03/03/19

La recherche pour soutenir l’agriculture au Sahel

Niger Sahel
Vue panoramique du paysage du Sahel et de l'oasis Dogon Tabki, avec rivière inondée à Dogondoutchi - Niger. Crédit image: Depositphotos/Homocosmicos-ID: 212977656 . Taille d'image modifiée - AP.

Lecture rapide

  • Le secteur agricole emploie deux tiers de la population dans la zone sahélienne
  • Mais de nombreux problèmes structurels menacent la sécurité alimentaire dans la région
  • Chercheurs et acteurs du secteur appellent à une transformation rapide

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La conférence Sahel, terre de défis et d’opportunités agricoles, organisée mercredi 27 février 2019 à Paris par l’Agence française de développement (AFD) et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), a proposé un éclairage sur le rôle de la recherche et de l’innovation pour accompagner le développement de l’agriculture sahélienne et son adaptation aux changements climatiques.
 
Dans la zone sahélienne, qui s’étend du Sénégal à Djibouti, deux personnes sur trois travaillent dans le secteur de l’agriculture. La conférence Sahel, terre de défis et d’opportunités agricoles, organisée en marge du 56e Salon international de l’Agriculture de Paris,  par l’AFD et le CIRAD, s’est plus particulièrement intéressée aux pays sahéliens d’Afrique de l’Ouest et notamment aux pays du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso et Tchad) qui affichent un retard sensible en regard des pays anglophones limitrophes comme le Nigeria.

Dans un contexte d’insécurité alimentaire et de risque de fragilisation des territoires dus aux changements climatiques, Patrice Burger, président de l’organisation non gouvernementale Centre d’actions et de réalisations internationales (CARI), affirme que « l’agriculture doit être envisagée comme une solution et non un problème ».

Risques du secteur agricole dans le Sahel

Agrisahel

 

L’intérêt européen pour le développement agricole de la région est manifeste. Le projet Alliance Sahel, de 9 milliards d’euros (près de 6000 milliards de Francs CFA) mené par la France, l’Allemagne et l’Union européenne depuis 2017, regroupe 600 programmes.

Pour Rémy Rioux, directeur général de l’AFD, « l’essentiel est [cependant] de définir des secteurs et des périmètres géographiques prioritaires », pour accroître l’efficience du développement dans la zone, d'autant plus que les défis s’avèrent nombreux, en particulier, l’accroissement démographique.

“Sans sécurité alimentaire, il ne peut y avoir de sécurité du tout.”

Bruno Ferreira, directeur adjoint du cabinet du ministère français de l’Agriculture et de l’alimentation

Le doublement de la population attendu à l’horizon 2050 – 160 millions d’habitants pour les cinq pays sub-sahariens – est d’autant plus sensible qu’il se conjugue avec des handicaps naturels spécifiques à cette partie de l’Afrique – dégradation des sols, approvisionnement en eau insuffisant.

Sécurité alimentaire et démographie

Le manque de stabilité majore encore les risques. La sous-région est en effet agitée par des conflits – groupes terroristes, rébellions Touareg – exacerbés par des tensions autour des ressources naturelles (terres, eau).

L’enjeu agricole est donc de taille, car insiste Bruno Ferreira, directeur adjoint du cabinet du ministre français de l’Agriculture et de l’alimentation, « sans sécurité alimentaire, il ne peut y avoir de sécurité du tout ».

Les évolutions démographiques, climatiques et sécuritaires sont aggravées par des défaillances politiques qui ralentissent les perspectives de développement du secteur agricole.

Pour exemple, l’absence de réglementation protectrice des marchés africains face à la concurrence internationale ou l’insuffisance des lois foncières pour garantir la propriété sur les parcelles de terre – qui limite de facto l’intérêt des investisseurs privés – majorent les écueils auxquels se confronte l’agriculture sahélienne.

Pour Michel Eddi, président directeur général du CIRAD, « l’important, désormais, c’est d’agir ». Le responsable français estime par ailleurs que pour ce faire, les opérateurs de la recherche française doivent se transformer, n’étant à son sens pas à la hauteur des enjeux de la zone.

Car les chantiers sont d’ampleur. La maîtrise de l’eau et le développement de projets d’irrigation constituent un préalable (80% des terres cultivées dépendent encore de la pluviométrie, selon Nango Dembélé, ministre malien de l’Agriculture).

Le Sahel en quelques chiffres


La structuration des filières agricoles, de l’approvisionnement à la distribution, s’avère tout aussi essentielle pour transformer profondément le secteur et le rendre à même de répondre à la demande de la population urbaine en pleine expansion.

La mise en place de circuits courts permettrait en outre de reconnecter la consommation à la production, selon Patrice Burger et de faire de l’urbanisation massive un moteur pour le développement du secteur de l’agro-alimentaire.

La recherche et l’innovation pourvoient d’ores et déjà des solutions et notamment au stade de la production, en améliorant la productivité.

Car il est désormais impensable de déforester pour maintenir des niveaux de production ou les accroître. Les terres actuellement cultivées doivent donc produire en plus grande quantité.

Catherine Geslain-Lanéelle, candidate européenne à la direction générale de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) rappelle tout l’intérêt de la recherche scientifique pour optimiser les capacités de production agricole, notamment au travers du projet 4 pour 1000, initié lors de la COP21.

Le projet d’ampleur vise à l’enrichissement des sols par la captation du carbone atmosphérique par les plantes et sa transformation en biomasse.

La technologie est en outre en capacité de développer des variétés végétales et animales et d’ainsi répondre à l’exigence de diversification des productions agricoles et pastorales, indispensables pour générer des revenus dont la famille -structure de base de l’agriculture au Sahel- a besoin pour couvrir ses besoins alimentaires.

Désormais, la seule agriculture vivrière ne les satisfait plus et les populations doivent compléter leur production par des achats. Au Mali, l’apparition de ces variétés a permis notamment la culture dite de contre-saison (hors saison des pluies de juin à septembre), notamment les cultures maraîchères qui se vendent deux à quatre fois plus cher que les céréales et permettent d’investir ou de pallier une baisse de production céréalière due aux aléas climatiques, note Nango Dembélé, ministre de l’Agriculture malien.

Le numérique a également toute sa place dans des pays où le smartphone est légion. L’élaboration d’applications prévisionnelles ou de conseils rendent possibles les projections sur les rendements de l’année et concourent à anticiper les aléas et prévoir des solutions alternatives pour pérenniser l’approvisionnement. C’est le cas de l’application d’évaluation de la production de mangues, en cours de conception par le CIRAD, qui permettra à terme par une simple photographie de l’arbre, d’estimer la quantité de fruits qui sera produite au cours de l’année.

Catherine Geslain-Lanéelle souligne qu’« il faut également rendre l’agriculture plus rentable ». En ce sens, la transformation des produits est une voie pour valoriser les productions agricoles, alors qu’encore trop souvent, le secteur de l’alimentation se cantonne à la production de matières premières.

La transformation permettrait en outre de développer un réseau de métiers en amont et en aval de la production, un maillage d’entreprises d’approvisionnement, de conditionnement, de conseil, de mécanique, qui générerait de l’emploi valorisant. L’essor démographique pourrait même s’avérer être une force, si l’effort de formation est soutenu et correspond aux professions qui gravitent autour de la production agricole, ponctue Frédéric Apollin, directeur d’Agronomes et vétérinaires sans frontières. Le développement de l’entreprenariat dans la filière agricole connaît cependant des difficultés.

« La mutation des exploitations familiales en petites ou moyennes entreprises entraîne des résistances dans les rangs-mêmes des producteurs, note Philippe Leroux. L’accompagnement des professionnels du secteur vers cette transition est donc nécessaire. »

Recherche

La recherche a également un rôle à jouer au stade de la commercialisation. La société Racines, entreprise agro-alimentaire de produits africains à destination de la diaspora en France, l’a compris et a misé sur des collaborations régulières avec le CIRAD, pour développer sa gamme de produits.

Aïda Soumaoro, responsable de la communication au sein de Racines, affirme que la recherche a ainsi permis d’adapter des aliments traditionnels à une échelle industrielle et de les proposer sur de nouveaux marchés.

« Les consommateurs originaires d’Afrique de l’Ouest cherchent à retrouver des saveurs qu’ils connaissent comme celle si particulière du poisson séché. Il est impossible à un niveau industriel d’utiliser les méthodes artisanales, qui sont en outre néfastes pour la santé, puisqu’elles génèrent des dépôts d’hydrocarbures sur le produit ».

Le CIRAD a donc développé un procédé de four non plus pour fumer directement le poisson, mais produire une sorte de marinade. Le liquide est ensuite pulvérisé sur le poisson pour lui restituer une consistance et un goût similaires au produit d’origine. « Grâce à ce procédé novateur, les propriétés gustatives sont conservées, tout en pouvant produire plus et en réduisant les risques cancérigènes liés au processus traditionnel de fumage du poisson », ajoute-t-elle.

Désormais, « Il faut créer un environnement propice qui incite les jeunes à rester sur leur territoire », estime Philippe Leroux, directeur de la Fondation Avril. Il est donc primordial d’augmenter leurs revenus, de promouvoir les services disponibles dans les zones urbaines et rurales et de leur proposer d’être partie prenante dans la gouvernance des territoires et des filières.

Loin d’une révolution verte, le secteur agricole sahélien soutenu par la recherche recèle un potentiel d’opportunités pour répondre aux enjeux de sécurité alimentaire et de changements climatiques.

Mais un effort de cohésion et cohérence des projets s’avère plus que jamais nécessaire pour les transformer en levier de changement.