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Athar Osama estime que les projets d'un ambitieux 'corridor de développement du désert' en Egypte pourraient fournir un exemple concret de la valeur sociale de la science

Le mois dernier, la revue Science a publié un supplément intitulé 'Révolutionner la science en Egypte' saluant les perspectives de la science égyptienne suite à la révolution du 25 janvier. Son optimisme se fonde sur une série d'initiatives et des augmentations des budgets scientifiques annoncées par le nouveau gouvernement dans le but de démontrer son engagement pour la science et l'innovation.

Mais certains, à juste titre, ont prévenu qu'il ne fallait pas interpréter trop positivement les récentes annonces, puisque d'importants obstacles restent encore à franchir avant que la profession scientifique ne soit tirée du creux où elle se trouvait au cours du régime précédent, et portée à un niveau où elle peut jouer un rôle constructif dans le développement socioéconomique.

Les dirigeants et les scientifiques égyptiens, comme ceux de la plupart des pays du reste du monde musulman, doivent œuvrer à la fois avec les intellectuels et les citoyens ordinaires pour susciter un changement culturel de grande ampleur – en son absence, on ne peut vraiment s'attendre à ce que la science tienne ses engagements. La science ne peut progresser en Egypte que si la priorité est accordée aux populations, plutôt qu'aux mégaprojets de prestige traditionnels.

Le chemin de la prospérité

La proposition d'un 'corridor de développement massif du désert', une grande idée du géologue de l'Université de Boston, Farouk El-Baz, qui utilise l'imagerie satellitaire pour étudier les déserts en Egypte depuis des décennies, est un exemple de la façon dont un tel objectif pourrait être réalisé.

Conçu à l'origine au début des années 1980, alors que El-Baz officiait comme conseiller scientifique du Président Anouar el Sadate, le projet a été mis en suspens pendant deux décennies après la mort de raïs. Mais l'idée a bénéficié d'un regain d'intérêt dans le milieu des années 2000 qui augmente depuis.

Cette initiative de US$ 24 milliards — plus ambitieuse encore que la 'cité scientifique' de US$ 2 milliards proposée par le prix Nobel Ahmed Zewail — exploiterait les connaissances scientifiques de l'imagerie satellitaire, de la géologie et l'hydrologie du désert pour procurer des avantages socio-économiques à la société.

L'objectif serait de construire une autoroute majeure située à l'ouest du Nil, allant du nord au sud du pays, avec des artères la reliant à des villes de l'est et de l'ouest. Le corridor compterait également un pipeline d'eau douceet une ligne d'électricité pour alimenter ces régions au cours de son développement et par la suite.

Selon El-Baz, le corridor "apporterait un soulagement indispensable  aux villes égyptiennes surpeuplées et réduirait l'empiètement urbain sur les terres agricoles, augmenterait la terre émergée habitable, améliorerait les liens commerciaux continentaux de la Méditerranée dans le nord jusqu'en Afrique du Sud, et créerait, littéralement, pour la société égyptienne un 'espace de répit' si essentielle à la créativité".

Aspect clé de cette idée, la création d'un mécanisme de financement spécial – essentiellement, une forme de dette d'Etat dont la souscription serait ouverte au public – qui permettrait aux égyptiens d'investir dans cette initiative. Ils en deviendraient les 'propriétaires' et ainsi, selon El-Baz, seraient maîtres de leur propre destin.

Un contrat social

L'initiative est très inhabituelle dans le monde islamique, du fait qu'elle établit un lien explicite entre l'idée d'un scientifique et ses bénéficiaires directs.

Elle pourrait également aborder une grave faiblesse dans le discours sur la politique scientifique au sein du monde musulman.

L'une des raisons les plus fondamentales de l'absence de développement fondé sur la science dans le monde islamique est l'absence d'un 'contrat social' entre chercheurs et citoyens. En effet, dans le cadre d'un contrat social, les citoyens paient leurs impôts pour financer les chercheurs dans l'espoir de tirer profit des connaissances générées et de bénéficier d'une amélioration socio-économique future.

L'absence d'un tel contrat social dans les pays musulmans est exacerbée par la perception de la science comme ayant peu contribué au développement socio-économique.

Avec quelques exceptions notables – comme la recherche, le développement et la vulgarisation agricole en Égypte et au Pakistan au cours des années 1960 et 1970 – la majeure partie des travaux scientifiques effectués dans les laboratoires du monde musulman souffre d'une applicabilité commerciale limitée. Les recherches sont souvent théoriques, plutôt que pratiques et ne sont parfois pas de qualité suffisante pour résoudre des problèmes pratiques.

Pour une science plus pertinente

Par ailleurs, l'infrastructure entrepreneuriale nécessaire pour commercialiser les avantages de la recherche scientifique est extrêmement sous-développée dans le monde musulman. En l'absence d'une forte participation du secteur privé, l'innovation finit par devenir tel un enfant non désiré, sans personne pour en payer les factures ou à prêt en prendre la responsabilité.

Le lien crucial entre la science et son impact est donc rompu et la société en pâtit. Cela limite les possibilités, l'enthousiasme populaire et l'appui politique en faveur de la science dans le monde musulman.

Deux conditions doivent être remplies pour que la science obtienne le soutien populaire et politique dont elle a besoin pour passer une certaine forme de contrat social – une tâche pour laquelle la communauté scientifique doit partager la responsabilité.

D'abord, les chercheurs et ceux chargés de l'élaboration des politiques scientifiques doivent rendre la science plus pertinente pour leurs sociétés respectives. Les chercheurs ont un rôle important à jouer à cet égard, ils doivent descendre de leur tour d'ivoire et utiliser la science pour répondre aux besoins urgents de leurs sociétés.

En l'absence d'un lien visible entre les investissements dans le domaine de la science et leurs retombées pour la société qui la finance, un contrat social sera difficile à passer, et la science continuera à être perçue comme un impôt lourd sur le présent, plutôt que comme un investissement dans l'avenir.

Le rôle de la communication

Ensuite, les chercheurs et les décideurs des politiques scientifiques doivent communiquer la science plus efficacement. C'est un défi certes mondial, mais qui se pose de façon particulièrement urgente dans le monde musulman.

El-Baz l'a appris à ses dépens quand il a commencé à explorer les déserts égyptiens. "Nous devions dire aux nomades du désert ce que nous étions en train de faire, cela était difficile au départ, mais nous avons progressivement réussi dans cet exercice", dit-il.

The growing grass-roots political support for Egypt's Desert Development Corridor is the kind of movement that can help establish a genuine social contract for science. In doing so, it will help put the Islamic world on course towards embracing a culture of science-based development.

Athar Osama is a London-based science and innovation policy consultant, and director of the Middle East and Asia division of an international technology policy consulting firm. He is also the founder of Muslim-Science.com.

Les journalistes scientifiques peuvent jouer un rôle important à ce niveau. Mais l'enthousiasme indispensable pour utiliser la science pour le bien public doit venir des scientifiques eux-mêmes.

Le soutien politique local croissant dont bénéficie le Corridor de développement du désert en Egypte est le type de mouvement qui peut contribuer à l'établissement d'un véritable contrat social avec la science. Et ce faisant, le monde musulman se verra encouragé un peu plus sur la voie de l'adoption d'une culture d'un développement fondé sur la science.

Athar Osama, qui est basé à Londres, est un consultant sur les politiques scientifiques et d'innovation et directeur de la division Moyen-Orient et Asie d'une entreprise internationale de conseils en politiques technologiques. Il est par ailleurs le fondateur de Muslim-Science.com.