16/03/11

L’Afrique est-elle capable de produire l’énergie nucléaire plus sûre ?

Les explosions survenues dans le complexe nucléaire de Fukushima au Japon à la suite d'un puissant séisme ont poussé le monde à réexaminer les procédures de sûreté de l'énergie nucléaire Crédit image: Flickr/Oldmaison

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Avec les ondes de choc provoquées à travers le monde par les accidents nucléaires survenus au Japon, Alex Abutu se demandesi l’Afrique est prête à produire une énergie nucléaire sûre.

[CAPE TOWN] Les catastrophes qui ont frappé plusieurs installations nucléaires japonaises à la suite du tsunami dévastateur de la semaine dernière ont fait rejaillir les préoccupations relatives aux capacités des pays en développement à développer en toute sécurité leurs propres centrales nucléaires.

Si un pays hautement développé, aussi bien préparé aux catastrophes, peut se retrouver dans une situation nucléaire aussi ouvertement désastreuse, quel espoir les pays plus pauvres et moins bien organisés ont-ils d’empêcher des catastrophes de se produire dans leurs centrales nucléaires?

Cette question préoccupe actuellement les pays situés le long du ‘cercle de feu’ du Pacifique, ainsi que l’Inde et ses voisins, mais de nombreux pays africains aspirent également à produire de l’énergie nucléaire.

Les participants  à la première conférence africaine sur la contribution de l’énergie nucléaire au développement durable, en 2007, avaient plaidé pour que l’on n’impose pas à l’Afrique de restrictions sur l’utilisation de la technologie nucléaire à des fins pacifiques.

Mais le continent dispose-t-il de la capacité et de l’expertise pour assurer la sûreté des centrales nucléaires?

L’absence d’investissements

Dans certaines régions d’Afrique, des critiques ont souligné l’absence de culture d’entretien des centrales et le manque d’ingénieurs pour entretenir les infrastructures existantes, même dans les centrales électriques non nucléaires.

Par exemple, la plupart des centrales thermiques à gaz et des centrales hydroélectriques du Nigeria, construites dans les années 1970, fonctionnaient en-deçà de leur capacité en 2006 en raison d’une absence d’investissements publics pour leur entretien, selon l’ancien président Olusegun Obasanjo, qui s’exprimait ainsi lors de l’inauguration d’une centrale électrique en 2007.

Anne Starz, chef du groupe intégré de l’infrastructure nucléaire à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), affirme que de nombreux pays en développement sous-estiment les investissements dans la science, l’ingénierie et le temps nécessaires pour mettre en service un réacteur nucléaire. Entre 200 et 1 000 scientifiques et ingénieurs spécialisés dans les sciences nucléaires sont nécessaires pour faire fonctionner une centrale nucléaire, dit-elle.

Pourtant, moins de 10 000 personnes travaillent dans l’ensemble du secteur nucléaire en Afrique, dit Rob Adam, directeur général de la South African Nuclear Energy Corporation.

Christopher Watson, expert nucléaire et membre émérite du Merton College de l’Université d’Oxford, au Royaume-Uni, déclare: "De nombreux pays africains auraient du mal à trouver suffisamment de scientifiques et d’ingénieurs pour développer un programme nucléaire civil, mais c’est un problème auquel beaucoup de pays ont été confrontés — la formation scientifique dans ce domaine prend du temps".

L’AIEA propose des lignes directrices et offre de l’assistance aux pays engagés sur la voie du nucléaire, a-t-il ajouté, mais ils doivent parfois attendre l’apparition de technologies plus récentes avant de s’engager pleinement dans ce type d’énergie.

Des scientifiques ont récemment déclaré que des technologies nucléairesnouvelles, plus petites et plus flexiblespourraient être utiles à des programmes d’énergie nucléaire dans les pays en développement.

"Au Kenya, la capacité globale du réseau électrique est de 2 000 mégawatts", a déclaré Adam lors de la conférence de l’Initiative de développement des académies des sciences d’Afrique, organisée à la fin de l’année dernière (10 novembre). "Si vous avez un réacteur qui produit 1 600 mégawatts et qu’il faille le démonter pour  l’entretien, vous plongez le Kenya dans le noir. La bonne capacité [d’un réacteur pour l’Afrique] est de dix à 100 mégawatts".

Plusieurs fournisseurs de réacteurs nucléaires cherchent maintenant à en développer de plus petits, dit-il.

La stabilité politique

En plus d’avoir accès à des experts qualifiés et à des réacteurs plus petits, les pays doivent également bénéficier d’une stabilité politique, d’une volonté de développer un programme de recherche durable, de collaborations technologiques et  d’échange d’expertise, dit Starz.

"Avant qu’un pays ne puisse même envisager de construire un réacteur nucléaire, il doit mettre en place un organisme de régulation indépendant qui supervise la mise en place et le fonctionnement des réacteurs et qui en surveille la sûreté", dit-elle.

Jusqu’à présent, au moins 28 pays africains disposent de tels organismes, regroupés au sein du Forum des autorités de régulation nucléaire en Afrique.

La centrale nucléaire de Koeberg, en Afrique du sud

La centrale nucléaire de Koeberg, en Afrique du sud, est la seule sur le continent africain

Bjorn Rudner/Eskom

Illustration de quelques-unes des questions de sécurité qui accompagnent constamment toute ambition nucléaire : une contamination radioactive à la centrale nucléaire de Koeberg, en Afrique du Sud, a affecté près de 100 personnes l’an dernier (11-12 septembre) au cours des travaux d’entretien, meme si les niveaux étaient trop faibles pour causer des dommages, d’après Eskom, l’entreprise privée qui l’exploite.

Le Parti de l’Alliance démocratique sud-africaine a fait partie de ceux qui ont rapidement blâmé Eskom pour l’absence de mesures de précaution, bien qu’Eskom n’ait pas reconnu avoir commis de faute et ait déclaré dans un communiqué de presse à l’époque qu’elle "avait envoyé une équipe technique pour étudier les causes de l’incident et proposer des mesures qui permettraient à l’avenir d’éviter que ce type d’événement ne se reproduise”.

Mais cet incident montre que même un pays qui jouit d’une démocratie stable, qui respecte toutes les directives de l’AIEA à l’intention des pays en développement s’engageant dans le nucléaire, n’est pas à l’abri d’incidents nucléaires. L’AIEA aide ses 90 pays membres à développer une énergie nucléaire sûre, mais n’a pas le pouvoir d’empêcher un pays de développer l’option nucléaire.

Les pays ayant des gouvernements instables ou qui connaissent des conflits peuvent aussi aspirer à développer un réacteur nucléaire, selon Adam.

Le Soudan, un pays ravagé par la guerre, ambitionne d’avoir une centrale opérationnelle d’ici 2020. En août dernier, Mohammed Ahmed Hassan Eltayeb, le chef de la Commission soudanaise de l’énergie atomique, a annoncé des projets de construction de la plus grande centrale nucléaire d’Afrique.

Mais les ambitions nucléaires du Soudan ne sont pas crédibles, a déclaré Adam à SciDev.Net. "Personne ne lui vendra de réacteur".

L’expérience de l’Afrique

L’Afrique compte dix réacteurs nucléaires de recherche – en Algérie, en République démocratique du Congo, en Egypte, au Ghana, en Libye, au Maroc, au Nigéria et en Afrique du sud – mais aucune construction de nouvelle centrale nucléaire n’est en cours, selon Adam.

La Namibie, le Niger et l’Afrique du sud sont tous des grands producteurs d’uranium et représentent tous les trois environ 15 pour cent des ressources connues d’uranium récupérables dans le monde, ce qui fait qu’ils n’auraient aucun problème pour se procurer du combustible nucléaire.

L’Afrique du sud exploite des centrales nucléaires depuis 1984, date à laquelle Koeberg, sa première centrale nucléaire, a été connectée au réseau électrique national. C’est la seule centrale nucléaire du continent et elle a une capacité de 900 mégawatts.

Bobby Godsell, un membre de la South African National Planning Commission, a déclaré l’an dernier (27 septembre) lors d’un débat public à Johannesburg, en Afrique du sud, que la moitié de la nouvelle capacité de production d’électricité du pays serait nucléaire. Il a laissé entendre que le projet a pour objectif de générer environ 10 000 à 20 000 mégawatts d’origine nucléaire.

En 2000, le Nigeria, le deuxième plus grand consommateur d’énergie en Afrique, a commencé à introduire de la technologie nucléaire dans son secteur de production d’électricité en difficulté.

Des refugiés soudanais

Pourrait-on faire confiance au Soudan, politiquement instable, s’il possédait la technologie nucléaire?

Flickr/United Nations Photo

Il espère produire 1 000 mégawatts à partir de deux propositions de centrales nucléaires avant 2019. Mais il accuse un retard suite à un conflit entre ses deux organismes de régulation du nucléaire.

La Nigérian Nuclear Regulatory Authority (NNRA) travaille sur diverses questions de réglementation pour s’assurer que les ambitions nucléaires de ce pays ont une base solide. Mais la nouvelle Nigeria Atomic Energy Commission – un autre organisme gouvernemental – a contesté le droit de la NNRA d’exécuter des projets nucléaires du pays, en arguant qu’elle avait le mandat pour le faire et que la NNRA n’était compétent que pour la réglementation.  

Un intérêt croissant

L’ambition du Kenya de s’engager dans la technologie nucléaire date de 2008, date à laquelle ce pays a organisé une conférence nationale sur l’énergie afin de permettre aux scientifiques locaux de rencontrer des experts internationaux ayant une expérience en matière de création et de gestion de centrales nucléaires.

En septembre 2010, ce pays a dévoilé son programme de production d’énergie nucléaire et la création du Comité du programme d’électricité nucléaire, dirigé par Ochillo Ayacko, l’ancien ministre de l’énergie.

Le financement du début des travaux, d’un montant de 200 millions de shillings kenyans (US$ 2,3 millions), a été provisionné pour le projet qui, le gouvernement l’espère, devrait aboutir à la construction d’une centrale de 1 000 mégawatts d’ici la fin de cette décennie, et le pays a entamé des réunions techniques avec l’AIEA.  

La Tanzanie a adopté une loi autorisant l’utilisation de l’énergie nucléaire pour la production d’électricité en 2009, et l’Algérie, l’Egypte, le Maroc et la Tunisie ont tous manifesté de l’intérêt pour l’utilisation de ce type d’énergie.

"Le continent africain connaît une forte demande en électricité, et cela lui permettra d’ atteindre ses objectifs en matière de développement durable", dit Starz. "Les pays africains intéressés par l’énergie nucléaire ont des expériences différentes dans le domaine des applications nucléaires et progresseront à des rythmes différents. Tous ne sont pas susceptibles de parvenir à développer et exploiter une usine nucléaire au cours des 20 prochaines années."

"On peut s’inspirer de l’exemple de la République de Corée, qui a démarré son programme d’énergie nucléaire à partir d’un faible niveau de développement pour devenir un exportateur de technologie nucléaire vers les Emirats arabes unis", ajoute-t-elle.

Reportage supplémentaire de Linda Nordling