29/06/14

Appels à la réforme de l’université en Afrique

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Crédit image: Jacob Silberberg / Panos

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La stratégie pourrait prêter à débat, mais il y a accord sur un point: l’université doit être réformée pour stimuler le développement.

L’importance de l' enseignement supérieur dans les efforts de l’Afrique en vue du développement et la transition vers des économies du savoir ne cesse de croître.

Le fait d’avoir plus de titulaires du doctorat dans la recherche et l’enseignement est largement perçu comme essentiel dans le développement de la puissance intellectuelle nécessaire pour cette transition.

Mais c’est une tâche ardue. Après plusieurs décennies au cours desquelles les gouvernements ont accordé la priorité à l’enseignement primaire et secondaire, les universités sous-financées peinent à retenir des chercheurs en quête de meilleures conditions de travail à l’étranger.

Notre dossier spécial, qui fait partie d’une plus vaste collaboration avec la Carnegie Corporation of New York, présente dans le détail les obstacles à la formation de plus d’universitaires africains et fait le point de la réflexion sur les stratégies d’amélioration de l’efficacité de l’enseignement supérieur en Afrique subsaharienne.

Il met l’accent sur la formation avec des applications pratiques pour le développement et l’emploi, sans pour autant sous-estimer le rôle des autres formes de savoir, qu’elles soient théoriques ou autres, notamment la recherche fondamentale et les sciences humaines.
 

Débordées et sous-financées
 
Irene Friesenhahn, de Global Young Academy, notre consultante pour ce dossier, donne un aperçu des initiatives visant à stimuler l’enseignement supérieur en Afrique sub-saharienne, en soulignant la hausse des investissements publics durant les dernières décennies.

Mais, malgré la hausse des effectifs globaux d’étudiants, les universités peinent à se doter des infrastructures et du personnel dont elles ont besoin pour la mise en œuvre des programmes de doctorat.

Ce qui freine les efforts d’augmentation du nombre de titulaires de doctorat et affecte directement la production africaine en matière de recherche. 

Mais la productivité académique n’est pas seule à en pâtir. Les diplômés du supérieur n'ont pas les compétences nécessaires pour trouver du travail, commercialiser les résultats de la recherche ou produire des connaissances utiles. 

L’agriculture, secteur où la formation pratique peut faire la différence, est l’un des potentiels moteurs de la croissance, soutient Martin Bosompem de l’Université de Cape Coast au Ghana.

Dans sa contribution à ce dossier, Martin Bosompem souligne la rareté des formations dans le domaine de l’entrepreneuriat en Afrique subsaharienne et rappelle la nécessité pour les programmes universitaires de passer de la théorie à la pratique, et l’aide dont les étudiants ont besoin pour créer leurs propres entreprises modernes d’agro-industrie.

Si l’entrepreneuriat est un lien entre les connaissances académiques et la résolution des problèmes pour le développement, il en est certainement de même pour l’innovation.

Gerald Wangenge-Ouma, de l’Université de Pretoria en Afrique du Sud et Patrício V. Langa de l’Université Eduardo Mondlane au Mozambique, estiment que la réforme doit être axée sur une éducation de qualité et la création d'une éthique de la science. L’innovation nécessite un apport de connaissances, rappellent-ils, et c’est pour cela que les institutions de formation doivent faire mieux qu’améliorer simplement l’accès – si elles veulent éviter de simplement instaurer une culture dans laquelle les étudiants sont simplement en quête de diplômes en vue d’une meilleure rémunération.

Dans le troisième article d’opinion du dossier, Goolam Mohamedbhai, ancien secrétaire général de l’Association des universités africaines, appelle à des réformes plus profondes.

Il plaide pour une « différentiation des missions» afin que certaines universités mettent l’accent sur la recherche et la formation postuniversitaire, tandis que d’autres se concentrent sur la formation des étudiants du premier cycle.

Il ajoute que la constitution de réseaux régionaux peut contribuer à résoudre certains problèmes de moyens et d’infrastructures au profit de la recherche de pointe.

Et un article de fond met en lumière les possibilités d’une plus large collaboration et de réseautage qu’offre l’implication de la diaspora africaine.

Jon Spaull analyse la tendance actuelle des universitaires africains à s’exiler mais relève tout de même les initiatives prises des deux côtés pour rétablir les liens. 

Ces initiatives pourraient transformer la « fuite des cerveaux » en une « circulation des cerveaux » bénéfique pour le renforcement des compétences et l’innovation. 
 

Réformer le système

Il y a lieu d’être optimiste sur la possibilité de transformer la « fuite des cerveaux » des décennies passées en un atout.

Cette idée trouve un aspect positif à un phénomène qui a été choquant pendant longtemps.

Et c’est le signe que le moment est peut-être venu de prendre des initiatives pour consolider ces signes de progrès.

Mais, cela ne signifie pas pour autant que la nécessité de renforcer le système éducatif est reléguée au second plan.

Comme le fait remarquer Wisdom Tettey, les efforts visant à convaincre les universitaires africains de rentrer au bercail ne seront efficaces que si les conditions locales de recherche sont favorables.

Les collaborations internationales peuvent aussi tout de suite faire la différence : dans une interview, Quintono Magani, professeur de chimie à l’Université de Dar es Salaam explique l’importance des initiatives telles que le programme RISE financé par la Fondation Carnegie. Mais, sans un changement systémique ou l’appui du gouvernement, seuls quelques étudiants peuvent en profiter.

Dans cette perspective, les pôles technologiques et d’innovation qui poussent à travers le continent africain peuvent être aussi considérés comme des signes de l’échec systémique de l’enseignement supérieur, comme conclut notre film sur le pôle de Nairobi. [1]

Ces pôles d’innovation offrent un espace pour les inventions technologiques qui font défaut au monde universitaire.

Les difficultés à travailler dans un environnement aux ressources limitées obligent parfois à concevoir des solutions originales, mais on ne saurait pour autant maintenir le statu quo. La nécessité est peut-être mère de l’invention ; mais il faut plus que la nécessité pour faire prospérer l’invention.

Le système de production des connaissances doit soutenir des initiatives variées dont chacune a un apport particulier.
 

Un rôle à jouer dans la croissance africaine

Quelle est la place de la formation doctorale dans cette stratégie, est-elle véritablement nécessaire pour le développement de l’Afrique?

Vous entendrez des points de vue variés dans les interviews du podcast et du film. 
 
Lidia Brito de l’UNECO est convaincue que les universités sont des acteurs majeurs de la transformation sociale parce qu’elles forment les dirigeants, enseignants et entrepreneurs du futur.

Mais pour le faire avec efficacité, ces institutions doivent tout d’abord se transformer elles-mêmes.

Esther Marijani, enseignante et étudiante en cycle de doctorat au Kenya, soutient que l’augmentation du nombre de titulaires de doctorat se traduira par une augmentation de politiques fondées sur des preuves.

Nanjira Sambuli de l’iHub de Nairobi, s’élève contre l’idée selon laquelle il faut être titulaire d’un doctorat pour se lancer dans la recherche de pointe.

Dans le système universitaire, l’accès à la recherche doctorale est difficile, explique-t-elle, en relevant que le département recherche-développement du iHub propose un modèle différent.

Iiro Kolehmainen, qui travaille dans un partenariat de développement des TIC conclu entre la Tanzanie et la Finlande, estime que les diplômes de niveau doctoral ont un rôle à jouer qui n’est cependant pas comparable à celui de l’entrepreneuriat – même s’ils sont tous les deux nécessaires à la création d’emplois.

Obiageli Ezekwesili, conseillère principale auprès d’Open Society Foundations et ancienne ministre nigériane, a défendu ces idées dans un discours prononcé au mois d’avril au Sommet Afrique de la London School of Economics.

Elle appelle à un remodelage complet du système universitaire pour former une classe d’entrepreneurs susceptibles de devenir une génération qui résout les problèmes et établit un lien entre la croissance et l’emploi.

L’enseignement supérieur, l’innovation et l’esprit d’entreprise sont de potentiels ingrédients qui, mis ensemble, peuvent faire partie du moteur africain de la croissance.

Il est clair que les pays africains peuvent mieux faire pour former et tirer profit de leurs esprits les plus brillants.

Anita Makri est rédactrice en chef chargée des opinions et dossiers spéciaux à SciDev.Net. Suivez-la sur Twitter: @anita_makri.

Cet article fait partie d‘un dossier spécial sur Comment rendre l’enseignement supérieur utile pour l’Afrique.

Références

[1] Tim Kelly Tech hubs across Africa: Which will be the legacy makers? (The World Bank, 2014)