21/09/15

Un livre pour filtrer l’eau polluée

Eau polluée
Crédit image: SciDev.Net/Bilal Taïrou

Lecture rapide

  • Le livre permet de filtrer de l’eau polluée, à l’aide des nanoparticules d’argent fixées sur ses feuilles
  • Il a été testé dans plusieurs pays, dont le Ghana et l’Afrique du Sud
  • La dernière phase de développement vient de recueillir un financement public de 11 millions de CFA

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Un groupe de chercheurs américains ont mis au point un livre dont les pages, tout en comportant des instructions sur des mesures d’assainissement hydrique, sont susceptibles d’être utilisées pour filtrer de l’eau polluée.
 
Le "Drinkable Book" (littéralement, “Livre Buvable”) est un concept développé par Theresa Dankovich, chercheur en chimie à l’université Carnegie Mellon de Pittsburgh, aux Etats-Unis.
 
L’idée lui est venue après qu’elle eut inventé un nouveau type de papier bactéricide à base de nanoparticules d’argent, ainsi qu'un procédé de fabrication écologique bon marché.
 
Le nano-argent est un matériau à base d'atomes d'argent, produit sous forme de nanoparticules.
 
La technologie a été testée pendant plusieurs années, lors de travaux menés successivement à l’université McGill, au Canada et à l’université de Virginie, aux Etats-Unis.
 
Ses travaux ont été présentés lors de la 250ème réunion de la Société américaine de Chimie, à Boston.
 
Le principe de fonctionnement du "Drinkable Book" est simple: l’utilisateur déchire une page du livre, la met dans un porte-filtre et y ajoute de l’eau polluée recueillie dans une rivière, un ruisseau, ou à partir de toute autre source d’eau contaminée.

La nature a la capacité de purifier l’eau. Il faut juste aux Etats africains une volonté de prendre à bras-le-corps la problématique de la pollution de l’eau.

Seybatou Diop
Enseignant à l'Institut des Sciences de la Terre
Dakar, Sénégal

 

“La porosité du papier permet aux micro-organismes d’entrer en contact avec les nanoparticules d’argent, reconnues pour leurs propriétés bactéricides. Le mécanisme primaire de purification ne concerne pas la suppression des bactéries à partir de l'effluent par filtration, mais consiste plutôt en leur suppression lors de leur passage à travers la structure du papier”, explique Theresa Dankovich, dans une interview à SciDev.Net.

Interrogée sur les raisons du choix d’un livre et pas de comprimés classiques, par exemple, Theresa Dankovich explique que “le papier présente l’avantage de fournir des informations-clés relatives à la santé et à la sécurité santaire de l’eau, afin de garantir une utilisation correcte des papiers-filtres.”
 
“La couverture du livre sert aussi de gaine protectrice pour les papiers-filtres”, ajoute-t-elle.
 
Chaque livre comporte 50 filtres et “chaque filtre peut purifier approximativement 100 litres d’eau, soit de quoi fournir de l’eau potable à une personne pour une période d’un mois ou à toute une famille pour une période d’une semaine", précise Theresa Dankovich.
 
Les chercheurs en sont encore à la phase de développement du produit final et devraient effectuer sous peu de nouvelles expériences sur le terrain.
 
"Nous sommes en train de tester plusieurs prototypes et nous conduirons bientôt des tests de confirmation avec des utilisateurs au Ghana, au Bangladesh et en Afrique du Sud", affirme Theresa Dankovich.
 
Après le choix du prototype final, le produit sera prêt pour être commercialisé, probablement en 2016 ou en 2017.
 

Financement communautaire

 
Une campagne de financement communautaire a permis de recueillir en un mois une rallonge financière de près de 11 000 dollars américains (environ 7 millions de Francs CFA) auprès de 222 volontaires.
 
Theresa Dankovich estime le coût d’un papier-filtre à 10 centimes de dollars américains – soit environ 60 Francs CFA.
 
Les résultats des premiers tests sur le terrain conduits au Ghana, en Afrique du Sud et au Bangladesh ont montré un taux d’élimination des bactéries de l’ordre de 99%.
 
"Plus de 25 sources d’eau ont été évaluées lors de ces tests et la teneur en argent de l’eau filtrée est inférieure au niveau recommandé par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en ce qui concerne la qualité de l'eau potable”, ajoute le chercheur, qui estime par ailleurs que le champ d’action des nano-particules d’argent est étendu.
 
“Le nanoargent est hautement létal pour les bactéries et il a été prouvé qu’il élimine les principaux agents pathogènes contenus dans l’eau et dans la nourriture, tels que les salmonelles, le choléra et bien d’autres encore”, insiste-t-elle.
 
Les propriétés scientifiques du "Drinkable Book" en font un instrument potentiel de lutte contre la pollution de l’eau en Afrique, un continent où les pouvoirs publics peinent à trouver des solutions idoines aux nombreux défis posés par l’assainissement.
 
Selon Seybatou Diop, hydrogéologue et enseignant à l’Institut des sciences de la terre (IST) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, “la problématique de l’assainissement de l’eau en Afrique se pose surtout en milieu rural, où les populations vont s’approvisionner en eau dans les marigots et autres cours d’eau."
 

3.2 millions de morts

 
Pour lui, les agents pathogènes les plus répandus sont, selon la nature des sols, les agents bactériologiques et les métaux lourds; dans la mesure où le "Drinkable Book" est en mesure d’éliminer la plupart des agents bactériologiques, il serait d’une grande utilité dans la lutte contre la pollution, estime-t-il.
 
“Il s’agirait d’une découverte révolutionnaire dans le domaine de la nanofiltration et cela est de nature à aider des millions d’Africains à avoir accès à l’eau potable", ajoute-t-il.
 
Toutefois, fait remarquer Seybatou Diop, “la nature a la capacité de purifier l’eau. Il faut juste aux Etats africains une volonté de prendre à bras-le-corps la problématique de la pollution de l’eau. Cela passe par des investissements intelligents en utilisant des techniques bon marché et en mettant à contribution les universitaires."
 
Selon des chiffres de l’OMS et du Fonds des nations unies pour l’enfance (UNICEF), 663 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau potable dans le monde.
 
L’OMS estime pour sa part à 3,2 millions de décès enregistrés chaque année à cause des maladies infectieuses d’origine hydrique.
 
Ce chiffre correspond à 6% de l’ensemble des décès enregistrés annuellement dans le monde.
 
La charge attribuable au manque d’eau, de moyens d’assainissement et d’hygiène équivaut à 1,8 million de décès et à la perte de plus de 75 millions d’années de vie en bonne santé.