25/10/12

La qualité des traductions en arabe des textes scientifiques laisse à désirer

Des documents bien traduits peuvent aider les médecins à communiquer plus efficacement avec leurs patients Crédit image: Flickr/ delayed_gratification

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Des traductions de mauvaise qualité nuisent aux efforts de promotion de la science dans les pays arabes, avance Ehab Abdelrahim Ali, traducteur scientifique et enseignant en sciences.

L’arabe était la langue de la science au cours de l’âge d’or de la civilisation islamique (du milieu du VIIIe siècle jusque vers 1258), quand les textes scientifiques et médicaux étaient écrits ou traduits en arabe. Cependant, à l’époque moderne, la littérature scientifique arabe est devenue fortement dépendante de la traduction d’articles scientifiques de langues étrangères, principalement de l’anglais et du français.

Mais les traductions manquent souvent de coordination ou de normalisation quant à la terminologie utilisée, ou même quant à l’orthographe des mots, et il n’existe pour réglementer cela aucune source consensuelle pour les guides de terminologie ou de style de traduction.

Absence de directives claires

Au cours du premier mouvement historique de traduction scientifique, qui a débuté dans les années quarante, les traductions étaient réalisées soit par des traducteurs sérieux soit  par des journalistes ayant des connaissances en langues étrangères. Un deuxième mouvement a suivi dans les années 1970, lorsque des revues scientifiques, principalement médicales, publiées dans des pays arabes et écrites essentiellement en anglais, ont commencé à ajouter au contenu des ‘Résumés en arabe’.

Pour l’une de ces publications, la pratique se fondait sur une prédilection personnelle de l’un des rédacteurs en chef. Elle a donc été abandonnée peu de temps après la nomination d’un nouveau rédacteur en chef. L’absence d’une politique institutionnelle a ainsi constitué un obstacle à la poursuite de cette pratique.

La plupart de ces revues ont fait l’économie de directives claires quant à la façon de traduire les résumés ou quant aux sources de terminologie arabe.

Un troisième mouvement s’est amorcé en 1986 avec la publication d’une édition arabe intégraalement autorisée de la revue Scientific American par la Fondation koweïtienne pour l’avancement des sciences. Cette nouvelle vague de traductions en arabe se caractérise par la traduction d’articles provenant d’une seule source, plutôt que par la collecte d’articles issus de plusieurs sources.

Pendant plus de vingt ans, Scientific American a été la seule revue scientifique entièrement traduite en arabe. Quelques autres titres ont aujourd’hui lancé des éditions arabes, dont National Geographic, Science (pour les résumés uniquement) et, tout récemment, la revue Nature.

Bien davantage de publications scientifiques pourraient être traduites en arabe. Mais si elles ne le sont pas dans l’idée double de simplifier les termes scientifiques complexes et de conserver un contenu attrayant pour les lecteurs, le texte peut sembler bon alors qu’il ne fait que transmettre des affirmations erronées. Cela engendrera une aversion pour la lecture de textes scientifiques en arabe.

Un travail de spécialistes

La manière dont sont sélectionnées les équipes de rédaction est un facteur clé pour la réussite de ces efforts. La traduction de textes scientifiques n’est pas un travail de ‘généralistes’, c’est-à-dire de traducteurs sans formation scientifique ou d’écrivains dépourvus de capacités de traduction éprouvées dans les langues source et cible –et ce même s’ils ont une formation scientifique.

Récemment, lors de la préparation de la traduction d’un numéro pilote d’une revue scientifique en arabe, j’ai remis plus de 30 articles à des traducteurs dotés d’une expérience dans la traduction de textes scientifiques. Les résultats se sont avérés inquiétants -plus de 90 pour cent de ces articles, en effet, nécessitaient d’être retraduits entièrement ou partiellement.

Un article sur la physique mentionnait par exemple un appareil "assez petit pour loger à l’arrière d’un camion". Cela a été traduit par un appareil "modelé comme l’arrière d’un camion".

Au lieu de découvrir ces erreurs après-coup, il faudrait appliquer un principe bien connu de gestion de projet: le principe DIRFT – do it right first time (ou bien faire le travail du premier coup). Il implique le respect des principes de la qualité de la traduction, qui comprennent l’utilisation d’une terminologie appropriée, le recours exclusif à des traducteurs et des éditeurs qualifiés, l’adoption d’un standard de rendement à zéro erreurs et la mise en pratique de plusieurs contrôles dans le processus éditorial avant la publication définitive.

Regarder vers l’avenir

Pour assurer le succès des grands projets de traduction, il faut mettre en oeuvre concomittammentun certain nombre de facteurs.

Pour commencer, la traduction de textes scientifiques doit être reconnue comme une profession réglementée dans tous les pays arabes. L’un des moyens d’y parvenir est de créer une société pour les traducteurs scientifiques qui serait affiliée à un organisme éducatif dispensant des cours spécialisés de traduction scientifique.

Ensuite, après avoir terminé un cours de base, les jeunes traducteurs scientifiques doivent réussir un examen ‘d’entrée’ pour devenir membres de la société et ils ne peuvent recevoir d’agrément avant d’avoir réalisé sous la supervision d’un traducteur senior agréé un portfolio de travaux publiés, .

Si les maisons d’édition et les organismes de recherche reconnaissent cette nouvelle certification, cela va créer pour les traducteurs agréés un marché et, au bout du compte, cela rejaillira sur la qualité du contenu scientifique traduit.

Ce sont les gouvernements et/ou les institutions de recherche dans les pays arabes qui seraient le mieux à même de mettre sur pied ce système, avec l’assistance technique d’organisations internationales telles que l’Organisation des nations unies pour l’éducation, la science et la culture.

Potentiel pour réussir

Enfin, une enquête devrait être menée pour analyser les publications scientifiques à traduire potentiellement en arabe, en fonction des besoins du public cible, avec priorité à ceux formulés par les jeunes lecteurs. L’objectif ultime devrait être l’élargissement des horizons scientifiques de la jeunesse arabe.

Si elles sont bien faites, les traductions des revues scientifiques et d’autres publications en arabe accroîtront la sensibilisation du public à l’importance de la science et le tiendront au fait des découvertes scientifiques les plus récentes.

Plus important encore, cela permettra aux scientifiques et aux chercheurs arabes de comprendre la science en arabe. Le fait que la science soit enseignée en anglais ou en français peut expliquer le faible nombre de travaux  de recherche d’une certaine ampleur venant de pays arabes.

De nombreux scientifiques peuvent avoir une mauvaise expérience de la lecture de documents scientifiques mal traduits. Je parcourai un jour un article médical décrivant une maladie osseuse donnant au malade des "pieds à bascule", autrement dit concaves, mais le traducteur a rendu l’expression  par "pieds aux bases en pierres" -une traduction à la fois dépourvue de sens et trompeuse.

Il est essentiel de surmonter cette barrière pour aider les scientifiques à croire encore qu’ils peuvent faire des recherches en arabe sans être isolés de la communauté scientifique internationale traditionnelle. Et dans des professions comme la médecine, cela peut aider les médecins à communiquer plus efficacement avec leurs patients.

Ehab Abdelrahim Ali est un écrivain scientifique, journaliste et traducteur agréé. Il est également enseignant de traduction scientifique à l’Institut supérieur arabe de traduction en Algérie. Ehab vit dans l’Ontario, au Canada.

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