18/08/15

Q&R: 40 milliards de dollars pour électrifier l’Afrique

Elham Ibrahim
Crédit image: Flickr/DrabikPany

Lecture rapide

  • Le coût des investissements est l’un des principaux obstacles à la résolution de la crise énergétique en Afrique
  • La promotion du commerce de l’énergie entre les pays et les régions doit être une priorité
  • Un mix énergétique parfait doit nécessairement comprendre les énergies renouvelables, notamment l’énergie solaire

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Suite à notre dossier sur la crise énergétique en Afrique, la commissaire de l’Union Africaine (UA) aux infrastructures et à l’Energie, Elham Ibrahim, évoque les conditions d’une couverture énergétique universelle pour l’électrification du continent.

Pour la commissaire de l’Union africaine à l’énergie, la résolution de la crise énergétique passe par l’intégration et la mobilisation des ressources.


 
Quelle est, à votre avis, la cause de la crise énergétique qui sévit actuellement dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne ?
 
Les origines de l’une des causes majeures de la crise énergétique qui frappe actuellement l’Afrique subsaharienne se situent dans les trois défis majeurs connexes auquel le secteur énergétique fait face et qui sont : une offre d’énergie insuffisante et imprévisible (accès insuffisant à l’énergie), une demande d’énergie et d’électricité forte et croissante (politiques et règlementations inadaptées) et des mesures inefficaces pour exploiter les énormes ressources énergétiques du continent, surtout les sources d’énergie renouvelable (manque de capitaux pour des investissements porteurs).
 
Les ressources énergétiques disponibles sont plus que suffisantes pour répondre aux besoins intérieurs, mais plus des deux tiers de la population du continent africain n’ont pas accès aux énergies modernes, et ceux qui y ont accès doivent souvent payer le prix fort pour un service de mauvaise qualité, à cause de l’inefficacité des systèmes de production. 
 
Le coût des investissements initiaux pour plusieurs ressources, en particulier le développement des énergies renouvelables, constitue l’un des obstacles majeurs au développement de marchés de l’énergie viables.

Les autres causes de la crise sont, notamment le faible accès aux produits énergétiques modernes, à cause de l’insuffisance des sources d’approvisionnement, la hausse de la demande en raison d’une accélération de la croissance économique et de l’augmentation des besoins humains et la gestion inefficace des ressources disponibles, malgré l’énorme potentiel; la mauvaise situation économique et la rareté des financements, tant privés que publics, qui continuent de freiner la transition vers les technologies modernes, surtout celles des énergies renouvelables.


En outre, la plupart des pays d’Afrique subsaharienne font face à de graves difficultés économiques, humaines, matérielles et institutionnelles.

Il est vrai que la demande des formes d’énergie modernes devrait augmenter, poussée par la croissance démographique et des ressources et des marchés inexploités, mais l’offre d’énergie ne peut pas répondre à la demande future qui ne va cesser de croître.

Il y a aussi la domination de la production classique d’énergie thermique et l’insuffisance de la production de formes d’énergie modernes freinent l’exploitation de plusieurs sources d’énergies renouvelables disponibles.

L’exploitation des ressources énergétiques du continent nécessite des connaissances techniques et d’énormes investissements pour la mise en œuvre de projets, des moyens qui font défaut pour le moment.
 

On notera enfin la distribution très inégale des ressources énergétiques sur le continent et l’absence d’infrastructures sous-régionales ou régionales d’intégration et l’insuffisance des moyens techniques disponibles au niveau national par rapport aux énormes investissements nécessaires pour la mise en œuvre de plusieurs projets économiquement viables de développement des ressources énergétiques.
 
 
Que fait l’Union africaine pour aider les États membres à juguler la crise?
 
L’UA encourage la mise en place d’infrastructures énergétiques et de marchés régionaux de l‘énergie qui constituent, pour nous, l’une des stratégies clés pour résoudre les questions d’investissement, faire participer le secteur privé, combler les lacunes et surmonter les obstacles liés à l’accès aux marchés. Sur le continent, plusieurs initiatives régionales, continentales et mondiales sont en cours pour la recherche de solutions à ces obstacles dans le secteur énergétique et l’accélération de l’accès à des services énergétiques durables. La Commission de l’Union africaine plaide vivement pour l’harmonisation et la coordination des initiatives panafricaines et internationales d’accès à l’énergie.

Le dialogue sur l’harmonisation et la coordination a déjà commencé au niveau des forums internationaux de haut niveau, notamment lors de la réunion de l’Initiative "Energie durable pour tous" en Afrique (SE4All), tenue à New York en mai 2015, le Forum de l’énergie de Vienne en Autriche, tenu juin 2015 et la Conférence sur le financement du développement du mois de juillet 2015 à Addis-Abeba. Le dialogue va se poursuivre à l’occasion du SAIREC, qui se tiendra au Cap au mois d’octobre, et lors de la COP21 prévue à Paris en décembre de cette année.

 
Pour répondre à la demande croissante d’énergie, il faut promouvoir le commerce de l’énergie entre les pays et les régions du continent africain et renforcer la sécurité énergétique. La Commission de l’UA apporte son appui à diverses initiatives de développement du secteur de l’énergie, notamment le programme de développement des infrastructures en Afrique (PIDA), dont l’objectif est de faciliter l’intégration régionale, le développement socio-économique et les échanges, grâce au développement d’infrastructures régionales ; le programme d’actions prioritaires (PAP) du PIDA pour le secteur de l’énergie comprend 15 programmes/projets, y compris la construction de neuf (9) grands projets d’hydroélectricité. Il prévoit aussi la construction de quatre (4) réseaux de lignes de transport, un oléoduc régional et un gazoduc régional.

 

Marchés régionaux de l'énergie
 
L’Initiative Hydropower 2020 quant à elle vise le renforcement des capacités des experts africains pour l’exploitation du potentiel hydroélectrique des principaux bassins hydrographiques du continent à travers de grands et de petits projets d’hydroélectricité; le Programme régional géothermie pour l’Afrique de l’Est, qui a pu mobiliser 140 millions de dollars pour le Mécanisme d‘atténuation du risque géothermique (GRMF) dont la mission est d’encourager les investisseurs publics et privés en leur accordant des subventions pour les études de surface et les forages d’exploration qui porteront la production d’énergie géothermique à 1550 MW d’ici à 2022. Le potentiel géothermique de l’Afrique de l’Est à lui seul est estimé à 15 000 MW.
 
Il y a aussi l’évaluation du potentiel du Sahara et du Sahel en énergie solaire, la mise en œuvre du Programme de coopération Afrique-UE dans le domaine des énergies renouvelables (RECP), dans le cadre du Partenariat Afrique-UE, qui est axé sur la réalisation des objectifs politiques consistant à produire 10 000 MW d’électricité à partir de systèmes d’énergies renouvelables en Afrique, d’ici à 2020.
 
La Commission de l’UA, la BAD, l’Agence de coordination et de planification du NEPAD (ACPN) et le PNUD sont membres de la Plateforme SE4All, dont le but est d’assurer l’accès universel à des services énergétiques modernes et de doubler le taux global d’amélioration de l’efficacité énergétique, ainsi que la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique d’ici à 2030.
 
On peut aussi noter l’initiative américaine Power Africa, dont la mise en œuvre est déjà en cours dans certains pays africains.
Enfin, la Commission de l’UA a déjà entamé le processus d’exécution des projets phare de l’Agenda 2063 dans le secteur des infrastructures en tant que moteurs du développement et de l’intégration, dont fait partie le projet du Grand barrage d’Inga.

“La mise en place de marchés sous-régionaux et régionaux d’énergie permettrait à l’Afrique de tirer pleinement avantage des abondantes ressources énergétiques du continent.”

Elham Ibrahim 
Commissaire aux Infrastructures et à l’Energie – Union Africaine

 
Vous appelez sans cesse à la mise en place d’un marché africain de l’énergie. Concrètement, cela consiste en quoi ?
 
La distribution des ressources énergétiques est très inégale sur le continent africain, avec le pétrole et le gaz en Afrique du Nord, le charbon en Afrique australe, la biomasse traditionnelle et l’hydroélectricité en Afrique sub-saharienne et le géothermique dans la Vallée du Rift, en Afrique de l’Est. C’est pourquoi la mise en place de marchés sous-régionaux et régionaux d’énergie permettrait à l’Afrique de tirer pleinement avantage de ces abondantes ressources. L’intégration énergétique et la création de marchés de l’énergie sont le principal objectif qui a motivé l’Union africaine à créer l’AFREC [Commission africaine de l’énergie, NDLR], dont la mission est de promouvoir de tels projets et initiatives.
 
La mise en place des marchés africains de l’énergie encouragera la diversification énergétique et permettra ainsi de renforcer la sécurité énergétique, en proposant des sources d’énergie de remplacement. Ce qui contribuera à la sécurité énergétique de l’Afrique, grâce à une intégration énergétique efficiente et durable.
 
Par ailleurs, les marchés de l’énergie permettront une réduction des prix dans le secteur de l’énergie, grâce à la concurrence, des mécanismes du marché, l’amélioration de l’accès aux sources d’énergie modernes, l’ouverture des frontières pour le commerce intra-africain et la lutte contre le trafic international de produits énergétiques.
 
De la même manière, les marchés de l’énergie vont stimuler la croissance économique sur le continent, en aidant les producteurs à accéder aux marchés voisins, à avoir des prix réduits par rapport aux carburants importés d’autres continents et créera une énorme valeur ajoutée par la création d’emplois, la sécurité énergétique et la croissance. Par exemple, à ce jour, l’Afrique importe 30% de ses besoins en pétrole des autres continents.
 
En dehors des questions de l’offre et de la demande, ces marchés régionaux/continentaux s’appuieraient sur des réseaux de transport régionaux fiables, des politiques claires et appliquées, ainsi que des institutions régionales/continentales de régulation.
 
En fin de compte, quelle est la place de la recherche dans cette stratégie? 
 
La Commission de l’UA s’appuie sur ses départements et organes spécialisés pour élaborer et mettre en œuvre des stratégies concernant divers aspects des difficultés socioéconomiques du continent.
 
S’agissant de l’énergie, le Département des infrastructures et de l’énergie, au travers de la Commission africaine de l’énergie (AFREC) est chargée de conduire la recherche et les études sur les politiques et stratégies énergétiques, en collaboration avec les institutions partenaires du continent africain, notamment la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), l’ACPN, les Pools énergétiques régionaux (PER) et les agences spécialisées comme l’APUA, l’APPA, l’AFUR, le RCREEE, l’ECREEE et les États membres.
 
La Commission de l’UA collabore par ailleurs avec des universités et des institutions de recherche, publics et privés, qui mènent des travaux de recherche sur l’énergie. L’Université panafricaine et son Institut pour les sciences de l’eau et de l’énergie (PAUWES), basée à l’Université de Tlemcen en Algérie en est une parfaite illustration. Ses activités sont axées sur l’appui aux programmes de mastère et Ph.D du PAUWES, y compris les changements climatiques.
 
Grâce au Partenariat Afrique-UE, il existe une composante renforcement des capacités à travers le renforcement des capacités de recherche.
 
 
Comment l’Afrique peut-elle résoudre au mieux cette crise énergétique et tenir ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre? 
 
La part de l’Afrique dans les émissions de gaz à effet de serre est la plus faible au monde par rapport à celles d’autres régions. Toutefois, notre continent est très exposé aux changements climatiques ; et ses capacités d’adaptation sont très faibles. Par ailleurs, le continent fait face à des défis comme la forte poussée démographique, l’utilisation très répandue de la biomasse traditionnelle, la fragilité des écosystèmes, les inondations, les sécheresses, l’épuisement des ressources naturelles et la pauvreté.
 
L’Afrique s’engage consciencieusement dans l’adoption des technologies énergétiques propres, et plus généralement, la mise en œuvre de mesures politiques et de mesures connexes afin de contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, la question des changements climatiques appelle des stratégies coordonnées et intégrées au niveau mondial pour surmonter les écueils et les obstacles à l’accès au marché et faciliter la réalisation des objectifs dans une perspective globale.
 
En élaborant et en mettant en œuvre des politiques pour relever ces défis, en améliorant la gestion des aspects environnementaux et en accordant la priorité au bien-être des pauvres, simultanément, on peut stimuler le développement durable de l’Afrique, renforcer ses capacités à s’adapter et réduire sa vulnérabilité aux autres impacts des changements climatiques.
 
Enfin, la construction d’un "Avenir énergétique durable » nécessitera un mix énergétique équilibré et diversifié, avec une meilleure contribution des sources d’énergies renouvelables et de sources d’énergie plus propres, ainsi que de la chaîne énergétique.
 
 
En ce qui concerne les disparités sur le continent, comment expliquez-vous l’écart entre le Nord et le reste du continent ?
 
Historiquement, il existe de nombreuses différences entre l’Afrique du Nord et le reste du continent, en ce qui concerne l’environnement socioéconomique. La proximité entre l’Afrique du Nord et l’Europe et les interactions entre ces deux rives de la Méditerranée ont permis à l’Afrique du Nord de progresser rapidement sur tous les aspects des courbes d’apprentissage, la modernité, le transfert des technologies, l’enseignement tertiaire et une adaptation harmonieuse par rapport au reste de l’Afrique.
 
L’Afrique du Nord possède en outre d’immenses réserves de gaz naturel et de pétrole qui mettent à sa disposition suffisamment de sources énergétiques locales pour sa consommation quasiment sous toutes les formes d’utilisation (y compris la production d’électricité) et la production d’une part importante des revenus nationaux. La région est exportatrice nette d’énergie en direction de plusieurs parties du monde et elle est connectée à l’Europe grâce à des oléoducs sous-marins modernes et des réseaux infrastructurels.
 
 
Disparités régionales

Les technologies de production d’électricité à base du gaz naturel sont relativement moins chères et plus faciles à installer et gérer par rapport aux autres technologies thermiques, mais l’énergie produite est relativement chère si elle se fait à partir du gaz naturel importé. Par conséquent, si le gaz est produit localement, le coût de l’énergie produite sera relativement moins élevé. Ce qui explique en partie le taux élevé d’accès à l’électricité en Afrique du Nord (99%). Même si la production pétrolière et gazière venait à baisser, la région pourrait passer au solaire et à l’énergie éolienne, qui sont des sources d’énergie alternatives durables.
 
Les systèmes énergétiques des pays de cette région sont déjà intégrés en un réseau de 400 kV qui s’étend de l’Égypte au Maroc, en passant par la Libye, la Tunisie et l’Algérie. Malgré l’utilisation actuelle limitée de ce réseau à cause de l’insuffisance du transfert d’électricité, il peut stimuler le marché régional de l’électricité, si la production d’énergie solaire était lancée.
 
L’Afrique du Nord connaît en outre une croissance économique robuste par rapport au reste de l’Afrique. Le produit intérieur brut (PIB) et le revenu par habitant dans cette région sont environ deux fois et demie plus élevés par rapport à ceux de l’Afrique subsaharienne et 99% de la population a accès à l’électricité et aux sources d’énergie modernes, contre 26% en Afrique subsaharienne. L’utilisation de la biomasse est considérablement faible en Afrique du Nord, principalement à cause du désert qui s’étend pratiquement sur toute la région. Une croissance économique rapide impose une augmentation tout aussi rapide de l’offre en énergie et la région n’aurait aucune difficulté à assurer cette adéquation.
 
 
Les experts, dans leur majorité, attribuent la crise actuelle à la rareté des ressources financières. Cela signifie-t-il que nous ne sommes pas en mesure de mobiliser suffisamment de ressources pour alimenter nos pays ?
 
Le coût total estimatif des investissements nécessaires à la réalisation du Plan d’actions prioritaires du PIDA [Programme pour le développement des infrastructures en Afrique, NDLRentre 2012 et 2020 est d’environ 68 milliards de dollars et le coût des projets énergétiques de ce programme à lui seul s’élève à 40 milliards de dollars.
 
La stratégie de financement du PIDA mise sur des sources variées, notamment les capitaux publics et privés et un mélange des deux par le truchement des PPP, ainsi que sur les ressources intérieures et sur les partenaires au développement. Toutefois, le PIDA exige aussi des approches novatrices de financement.
 
À l’occasion du Forum économique mondial sur l’Afrique, tenu en mai 2012 à Addis-Abeba en Éthiopie, il a été convenu que la communauté africaine et la communauté mondiale des affaires créent un Groupe de travail d’entreprises (BWG), en établissant un partenariat de mise en œuvre entre le Forum économique mondial et la Banque africaine de développement (BAD), afin de fournir des orientations sur les infrastructures en Afrique, en accélérant la mise en œuvre des programmes et projets du Plan d’actions prioritaires du PIDA, sous les auspices de la Commission de l’UA et de l’ACPN du NEPAD.
Dans le but de mobiliser d’autres ressources, surtout les ressources locales, la Commission de l’UA, la BAD, l’ACPN, les CER (Communautés économiques régionales) et d’autres partenaires ont entrepris d’organiser plusieurs sommets dédiés à cette question. Le premier s’est tenu à Dakar au Sénégal au mois de juin, l’an dernier.
 
 
Où trouver les fonds pour financer les divers projets du secteur énergétique?
 
Les États membres doivent accélérer la mise en œuvre de la décision des chefs d’État et de gouvernement de l’UA, en intégrant leurs priorités nationales dans les programmes régionaux, notamment ceux prévus dans les PAP du PIDA et en contribuant au Fonds spécial NEPAD-IPPF pour renforcer leurs capacités en matière de préparation des projets. Ce qui garantira la viabilité financière des projets et attirera les financements du secteur privé et du secteur public.

 

Quarante milliards de dollars d'investissements

La Commission de l’UA encourage les États membres dans la mobilisation des ressources locales publiques et privées et l’attraction des investissements privés étrangers. Dans cette optique, les pays doivent garantir le jeu de la concurrence sur des marchés basés sur une législation claire, le respect du droit commercial et de la transparence dans la passation des marchés. Les investisseurs ont également besoin de systèmes bancaires efficaces, d’une main-d’œuvre locale qualifiée et de parties prenantes du secteur public compétentes en matière de gestion des PPP.
 
Des efforts de mobilisation des ressources locales, notamment les initiatives prises par le Fonds Africa50 de développement des infrastructures lancé par la BAD, doivent être entrepris. Dans le cadre de la même stratégie, les initiatives entreprises par certaines CER (SADC, COMESA et CEDEAO) pour harmoniser leurs priorités avec les projets prioritaires du PIDA sont louables.
 
La Commission de l’UA mobilise les ressources pour soutenir le renforcement des capacités qui est un aspect capital de l’accès aux capitaux de la BAD (8,9 millions de dollars) et de la GIZ (5,6 millions d’euros), pour citer ces deux exemples, dans le cadre d’un programme triennal de renforcement des capacités des partenaires d’exécution des projets du PIDA que sont les CER et l’ACPN du NEPAD, pour la planification, la préparation, la coordination, le suivi et l’évaluation de la mise en œuvre des projets du PIDA.

 
Selon vous, comment l’Afrique peut-elle atteindre les objectifs de l’Initiative SE4All des Nations Unies pour l’accès universel aux énergies durables d’ici à 2030 ?
 
La réussite de la mise en œuvre du PIDA permettra aux pays africains de réduire les coûts de l’énergie et de porter le taux d’accès à l’énergie à près de 70%, permettant ainsi à 800 millions de personnes supplémentaires d’accéder à l’énergie à l’horizon 2040.
 
Pour faciliter l’achèvement de l’objectif d’accès universel aux services énergétiques modernes à l’horizon 2030 fixé par l’Initiative SE4ALL, la Commission de l’UA met en œuvre d’autres initiatives d’accès à l’énergie, dont l’objectif est d’exploiter tous les types de ressources énergétiques, notamment le géothermique, l’éolien, le solaire, la bioénergie et les technologies propres des combustibles fossiles, en collaboration avec ses partenaires (BAD, l’ACPN du NEPAD, les CER, les agences de l’ONU, etc.).
 
Les systèmes autonomes jouent aussi un rôle important en répondant aux besoins énergétiques croissants des zones rurales, en stimulant l’économie des zones rurales, en créant des emplois locaux, en contribuant aux recettes locales et en réduisant de manière significative la pauvreté énergétique en milieu rural, tout en favorisant un développement rural durable.
 
L’Afrique peut y parvenir, si elle pense à s’appuyer à la fois sur les technologies autonomes et les technologies en réseau. En utilisant par exemple les technologies solaires pour connecter les parcs photovoltaïques au réseau, pour construire des centrales photovoltaïques autonomes, soutenues par des batteries ou d’autres types de technologie production/stockage de l’énergie ; enfin, l'installation des panneaux solaires sur les toits dans les petites localités, sur les bâtiments publics comme les écoles, les bureaux, etc., devrait également pouvoir aider.
 
L’autre facteur encourageant pour l’Afrique tient au fait que la Chine est récemment passée devant les États-Unis dans la production des panneaux solaires, devenant ainsi l’un des acteurs majeurs dans ce domaine. Elle est aussi passée devant l’Allemagne et l’Espagne dans la production des éoliennes dont elle est devenue le numéro un mondial. Les pays africains pourraient désormais accéder à ces technologies à moindre coût et bénéficier du transfert de cette technologie. L’UA doit penser à ajouter cette question à son partenariat avec la Chine.
 
Actuellement l’Algérie, l’Afrique du Sud et le Mozambique travaillent à la mise en place d’une industrie de fabrication des panneaux solaires et des panneaux photovoltaïques utilisés localement. L’Algérie, soutenue par la France, compte produire 20MW de panneaux photovoltaïques par an dès 2016. L’Égypte travaille dans le même sens, surtout avec son projet de nouvelle capitale. Le Mozambique, en collaboration avec l’Inde, vient aussi de lancer une usine de fabrication de panneaux photovoltaïques.
 
Ces exemples constituent une preuve que l’Afrique peut atteindre l’objectif de l’accès universel à l’énergie à l’horizon 2030 ; mais seulement si elle accélère l’adoption et l’adaptation aux autres technologies d’énergie renouvelable.
Certes, le défi commun dans le secteur énergétique en Afrique tient à l’extension et à l’amélioration des services énergétiques pour l’électrification rurale, mais la solution réside dans une approche incluant l’électrification en réseau et hors-réseau. Étant donné que l’essentiel de la population adulte des zones rurales en Afrique est constitué de femmes et de jeunes, il faut de soutenir l’entrepreneuriat des femmes et des jeunes dans tous les domaines liés aux infrastructures et les impliquer davantage dans les efforts d’électrification rurale.
 
Plusieurs projets ont été conçus pour enrayer la crise énergétique qui sévit en Afrique, notamment le Gazoduc transsaharien ou gazoduc Nigal. Où en est-on avec son exécution ?
 
Le gazoduc NIGAL devrait relier le terminal gazier de Warri, dans le Delta du Niger au Nigéria au terminal de Hassi R’Mel en Algérie, en passant par le Niger et le Sahara. Un Protocole d’accord a été signé en 2009 entre le Nigéria, le Niger et l’Algérie pour la construction de ce gazoduc long de 4200 km, lequel permettra d’acheminer 30 milliards de mètres cubes de gaz par an sur les marchés européens ; un tronçon de 200 km est prévu entre l’Algérie et l’Espagne. Le coût estimatif total du projet est d’environ 20 milliards de dollars. Le manque de financement est l’un des obstacles majeurs au démarrage du projet.
 
Le gouvernement nigérian a revu la portée et l’objectif de ce projet et l’a inclus dans le programme national de développement de ses infrastructures. Compte tenu de l’évolution récente du marché mondial du gaz, le gouvernement a recruté un consultant chargé de revoir l’étude de faisabilité du projet qui remonte à 2006. Le rapport de révision de l’étude revalidé a été soumis en mars 2014 et il confirme la viabilité financière de ce projet.
 
Le projet permettra de mettre fin au "torchage" du gaz naturel au Nigéria. En plus de diversifier les voies d’exportation du gaz, le projet présente un grand avantage, puisqu’il va approvisionner le nord du Nigéria, le Niger, le sud de l’Algérie, le Burkina Faso et le Mali en gaz. Ces régions sont actuellement touchées de plein fouet par la hausse des prix énergétiques et la désertification.
 
De nombreux efforts sont entrepris afin de s'assurer que des fonds sont mobilisés pour réaliser ce projet. Le Nigéria a, par exemple, dans son budget 2013, alloué 400 millions de dollars au démarrage des travaux d’exécution.
Il est vrai que le manque de financement est le principal obstacle, mais certains analystes pensent que les retards d’exécution sont en partie attribuables au retard accusé dans la ratification du nouveau code pétrolier du Nigéria. Ce qui a conduit au blocage de tous les projets pétroliers et gaziers de ce pays depuis plusieurs années. Les problèmes de sécurité dans les régions du Delta du Niger et du Sahel sont aussi partiellement responsables de ces retards.
 
 
L’Afrique est certainement le continent le plus ensoleillé. Pourquoi n’en profitons-nous pas pour alimenter les pays africains en énergie solaire ? Quelle est la place des énergies renouvelables dans votre stratégie?
 
L’UA a fait de cette question l’une de ses priorités au niveau le plus élevé, à savoir la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement. Le Sommet de 2011 a instruit la Commission de préparer une étude sur « l’exploitation du rayonnement solaire du désert du Sahara pour produire de l’électricité" pour les pays de la région. La Commission a bouclé l’étude sur l’exploitation de l’énergie solaire via les panneaux photovoltaïques et les technologies CSP en plus de l’éolien et de l’hydroélectricité dans 26 pays d’Afrique du Nord et de l’Ouest. L’horizon temporel de l’étude s’étendait jusqu’en 2050 et elle a conclu que la région a le potentiel pour installer une capacité de 90 GW d’énergie solaire, suffisante pour couvrir les besoins de l’Afrique du Nord et exporter vers l’Afrique de l’Ouest et l’Europe.

L’étude conclut que l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest peuvent fournir l’énergie à tous d’ici 2036, si le projet est exécuté intégralement. Elle recommande également de ne plus construire de nouvelles centrales à gaz et à pétrole et de mettre en place des marchés régionaux de l’énergie solaire en Afrique du Nord, dans la région du Sahel et en Afrique de l’Ouest. Vu les résultats encourageants de l’étude, la Commission de l’UA a demandé son extension pour couvrir les autres régions d’Afrique dans le cadre d’une seconde phase. Cette phase concerne l’analyse du rayonnement solaire et le potentiel des autres ressources énergétiques renouvelables du désert du Kalahari en Afrique australe et du désert d’Afar en Afrique de l’Est. L’étude traite aussi d’autres aspects importants comme les cadres réglementaires nécessaires, ainsi que les aspects économiques, environnementaux et sociaux, en plus des implications financières.

 
La Commission de l’UA a également élaboré le concept de marchés régionaux de l’énergie solaire en Afrique, semblables aux Corridors d’énergies propres pour l’Afrique imaginés par l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) et dont l’ambition est de transporter les énergies renouvelable produites à différents points disséminés sur le continent vers des centres de forte demande dans les régions ou sur tout le continent.
 
Un autre projet en cours d’exécution met l’accent sur l’électrification rurale en Afrique à travers des centrales photovoltaïques autonomes et des systèmes photovoltaïques connectés au réseau, en plus de petits parcs éoliens autonomes ou connectés au réseau. Ces études sont préparées sous la forme de monographies et comme guides d’installation et d’exploitation de ces technologies en Afrique pour l’électrification des zones rurales et des petites localités.
 
Pour évaluer le potentiel des ressources énergétiques renouvelables dans chacun de nos États membres, nous construisons actuellement la toute première base de données statistiques africaine sur les ressources énergétiques renouvelables, laquelle devrait contenir des données sur les capacités du solaire, de l’éolien, de l’hydroélectricité, du géothermique et de la bioénergie. Elle va fournir aux promoteurs des énergies renouvelables ainsi qu’aux États membres des indications préliminaires sur les zones favorables à la mise en œuvre des projets.