26/09/11

Electricité nucléaire : espoirs déçus ?

Un accident comme celui de Fukushima aurait des conséquences plus graves dans les pays en développement dont les capacités de gestion des catastrophes sont faibles. Crédit image: Flickr/IAEA Imagebank

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Pour Pervez Hoodbhoy, l’énergie nucléaire est loin d’être une solution miracle ; elle n’est ni sûre, ni économique, et elle peut encourager les programmes d’armements.

De nombreux pays en développement confrontés à la pénurie d’électricité ont vu en l’énergie nucléaire une solution miracle à leurs difficultés. Ne nécessitant ni pétrole, ni gaz, ni charbon, elle ne pollue pas l’air et n’émet pas de dioxyde de carbone. Prestigieuse de part sa haute technicité, elle était également considérée comme relativement sûre.

Et puis vint Fukushima. L’impact psychologique de cette catastrophe a dépassé celui de Tchernobyl, nous laissant un monde aujourd’hui peu convaincu que l’énergie nucléaire représente la solution.

Le cœur du problème

L’incendie qui s’est déclaré à la suite d’une panne des groupes électrogènes de secours au complexe nucléaire de Daiichi a fait naître le risque terrifiant de fuites et de propagation de matières radioactives. Le cœur du réacteur n°1 a fondu et le combustible nucléaire irradié stocké dans les piscines d’eau a subitement retrouvé vie suite à l’arrêt des pompes de refroidissement.

Les réacteurs de la centrale Fukushima avaient été construits pour résister au pire, même aux séismes et aux tsunamis. Les capteurs ont certes fonctionné, réussissant à stopper les réacteurs. Mais lorsqu’une vague haute de 14 mètres est venue s’écraser contre les mûrs de protection en béton hauts de 6 mètres, l’alimentation en électricité, essentielle pour le refroidissement, a été coupée.

Le panache radioactif s’est répandu jusqu’au Canada. Au plus près de la centrale, le niveau de radiation était de loin plus élevé. Le Japon sait désormais que des pans entiers de son territoire seront contaminés, voire inhabitables, pour le reste du siècle. Au mois de juillet, ainsi, du césium radioactif à des doses plusieurs fois supérieures à la normale a été relevé dans de la viande de bœuf, des légumes, du poisson pêché en mer vendus en supermarché [1].

Pourtant, les Japonais se sont montrés prudents. Au pays des hibakusha (comme on appelle les survivants d’Hiroshima et de Nagasaki), tous les réacteurs font l’objet d’un contrôle minutieux – plus que dans n’importe quel autre pays du monde. D’autres pays très industrialisés comme le Canada, la Russie, le Royaume-Uni, et les Etats-Unis, ont aussi connu de graves accidents de réacteurs.

Quelles sont les leçons pour un pays en développement ? Dans ces sociétés, les dangers de la radiation et la question de la sécurité des réacteurs ne font pas encore partie du débat public. Les mécanismes de régulation sont strictement contrôlés par les autorités publiques qui invoquent souvent des raisons de sécurité nationale. Et il est interdit aux individus ou aux organisations non gouvernementales de contrôler les niveaux de radiation dans les environs des installations nucléaires.

En Inde et au Pakistan, par exemple, des communautés rurales pauvres et vulnérables ont subi les conséquences sanitaires de l’exploitation de l’uranium et du thorium ; elles ont pourtant été contraintes d’arrêter leurs actions initiées devant la justice.

Dans plusieurs pays en développement, les conséquences d’un accident comme de Fukushima pourraient être très différentes. Avec des populations plus volatiles et des capacités de gestion des catastrophes faibles, la réaction de la société serait probablement très différente.

Au Japon, les survivants du tsunami se sont soutenus les uns les autres, les équipes de secours ont pu travailler sans encombre, et les secouristes portaient tous des combinaisons de radioprotection. Il n’y a eu ni panique ni manifestations anti-gouvernementales à la suite des explosions des réacteurs.

La question des coûts

L’énergie nucléaire est-elle économique ?

Une étude réalisée en 2009 par le Massachussetts Institute of Technology prône vivement l’augmentation de la production d’énergie nucléaire afin de compenser les effets des changements climatiques [2] ; pourtant, elle conclut que l’ électricité d’origine nucléaire coûte plus chère par kilowattheure (kWh) : 8,4 centimes de dollars contre 6,2 ou 6,5 pour le charbon ou le gaz. L’étude suggère que l’épuisement des combustibles fossiles contribuera à inverser le rapport entre les prix du nucléaire et des énergies fossiles. Mais ce n’est pas encore le cas.

La Banque mondiale a qualifié les centrales nucléaires de "grands éléphants blancs". [3] Selon le manuel Environmental Assessment Source Book, "aux coûts actuels et prévus, les centrales nucléaires ne sont pas économiques et ne sont pas susceptibles d’être l’option la moins chère.

Il existe également des preuves que les coûts généralement avancés par les fournisseurs sont largement sous-estimés et ne tiennent pas souvent assez compte du traitement des déchets, du démantèlement des réacteurs, et d’autres coûts environnementaux". [4]

Selon l’Autorité de sûreté nucléaire des Etats-Unis, le coût de la fermeture définitive d’un réacteur varie entre US$ 300 millions et US$ 400 millions. [5] Il s’agit d’une fraction importante du coût initial du réacteur (entre 20 et 30 pour cent).

Certes, certains pays comme la France et la Corée du Sud ont fait de l’énergie nucléaire une industrie rentable, mais ce sont là les exceptions à une règle générale. Les pays qui n’ont pas les capacités d’ingénierie pour construire leurs propres réacteurs paient plus cher pour importer et exploiter cette technologie.

Un mauvais bilan, mais des ambitions militaires

Le bilan des résultats de l’énergie nucléaire dans les pays en développement inspirent rarement confiance.

Prenons l’exemple du Pakistan qui connaît encore de longs délestages tous les jours. Il y a quarante ans, la Commission pakistanaise de l’énergie atomique avait pourtant promis que la demande totale en électricité du pays serait satisfaite par les réacteurs nucléaires.

Si la commission a participé à l’effort du pays en produisant 100 bombes nucléaires et employant à ce jour plus de 30.000 personnes, elle est loin de répondre à la demande en électricité. Deux réacteurs produisent au total 0,7 GW, assurant seulement deux pour cent des besoins en électricité du pays.

Les performances de l’Inde sont tout autant peu reluisantes. En 1962, le pays annonçait que d’ici 1987, sa capacité nucléaire installée serait de 18 à 20 GW ; mais à cette échéance, seul 1,48 GW était atteint. Aujourd’hui, seulement 2,7 pour cent de l’électricité produite en Inde est d’origine nucléaire.

En 1994, un accident survenu lors de la construction de deux réacteurs à la centrale de Kaiga a multiplié leur coût estimatif initial par quatre. Les dépassements de coûts et les retards sont fréquents, et pas seulement en Inde.

En outre, l’intérêt de certains pays en développement pour la technologie nucléaire peut cacher d’autres ambitions. L’Inde et le Pakistan ont acquis leurs capacités de production d’armes nucléaires grâce à leurs infrastructures du nucléaire civil. En cela, ils n’étaient pas les premiers, et ne seront pas les derniers.

Que de grands pays pétroliers s’évertuent à construire des centrales nucléaires sert de signal d’alerte évident. L’Iran dispose des deuxièmes plus grandes réserves de pétrole au monde est sur le point de fabriquer une bombe grâce à l’uranium faiblement enrichi préparé pour ses réacteurs. L’Arabie saoudite rivale cherchera certainement aussi à se doter aussi de l’arme nucléaire si l’Iran s’en procure, et envisage déjà de consacrer plus de US$ 300 milliards à la construction de 16 réacteurs nucléaires au cours des 20 prochaines années.

Les changements climatiques soulignent l’urgente nécessité de trouver des alternatives aux énergies fossiles. Mais défendre l’énergie nucléaire est de plus en plus difficile, car elle n’est ni moins chère ni sûre. A moins d’une percée technologique radicale, comme la mise au point d’un réacteur alimenté par fusion nucléaire plutôt que par fission, ses perspectives de croissance semblent moroses.

Pervez Hoodbhoy est titulaire d’un PhD en physique nucléaire du Massachusets Institute of Technology aux Etats-Unis. Il enseigne à l’Ecole des sciences et de génie de l’Université des sciences de gestion (LUMS) de Lahore et à l’Université Quaid-e-Azam d’Islamabad au Pakistan.


Cet article fait partie d’un dossier spécial sur l’énergie nucléaire après Fukushima.

Références

[1] Japan’s Food-Chain Threat Multiplies as Fukushima Radiation Spreads (News, Bloomberg, 2011)
[2] Deutch et al. Update of the MIT 2003 Future of Nuclear Power Study  [223kB] (MIT, 2009)
[3]The Least Cost Path for Developing Countries: Energy Efficient Investments for the Multilateral Development Banks, M. Phillips, Washington DC, IIEC, 1991.

[4] World Bank, Guidelines for Environmental Assessment of Energy and Industry Projects. World Bank technical paper No. 154/1992. Environmental Assessment Sourcebook, Vol. III, 1992
[5] Fact Sheet on Decommissioning Nuclear Power Plants (US NRC, 2011)