la production d’huile d’argan en établissant des coopératives à travers lesquelles les populations locales ont pu créer des entreprises qui leur appartiennent et dont elles assurent la gestion. Elle a créé la première coopérative à Tamanar, dans le sud-ouest du Maroc. En 2002, quatre coopératives supplémentaires ont été créées dans d’autres villes du pays, employant chacune entre 45 et 60 femmes.
 
Zoubeida Charrouf est désormais Présidente de Ibn Al-Baytar, une association basée à Rabat, créée en 1999 grâce au financement de donateurs nationaux et internationaux, dont l’objectif est de développer et d’améliorer la production et la gestion commerciale de l’huile d’argan.
 
« L’IDRC a décidé de financer le projet car il présentait un fort potentiel en termes de protection de la biodiversité et d’amélioration des moyens de subsistance des personnes les plus démunies», affirme Bruce Currie-Alder, Directeur régional d’IDRC pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.
 

Succès internationaux, bénéfices locaux

Le projet est actuellement financé par le gouvernement, la population locale, les ambassades et des donateurs internationaux, dont l’Union européenne. « Le fait d’impliquer différents acteurs dès le début était essentiel pour le succès et la viabilité du projet», déclare Zoubeida Charrouf.
 
Le projet a contribué à lancer trois nouveaux produits : l’huile d’argan à usage cosmétique, une huile comestible élaborée à partir de graines grillées, et une pâte à tartiner comestible composée d’argan, de miel et d’amandes.
 
Ces produits connaissent un immense succès dans les boutiques marocaines, et contribuent à générer un revenu mensuel minimum de 150 euros (environ 207 dollars américains) par foyer et à créer une industrie qui rapporte en moyenne 20 millions d’euros (environ 28 millions de dollars américains) par an, et qui est liée à des marchés internationaux et à des sociétés de cosmétiques.
 
Environ 5000 femmes travaillent dans les coopératives et touchent entre 5 et 8 dollars américains par jour, ce qui est beaucoup plus que le revenu qu’elles avaient avant le lancement du projet.
 
Au niveau local, le projet a récolté de nombreux bénéfices.
 
Amina Ben Taleb, responsable d’une coopérative appelée Taitmatine, explique que le projet contribue à fournir des emplois et des formations. Elle affirme: «Non seulement les femmes qui travaillent à la coopérative apprennent à lire et à écrire, mais le fait d’apprendre et de pratiquer en continu crée une atmosphère de consolidation des compétences».
 
Le projet a également contribué à briser les tabous et a permis à des femmes marginalisées de trouver un emploi, de toucher un salaire et d’investir dans l’éducation de leurs enfants.
 
D’après Fatima, l’une des femmes qui travaillent à la coopérative Taitmatine, "le fait que les femmes rurales quittent leurs foyers pour travailler a toujours été tabou, mais après avoir constaté le succès des coopératives d’argan, les gens ont changé d’avis et soutiennent désormais vivement le travail des femmes."
 
Scientifiquement, le projet a conservé et approuvé de nombreuses techniques traditionnelles, et a contribué à la publication d’une centaine de rapports scientifiques.
 
Désormais, d’autres scientifiques, en provenance du Maroc et d’autres pays, sont impliqués dans d’autres aspects des recherches consacrées à l’arganier, déclare Charrouf.
 
Le fait de parler de l’huile d’argan lors de conférences scientifiques et d’évènements culturels a également contribué à susciter un intérêt mondial et à développer les ventes à travers le monde. Selon Charrouf, « Le prix de l’huile d’argan a augmenté de 2,50 € à 25 € par litre en l’espace de dix ans. » Currie-Alder ajoute : "Je pense que la plus belle réussite a été d’améliorer la qualité de la production, de manière à rendre le produit plus commercialisable et lui permettre d’être vendu au prix fort". Et les coopératives d’argan attirent des touristes curieux de découvrir le processus de fabrication et désireux d’acheter l’huile à la source.
 
D’un point de vue écologique, la période comprise entre 2000 et 2010 a connu une augmentation multipliée par 100 du reboisement d’arganiers, et des projets sont en cours pour le reboisement de 60 000 hectares supplémentaires chaque année.
 
Le projet, et Charrouf elle-même, ont reçu de nombreux prix, dont le Prix International Slow Food pour la Biodiversité, décerné à la coopérative Tamanar Amal en 2001, et le Premier Prix du Maroc pour l’Invention et la Recherche scientifique et technologique, décerné à Charrouf en 2010.
 
En 2011, Charrouf a également remporté le Prix de la Banque islamique de Développement pour la Contribution des Femmes au Développement. Charrouf déclare: "Il s’agit d’une immense reconnaissance pour le travail réalisé dans la péninsule arabique, notamment dans les pays du Golfe." Charrouf a inspiré de nombreuses femmes en termes d’éducation et d’emploi : la plupart des femmes qui travaillent dans les coopératives n’avaient jamais eu accès à une éducation formelle ni n’avaient jamais eu un travail auparavant. Charrouf a également contribué de manière pratique à briser les tabous selon lesquels une femme ne doit pas travailler hors de chez elle, en mettant ses paroles en action.
 
En avril 2009, l’huile d’argan était le premier produit africain à être certifié au niveau international en tant que produit à Indication Géographique Protégée (IGP), un système d’étiquetage établi par l’Union européenne.
 

La nouvelle voie

Selon Charrouf, "Le projet est viable s’il est bien géré, doté d’une bonne gouvernance et de clients fidèles". Le projet est également viable car il est soutenu par des recherches scientifiques continues sur le potentiel de l’huile d’argan.
 
Plusieurs femmes sont responsables dans chacune des coopératives, sans aucune interférence de la part de Charrouf, ce qui signifie que l’idée se développe de manière moins centralisée et plus durable, affirme Ben Taleb.
 
Charrouf explique que le projet argan a été copié par des coopératives qui fabriquent d’autres produits marocains, et qui sont organisées selon le même modèle que les coopératives d’argan. "N’importe quelle communauté locale peut bénéficier des ressources naturelles qu’elle connaît et produit ; cela représente notre manière de lutter contre la pauvreté et de garantir la sécurité alimentaire", affirme Charrouf.
 
Cet article a été co-produit avec la coopération de l'Unesco.

Rasha Dewedar est une journaliste égyptienne qui a écrit de nombreux articles sur la science, la culture et les droits des femmes au Moyen-Orient au cours des sept dernières années. Ses articles sont publiés dans plusieurs publications, dont Nature Middle East, Alarabiya.net, Common Ground News et Egypt Independent. Depuis 2011, elle a écrit de nombreux articles pour SciDev.Net et participe à divers blogs et manifestations, principalement axés sur des sujets scientifiques dans le monde arabe.