24/06/22

Les vaccins à ARNm peuvent-ils aider à lutter contre la tuberculose ?

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Dr Adenov, directeur du programme national pour la tuberculose au Kazakhstan, avec un patient. Suite au succès de la technologie ARNm contre la COVID-19, les chercheurs tentent de développer un vaccin ARNm contre la tuberculose. Crédit image: USAID Central Asia, (CC BY-ND 2.0)

Lecture rapide

  • Des essais cliniques pour un vaccin ARNm contre la tuberculose doivent débuter cette année
  • La maladie tue environ 1,5 million de personnes chaque année, surtout dans les pays en développement
  • Le financement des recherches reste un des principaux obstacles au progrès dans ce domaine

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Un vaccin à ARNm (acide ribonucléique messager) efficace contre la tuberculose pourrait être développé rapidement et sauver plus d’un million de vies chaque année. C’est l’espoir de ceux qui mènent campagne pour une meilleure santé globale.

Suite au succès de la technologie ARNm contre la COVID-19, les chercheurs explorent la possibilité de développer un vaccin ARNm contre la tuberculose, qui occupe le deuxième rang parmi les maladies infectieuses responsables du plus grand nombre de décès.

La tuberculose est un produit de la pauvreté, mais c’est une maladie qu’on peut prévenir et guérir. Elle est causée par une bactérie, Mycobacterium tuberculosis, et se transmet d’une personne à l’autre par voie aérienne.

Les bactéries qui causent la tuberculose peuvent vivre plus longtemps dans des pièces sans air frais ou sans lumière et les mauvaises conditions de vie ainsi que le surpeuplement rendent le risque d’infection plus élevé.

La technologie ARNm a progressé au fil des ans et pendant la pandémie de COVID-19, elle a réalisé un véritable saut de mouton. Le moment est venu de l’employer pour développer un nouveau vaccin efficace contre la tuberculose

Suvanand Sahu, directeur exécutif adjoint, Partenariat Halte à la tuberculose

La maladie touche avant tout les habitants des pays en développement. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), on a enregistré en 2020 dix millions de nouveaux cas et 1,5 million de décès. Deux tiers des cas de tuberculose ont été recensés dans huit pays (dont la Chine, l’Indonésie, le Nigeria et l’Afrique du Sud).

Le seul vaccin homologué contre la tuberculose, le bacille de Calmette-Guérin (ou BCG), est vieux de cent ans. Il s’agit d’un vaccin vivant atténué, c’est-à-dire qu’on emploie une version vivante mais affaiblie de l’organisme à l’origine de la maladie. Le BCG protège les jeunes enfants, mais pour ce qui est des adultes et des adolescents, la protection est variable.

Les scientifiques demandent un financement plus important et un engagement politique pour soutenir la recherche et le développement nécessaires à la création d’un vaccin ARNm efficace contre la tuberculose.

Essais cliniques

 La vitesse « sans précédent » avec laquelle les vaccins contre la COVID-19 ont été développés, homologués et introduits, est un exemple à suivre pour la recherche et le développement concernant un vaccin contre la tuberculose.

C’est le point de vue exprimé par des membres du Groupe multipartite de la Feuille de route mondiale sur les vaccins contre la tuberculose dans un article publié en février dans The Lancet Infectious Diseases.

Selon le groupe, « de nouvelles plateformes ont été déployées avec succès et pourraient s’avérer utiles pour la tuberculose, notamment la technologie ARNm. »

Cela fait longtemps que l’on évalue le rôle potentiel de la technologie ARNm dans la prévention de la tuberculose. En 2004, une étude réalisée par des chercheurs au Royaume-Uni a conclu qu’un vaccin à ARNm donnait une « protection modeste mais non-négligeable » contre le Mycobacterium tuberculosis chez les souris.En Juillet dernier, la société allemande de biotechnologie (BioNTech) a annoncé que des essais cliniques d’un vaccin à ARNm contre la tuberculose développé avec le concours de la fondation Bill and Melinda Gates, débuteraient en 2022.

Selon l’entreprise spécialisée dans le développement de produits pharmaceutiques, ses essais cliniques débuteront « seulement deux ans environ après le lancement du programme ».

Suvanand Sahu est le directeur exécutif adjoint du Partenariat Halte à la tuberculose qui regroupe plus de 2000 organisations partenaires dont des gouvernements, des organisations internationales et des groupes de patients.

Médecin et spécialiste de la santé publique qui travaille dans le domaine de la tuberculose depuis plus de 18 ans, il précise que d’autres groupes à travers le monde œuvrent aussi au développement de vaccins à ARNm contre la maladie.

Il a confié à SciDev.Net que les équipes scientifiques qui ont mis au point les vaccins à ARNm pour la COVID-19 sont les mieux placées pour rapidement modifier la technologie afin d’obtenir un vaccin contre la tuberculose.

Viabilité d’un vaccin à ARNm

 Le vaccin BCG a été introduit en 1921 et, pour le moment, aucun autre vaccin contre la tuberculose n’a été homologué. Suvanand Sahu ajoute que « le BCG a 100 ans et n’offre une protection fiable que contre les cas graves de tuberculose chez l’enfant » ; précisant qu’ « il est clair que ce n’est pas l’outil qui va interrompre la transmission de la tuberculose et nous aider à vaincre cette maladie. »

C’est maintenant une «évidence» qu’il faut exploiter les plateformes ARNm pour accélérer le développement des vaccins : c’est l’argument qui a été présenté au forum mondial sur les vaccins contre la tuberculose qui s’est tenu en ligne en Avril 2021.

Mustafa Diken de BioNTech a expliqué au forum comment la technologie ARNm employée contre la COVID-19 pourrait être adaptée pour combattre la tuberculose.

En octobre 2021, des essais cliniques étaient en cours sur une douzaine de candidats-vaccins recensés par la Tuberculosis Vaccine Initiative qui effectue un suivi des produits en développement. Pour cinq de ces vaccins les essais étaient alors en phase III. Ces candidats-vaccins n’emploient pas la plateforme ARNm.

Patrick Tippoo, directeur exécutif de l’African Vaccine Manufacturing Initiative, un organisme basé en Afrique du Sud, a expliqué à SciDev.Net qu’en théorie, il serait possible de mettre au point un vaccin à ARNm pour prévenir la tuberculose.

Il a cependant ajouté qu’en pratique, il faudrait que les chercheurs puissent trouver les cibles les plus appropriées pour les antigènes contenus dans le vaccin :

« Les cibles correctes pour les vaccins restent à identifier et cela se révèle difficile pour le moment. »Les nouveaux centres de transfert de technologie ARNm de l’OMS ont nourri un certain optimisme et un sentiment sur le fait que le moment est venu de mettre au point un nouveau vaccin contre la tuberculose. Selon

l’OMS, les centres de transfert de technologie donneront aux pays à revenus faibles et intermédiaires les moyens de réaliser leurs propres vaccins, médicaments et diagnostics, et la technologie pourrait aussi servir à développer des vaccins contre d’autres maladies prioritaires telles que la tuberculose, le paludisme ou encore le VIH/SIDA.

« Nous sommes convaincus que la technologie ARNm peut être employée pour mettre au point un vaccin contre la tuberculose » affirme  Suvanand Sahu, qui a fait partie du groupe qui a lancé l’initiative pour l’éradication de la polio en Inde en 1997.

Selon lui, le vaccin à ARNm de 2004 testé sur des souris n’est pas passé à l’étape suivante de l’étude sur des humains en raison d’un manque de financement et parce qu’on pensait que « ce serait trop difficile d’obtenir un vaccin à ARNm ».

Il ajoute que  « La technologie ARNm a progressé au fil des ans et pendant la pandémie de COVID-19, elle a réalisé un véritable saut de mouton. Le moment est venu d’employer la technologie ARNm pour développer un nouveau vaccin efficace contre la tuberculose. »

Financement et accès au traitement

 La tuberculose multirésistante aux médicaments représente une crise de santé publique d’une ampleur grandissante. Un vaccin sûr et efficace est plus que jamais une nécessité. À un moment où la maladie a une visibilité accrue alors que les vaccins sont mis au point de plus en plus rapidement, les militants de la lutte contre la tuberculose demandent un soutien financier accru afin de combattre cette maladie qui fait tant de victimes.

Le financement de la recherche et du développement demeure un obstacle sérieux : en 2019, un total de US$ 901 million a été consacré à la recherche sur la tuberculose, une somme « très en deçà » de l’objectif de l’OMS (US$ 2 milliards par an). L’organisation appelle de ses vœux un doublement du financement de la recherche et du développement sur la tuberculose.

Pour Mel Spigelman, PDG de la Global Alliance for TB Drug Development, une organisation basée aux États-Unis et en Afrique du Sud, « nous sommes en mesure de réaliser des avancées scientifiques considérables dans le domaine des tests, du traitement et de la prévention de la tuberculose. [Toutefois] ce qui limite la portée de nos actions pour le moment, c’est une véritable pénurie de financements pour la recherche. »

Les militants de la lutte contre la tuberculose veulent lancer des dialogues sur le financement, l’accès et les coûts pour éviter l’inégalité qui a malheureusement caractérisé l’introduction des vaccins contre la COVID-19. La possibilité d’un vaccin ARNm contre la tuberculose soulève les problèmes des brevets et de la capacité de production des vaccins dans les pays en développement.

Recherche et développement

Pour Sarah Fortune, titulaire de la chaire du département de l’immunologie et des maladies infectieuses à l’École de santé publique TH Chan de Harvard, à Boston aux États-Unis, il demeure essentiel de se concentrer avant tout sur la recherche et le développement pour le moment.

Pour elle, « même si je comprends les préoccupations de ceux qui s’inquiètent de savoir si un vaccin sera abordable … Je crois que cela détourne notre attention d’un problème plus pressant, celui de savoir si un vaccin protégeant contre la tuberculose est biologiquement possible. »

Sarah Fortune ajoute que « nous voulons que tout le monde fasse un gros effort pour résoudre ce problème car fondamentalement nous ne savons pas comment fabriquer un meilleur vaccin contre la tuberculose et un million de personnes en meurent chaque année. »

La version originale de cet article a été rédigée par l’édition mondiale de SciDev.Net dans le cadre de notre dossier « Vaccins à ARN messager : La nouvelle frontière ».