23/10/18

Q&R : trop de théorie dans l’enseignement des sciences

Khadidiatou Sall
Crédit image: SDN/Bilal Tairou

Lecture rapide

  • Il reste un grand travail à abattre en matière d’orientation vers les filières scientifiques
  • Une approche différente de la recherche peut amener les populations à accepter les OGM en Afrique
  • Il est nécessaire de créer de nouvelles variétés de plantes plus résilientes au stress climatique

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L’univers scientifique africain s’enrichit de plus en plus de femmes décidées à participer activement à faire de la science le moteur du développement du continent.
 
Khadidiatou SALL, biologiste moléculaire et cellulaire, ambassadrice du Next Einstein Forum (NEF) pour le Sénégal et fondatrice de l’association Science education exchange for sustainable development (SeeSD) depuis 2016, fait partie de cette nouvelle génération de femmes déterminées.
 
Avec son association, cette jeune femme s’est engagée à faire la promotion de la science, de la technologie, de l’ingénierie, de l’art et les mathématiques (STEAM – Science, Technology, Engeniering, Art and Mathematics), auprès des plus jeunes.

“Lorsqu’on donne un problème mathématique à un enfant en français, il n’arrive pas à le résoudre. Par contre, il résout le même problème, posé en langue locale”

Khadidiatou Sall, ambassadrice du NEF au Sénégal

Cette année seulement, elle a déjà encadré plus de 200 élèves grâce à des ateliers pratiques sur la biologie, la physique, la chimie, l’impression 3D, le codage et l’électronique.
 
SciDev.Net s’entretient avec Khadidiatou SALL sur son parcours, ses recherches et les obstacles qu’elle a dû surmonter pour en être là aujourd’hui.
 

Quelles ont été vos motivations pour embrasser une filière scientifique ?

J’étais une petite fille qui était curieuse et aimait découvrir de nouvelles choses. Étant petite, je m’amusais souvent à fabriquer mes propres jouets et au fur et à mesure, je m’étais rendu compte que j’avais des aptitudes en matière de biologie, qui s’est révélée être une matière qui n’était pas difficile pour moi. C’est comme cela que je suis devenue biologiste par la suite.
 

À quel besoin fondamental répondent vos travaux de recherche ?

Je suis beaucoup plus focalisée sur le changement climatique et mes travaux de recherche répondent au besoin de créer des variétés de plantes qui sont résilientes face à la sécheresse et au changement climatique. C’est pour cela que la thématique de l’eau est d’une importance capitale pour moi. Je pense que dans les années à venir, la teneur en eau continuera de diminuer. Il est donc nécessaire de trouver des gênes qui peuvent être modifiés pour créer des plantes qui sont beaucoup plus tolérantes à certains stress, notamment la sécheresse.
 

Quelle suite espérez-vous qu’il soit donné à vos recherches ?

J’attends surtout une collaboration de la part des gouvernements et du secteur privé, pour mettre en valeur et utiliser cette recherche. Ce que nous faisons souvent est de la recherche fondamentale qui peut néanmoins servir à créer des choses concrètes. L’objectif quand on fait ce type de recherche est de faire avancer la science, et en même temps, de résoudre des problèmes.

Vous avez tantôt parlé de gênes que l’on pourrait modifier. Vu la réticence des populations de façon générale, face aux Organismes génétiquement modifiés (OGM), n’avez-vous pas peur que vos recherches rencontrent des résistances quant à leur déploiement à grande échelle ?

C’est bien possible. Mais je pense qu’en Afrique, le problème en matière de recherche basée sur les OGM se situe dans le fait que ce sont des technologies qui sont amenées par des entreprises étrangères. La plupart du temps, les populations africaines n’ont pas contribué à les élaborer et elles sont seulement consommatrices. Et je pense que pour permettre aux populations d’adopter ce type de technologie, il faudrait changer la démarche et procéder de telle sorte que la communauté sente qu’elle est engagée, qu’elle fait partie de la recherche et que c’est pour elle. En commençant par exemple à développer des instituts de recherche qui sont basés en Afrique…
 

N’y a-t-il pas également un problème de communication autour des OGM ?

C’est certain et c’est en cela que la vulgarisation de la science aussi est très importante, en montrant par exemple aux personnes dès le bas âge, quelle est la procédure pour élaborer des OGM.
 

Quid de votre rôle d’ambassadrice du NEF. Comment en êtes-vous arrivée à ce niveau et en quoi consiste réellement ce rôle ?

Je suis devenue ambassadrice du NEF alors que je faisais mes études doctorales. C’est une opportunité qui s’est offerte à moi et que j’ai saisie. Je tiens à préciser que j’avais déjà créé l’association SeeSD. Le fait donc d’avoir déjà eu de l’expérience en matière de promotion de la science à travers cette association et aussi en ayant travaillé, pendant que j’étais en France, pour des associations qui faisaient de la vulgarisation de la science, m’a permis, en plus des études doctorales, de devenir ambassadrice du NEF pour le Sénégal.
Le rôle est valable deux ans et consiste essentiellement en la vulgarisation de la science dans son pays, notamment à travers l’organisation de la semaine africaine de la science. En somme, prendre des initiatives visant à vulgariser la science dans le pays pour lequel l’on est ambassadeur et les soumettre au NEF pour se faire accompagner dans l’implémentation de ces initiatives ou projets. Enfin, il faut évidemment participer aux rencontres organisées par le NEF. Il faut savoir que c’est une opportunité d’avoir en Afrique, un réseau en matière de promotion de la science et de connaître d’autres scientifiques afin de pouvoir collaborer si possible sur certains projets. 

Quels sont les obstacles que vous avez rencontrés dans votre parcours secondaire et universitaire ?

Ce n’est pas facile de faire une filière scientifique pour une femme. De façon générale, il y a un problème de genre en science. À mon entendement, ceci est dû au fait que les filles sont découragées dès le bas âge. De plus, il leur manque de la confiance et elles se disent souvent que les sciences sont difficiles. L’autre obstacle que j’ai rencontré est relatif à la langue dans laquelle est enseignée la science. La science est compliquée parce qu’elle n’est pas enseignée dans les langues nationales. Par exemple, lorsqu’on donne un problème mathématique à un enfant en français, il n’arrive pas à le résoudre. Par contre, il résout le même problème, posé en langue locale. Pour finir, il faut préciser qu’il y a trop de théorie dans l’enseignement de la science en Afrique.
 

Avez-vous eu à faire face, de quelque manière que ce soit, aux défis culturels qui empêchent les femmes, en général dans les pays en développement, de se sentir puissantes et capables de réaliser les mêmes choses que les hommes ?

Les défis culturels et surtout du genre se retrouvent partout dans la société. Les femmes ont moins de temps que les hommes, à consacrer aux études car elles doivent faire les travaux domestiques, et plein d’autres choses. Aussi ai-je été victime d’un manque d’encouragement et d’une tentative d’orientation vers les filières littéraires au lycée, de la part de mes enseignants. Je me rappelle quand je passais de la classe de 3e en seconde, je voulais faire une filière scientifique et les responsables de mon établissement voulaient m’orienter vers une filière littéraire. J’ai dû m’opposer, et avec le soutien de ma famille, j’ai pu faire les sciences.
 

Quel regard portez-vous sur l’évolution des tendances actuelles, en ce qui concerne l’intérêt qu’accordent les jeunes filles aux filières scientifiques ?

Même si les tendances changent, il y a toujours un grand travail à abattre en matière d’orientation vers les filières scientifiques. Je discutais par exemple avec le ministre de l’Enseignement supérieur du Sénégal, le professeur Mary Teuw Niane, qui affirmait qu’en matière de séries scientifiques, le Sénégal perdait 1% chaque année. Du coup, il y a une tendance qu’il faut inverser. Et pour moi, pour ce faire, il faut totalement changer le système d’éducation. Nous avons tendance à copier les systèmes des occidentaux, alors que ces derniers se rendent eux-aussi compte qu’il y a des problèmes de genre chez eux. Au lieu de se baser sur certaines choses à mémoriser et sur des examens qui n’ont aucun intérêt, il faut plutôt apprendre aux élèves comment apprendre. Ce qui se passe actuellement est qu’avec la robotique, l’intelligence artificielle, il y a des métiers qui deviendront obsolète. Et pour survivre donc, il faut être ouvert et pouvoir développer des compétences, ce que ne permet pas le système ici.
 

Quel(le) scientifique vous inspire le plus ? Et pourquoi ?

Je ne suis pas allée vers la science en suivant un modèle ; c’est parce que je la trouvais intéressante. Cependant, il y a beaucoup de femmes scientifiques qui ont contribué à l’avancée de la science et qui sont restées dans l’ombre ou ont été effacées par l’histoire. Nous avons notamment Rosalind Franklin à qui on devait attribuer le prix Nobel en 1962. Il y a aussi Mileva Marić, la femme d’Einstein.