02/06/15

L’Afrique paie un lourd tribut à l’évasion fiscale

Oxfam Lack of Food
Crédit image: Flickr/Oxfam International

Lecture rapide

  • L’Afrique perd par an plus de 100 milliards de dollars par évasion fiscale
  • Le Nigeria enregistre 30% des flux financiers illicites venant du continent
  • Les Etats sont invités à faire payer aux multinationales le juste impôt

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Oxfam International, une ONG qui lutte contre l’injustice et la pauvreté, vient de jeter un pavé dans la marre en publiant un rapport sur l’évasion fiscale en Afrique à la veille du Forum économique mondial (FEM) sur l’Afrique.

Intitulé "L’essor africain, réservé à une minorité", ce rapport dénonce l’action des multinationales qui, à travers diverses manœuvres, font perdre au continent africain plusieurs dizaines de milliards de dollars par an.

Au premier rang de ces manœuvres, Oxfam International cite la manipulation des prix de transfert.

Cette technique "consiste à déclarer un prix inférieur ou supérieur à la valeur réelle de biens et de services transférés entre filiales d’une même entreprise multinationale. Elle a principalement pour but de réduire artificiellement la facture fiscale, en permettant de déclarer des pertes dans les pays à forte imposition et des bénéfices dans ceux à faible imposition", peut-on lire dans le rapport.

“En réduisant de 50% leur "manque à gagner fiscal", les pays africains pourraient mobiliser 112 milliards de dollars supplémentaires par an d’ici 2020 ; ce qui correspond à 4% du PIB du continent.”

Oxfam International

Cette seule approche aurait d’ailleurs permis à l’Afrique de perdre jusqu’à 40 milliards de dollars rien qu’en 2010 ; du moins si l’on en croit une étude publiée en 2011 par le groupe de haut niveau chargé de la question et présidé par l’ancien président sud-africain, Thabo Mbeki.

En considérant que le taux d’imposition des sociétés est de l’ordre de 28% en moyenne sur l’ensemble du continent, Oxfam International en déduit que cette sortie illicite d’argent par manipulation des prix de transfert représente un manque à gagner de l’ordre de 11 milliards de dollars pour le continent.

Pourtant, ce n’est pas la seule technique d’évasion fiscale en vigueur ; car, écrit le rapport, "les entreprises peuvent exploiter d’autres failles du système fiscal international leur permettant de faire "disparaître" les bénéfices imposables pour réduire au minimum leurs contributions fiscales."
 

"Paradis fiscaux"

 
Ainsi, "elles peuvent attribuer artificiellement la possession de biens ou le lieu de transactions à des filiales qui n’existent que sur le papier, dans des juridictions opaques où les taux nominaux d’imposition sont très bas, voire nuls, autrement dit des "paradis fiscaux"".

Et dans le même temps, ces mêmes entreprises font pression pour bénéficier d’avantages fiscaux en échange de l’installation ou du maintien de leurs activités dans les pays africains.

Résultat des courses : selon les évaluations de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), "les pays en développement perdent au total 100 milliards de dollars par an du fait d’une autre série de stratagèmes d’optimisation fiscale passant par les paradis fiscaux".

"Ces 100 milliards ne recouvrent pas tous les procédés d’optimisation fiscale utilisés par les multinationales, ni les 138 milliards de dollars que les pays en développement perdraient chaque année en octroyant à celles-ci de généreux avantages fiscaux", écrit le rapport.

Celui-ci cite pêle-mêle quelques exemples de pays africains victimes de cette fraude fiscale.

S’appuyant sur un rapport du FMI datant de 2014, il indique que le Nigeria détient ainsi, avec 30,5%, la plus grande part des flux financiers illicites en provenance du continent africain ; ce qui représente jusqu’à 12% de son produit intérieur brut (PIB).

En Afrique du sud, l’on estime à 29,1 milliards de dollars (10% du PIB l’argent sorti du pays sous forme d’évasion fiscale.

Dans un pays comme le Niger, l’uranium représente 50% des exportations ; mais, paradoxalement, ce minerai "ne compte que pour environ 5% du budget national".

Quant à l’Ethiopie, le rapport de suivi sur l’Education pour tous 2014 indique que si elle "pouvait récupérer ne serait-ce que 10 % des sommes qu’elle perd chaque année du fait des exonérations fiscales, cette nation pourrait scolariser 1,4 million d’enfants supplémentaires".

Enfin, note le rapport, "en Sierra Leone, les avantages fiscaux accordés aux six plus grandes sociétés minières étrangères correspondent au total à 59 % du budget du pays ou huit fois son budget de l’éducation"
 

Réformes fiscales

 
Pour Oxfam International, cette évasion fiscale explique le fait que les forts taux de croissance des pays africains ces dernières années (10% en Ethiopie, 7% en Côte d’Ivoire, au Mozambique et en Tanzanie en 2014, etc.) ne profitent qu’à une minorité de la population de ces pays.

Pourtant, d’après ses calculs, l’ONG affirme qu’"en réduisant de 50% leur "manque à gagner fiscal", les pays africains pourraient mobiliser 112 milliards de dollars supplémentaires par an d’ici 2020 ; ce qui correspond à 4% du PIB du continent."

"Si ces ressources fiscales étaient investies dans l’éducation et la santé, les sociétés et les économies pourraient s’épanouir davantage à travers tout le continent", analyse même Winnie Byanyima, Directrice générale d’Oxfam International.

Pour cette dernière dès lors, "Les leaders africains ne doivent pas rester les bras croisés pendant que les réformes fiscales internationales sont décidées et laissent libre cours aux procédés d’évasion fiscale des multinationales en Afrique."

Plus concrètement, l’ONG appelle les dirigeants du continent à "mettre un frein à l’évasion fiscale des multinationales par la création d’un organisme intergouvernemental de coopération en matière fiscale qui réunisse tous les pays, développés et en développement, sur un pied d’égalité, et qui élargisse la portée des futures négociations fiscales aux questions essentielles pour permettre aux pays en développement de percevoir leur juste part de recettes fiscales"

Et ce n’est pas un hasard si le rapport est publié à la veille du FEM qui se tient du 3 au 5 juin 2015 à Johannesburg ; et à un mois de la conférence sur le financement du développement qui se tient en juillet 2015 à Addis Abeba en Ethiopie.
 

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