01/11/17

Rendre compte de la gestion de l’éducation

African Student 2017
Crédit image: Hongqi Zhang

Lecture rapide

  • 264 millions de jeunes ne sont pas inscrits à l'école
  • Le tableau est particulièrement sombre en Afrique sub-saharienne
  • L'Unesco invite les parties prenantes à une culture de la reddition de compte

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L'édition 2017 du rapport mondial de suivi sur l’éducation [1] montre un retard des pays d’Afrique sub-saharienne dans la réalisation des objectifs de développement durable en matière d'éducation.
 
Publié le mois dernier, le rapport énumère une série d'indicateurs témoins du besoin d'efforts supplémentaires conséquents pour atteindre l'objectif 4 des ODD, qui recommande d'assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et de promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie.
 
Les experts de l'UNESCO notent à cet égard que dans près de 70 % des pays, mais dans 40 % seulement de ceux d’Afrique subsaharienne, la durée de l’enseignement obligatoire est de neuf ans.
 
"À l’échelle mondiale, moins d’un pays sur cinq assure douze années d’éducation à la fois gratuite et obligatoire", estiment-ils.
 
Ces garanties sont particulièrement courantes en Amérique latine et dans les Caraïbes (47 % des pays) ainsi que dans le Caucase et en Asie centrale (38 % des pays), tandis qu’aucun pays à faible revenu ne prévoit de telles dispositions. 
 
Plus significatif encore est le fait qu'à l'échelle mondiale, 264 millions d'enfants et de jeunes ne sont pas inscrits à l'école. L'Unesco estime qu'il s'agit d'un "échec que nous devons affronter ensemble", car l'éducation est une responsabilité partagée et le progrès ne peut être durable que grâce à des efforts communs. Il s'agit du reste du message clé que l'organisation a souhaité partager à travers le lancement de ce nouveau rapport, en insistant sur la notion de reddition de comptes.

“Rendre des comptes renvoie à la manière dont les professeurs enseignent, les étudiants apprennent et les gouvernements agissent. Cette responsabilité doit être définie avec soin et reposer sur les principes d’équité, d’inclusion et de qualité.”

Irina Bokova
Directrice Générale de l'Unesco

 Dans une déclaration, la directrice générale de l'Unesco, Irina Bokova, a estimé que "rendre des comptes renvoie à la manière dont les professeurs enseignent, les étudiants apprennent et les gouvernements agissent. Cette responsabilité doit être définie avec soin et reposer sur les principes d’équité, d’inclusion et de qualité."
 

Nicole Bella, statisticienne et analyste principale des politiques à l'Unesco, a pour sa part déclaré à SciDev.Net que "tout en assurant un suivi des politiques en matière d'éducation, le rapport mondial a pour mission d'amener les Etats, les gouvernements et l'ensemble de la communauté internationale à rendre des comptes."
 
Bouramah Ali Harouna, secrétaire général de la Conférence des ministres de la Jeunesse et des Sports de la Francophonie, présent à Dakar lors du lancement du rapport de l'Unesco, s'exprimant au nom des jeunesses francophones, a renchéri, estimant que "l'obligation de rendre compte, souvent considérée comme un sujet tabou, permet enfin d'interpeller les différents acteurs de l'éducation (gouvernements, parents, élèves, secteurs privés, organisations internationales) […] afin de faire en sorte que le droit à l'éducation soit effectif."
 
Pour Nicole Bella, l'état des lieux montre que s'il est vrai que des progrès parfois considérables ont été réalisés, il subsiste des objectifs et des défis auxquels tous les pays doivent faire face.
 
En ce qui concerne l'Afrique sub-saharienne, elle fait partie, selon Nicole Bella, des régions du monde où la question de l'éducation se pose de manière accrue.
 
"Il faut une volonté politique accrue. Malheureusement, les politiques ne sont pas forcément mises en œuvre comme elles devraient l'être", souligne-t-elle.
 
Au cœur des politiques nationales en matière d'éducation se trouvent les Etats, initiateurs et ordonnateurs des dépenses.
 
Toutefois, l'expérience a montré que l'Etat a lui seul ne peut pas tout faire. D'où le recours au secteur privé, de plus en plus impliqué dans les systèmes éducatifs.
 
Mais l'implication du secteur privé pose des problèmes annexes, liés notamment à l'équité, et risque de freiner la réalisation de certains chantiers du chapitre 4 des objectifs de développement durable.
 
A titre illustratif, selon l'édition 2016 du rapport national sur l'éducation [2] , entre 2007 et 2016, le nombre d’établissements privés du secondaire est passé de 136 à 503 au Sénégal, soit un peu plus du triple.
 
Cela correspond à un taux d’accroissement moyen annuel de 15,6%. Parallèlement, sur la même période, les établissements du secteur public ont connu un accroissement moyen annuel de 15,4%, passant de 87 à 317.
 
La question se pose avec une telle acuité que Dakar a accueilli les 25 et 26 octobre une rencontre internationale sur "la marchandisation de l'éducation dans l'espace francophone", à laquelle Nicole Bella a du reste également participé.
 
Selon elle, "le secteur privé joue un rôle de plus en plus important dans l'éducation, notamment au niveau du préscolaire, dans des pays comme le Sénégal ou le Cameroun, où plus de 60% des enfants sont scolarisés dans le privé. Cela pose manifestement un problème d'équité."
 
Le rapport 2017/18 de l'Unesco montre que pour ce qui est de la tranche d'âge comprise entre trois et quatre ans, les enfants issus des milieux les plus riches ont plus de chances d'être scolarisés que ceux issus de milieux modestes.
 
Il s'ensuit que "la question du coût de l'éducation doit être absolument prise en compte, d'autant que les Etats se sont engagés à rendre douze années d'enseignement primaire et secondaire gratuites, dont neuf années obligatoires et une année d'enseignement préscolaire gratuite", insiste encore Nicole Bella.
 
D'où l'impérieuse nécessité de développer l'enseignement public pour que tous les enfants puissent avoir une chance de profiter d'une éducation de qualité, sans discrimination sociale, estime-t-elle.
 

Deux Afriques

 
Le rapport de l'Unesco met également en lumière les différences de performances entre l'Afrique anglophone et l'Afrique francophone. Certains instruments de mesure permettent ainsi de se rendre compte que l'Afrique anglophone a une certaine longueur d'avance sur l'Afrique francophone.
 
Pour Nicole Bella, "c'est généralement le cas, peut-être aussi parce que la question du droit à l'éducation est mieux prise à bras-le-corps corps dans le monde anglophone."
 
"Comme le montre le rapport, il y a en Afrique anglophone un rôle plus important de la société civile, en matière de sensibilisation à l'importance de l'éducation", note-t-elle.
 
Ces actions peuvent jouer le rôle de catalyseur auprès des gouvernements, qui se trouvent ainsi obligés de rendre des comptes.
 

Le rapport montre ainsi qu'en Afrique du Sud, les étudiants, qui font partie des acteurs clés de l'éducation, ont contraint maintes fois le gouvernement à la reculade, après une augmentation des frais d'inscription à l'université.
 
"Cela se fait couramment en Afrique anglophone et certainement un peu moins dans les pays francophones et c'est sans doute le résultat du dynamisme de la société civile et d'une culture de la reddition du comptes", explique-t-elle.
 
"Il se pose donc aussi la question de la promotion de l'expression démocratique avec les pouvoirs en place et toutes les parties doivent y travailler, parce que l'éducation est une responsabilité partagée", explique Nicole Bella, avant de conclure: "On a besoin d'un Etat qui reste à l'écoute et travaille avec tout le monde."
 
Enfin, le rapport insiste sur le fait que les Etats doivent investir dans l'enseignement technique, s'ils veulent garantir des emplois aux jeunes et assurer un développement à long terme.
 
"L'enseignement technique a souvent été le parent pauvre des systèmes éducatifs en Afrique", regrette la responsable onusienne.
 
"C'est souvent une voie de garage où on relègue les élèves qui ne seraient pas performants."
 
Tout en notant qu'il ne s'agit pas d'une spécificité africaine, elle note que les compétences techniques et professionnelles assurent une meilleure transition vers le monde du travail et c'est d'autant plus vrai que même les universités s'assurent que l'enseignement théorique s'accompagne d'un enseignement pratique et de plus en plus, même les universitaires font le pont entre l'université et le monde des entreprises.
 
L'enseignement technique et professionnel doit être développé, amélioré et permettre une transition vers le marché du travail et les Etats doivent mettre en place des systèmes d'enseignement avec une partie théorique dans les écoles et une partie pratique dans les entreprises, plaide-t-elle, insistant sur le fait qu'il s'agit d'un moyen essentiel de lutter contre le chômage des jeunes.
 
"L'éducation est un investissement certes coûteux, mais au vu des gains induits du fait du retour sur investissement, on peut dire que le jeu en vaut la chandelle", conclut-elle.

Références

[1] Rapport mondial de suivi sur l'éducation 2017/18
Le rapport complet en anglais peut être consulté ici : Rendre des comptes en matière d’éducation : tenir nos engagements.
[2] Rapport National sur la Situation de l'Education – 2016