23/07/19

RDC : Les dessous de la démission du ministre de la Santé

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L'ancien ministre congolais de la santé, Oly Ilunga - Crédit image: SDN/Patrick Abega.

Lecture rapide

  • Le ministre congolais de la Santé a déposé lundi sa démission, sur fond de crise dans la gestion de l’épidémie d’Ébola
  • La démission d’Oly Ilunga intervient dans un contexte de polémique relative à l’introduction d’un nouveau vaccin anti-Ébola
  • Le gouvernement congolais déplore quant à lui un « manque de stratégie du ministère »

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[KINSHASA] Il ressort de la lettre de démission d’Oly Ilunga que plusieurs facteurs ont joué dans sa décision de quitter le gouvernement. Outre les questions procédurales, il s’agit notamment de la décision du président de la République de placer la conduite de la riposte à l’épidémie à virus Ébola sous sa supervision directe, par le truchement d’un secrétariat technique qui a reçu la mission de coordonner l’ensemble des activités de la riposte.

Cette décision présidentielle intervient dans un contexte de polémique entre le ministre démissionnaire et des experts aussi bien locaux qu’internationaux, notamment au sujet du déploiement de nouveaux vaccins expérimentaux. 

“Ébola, aujourd’hui, n’est plus un problème de science. C’est un problème de stratégie, qui porte sur comment utiliser la panoplie de remèdes à notre disposition et comment atteindre les contacts qui se trouvent dans les zones non-sécurisées.”

Jean-Jacques Muyembe, directeur de l’Institut National de Recherche biomédicale (INRB) de Kinshasa

Le gouvernement congolais avait opposé une fin de non-recevoir à cette requête, sans toutefois fermer entièrement la porte à la négociation.
Dans une circulaire en date du 10 juin 2019, l’ancien ministre de la santé expliquait qu’à l’occasion d’une consultation internationale sur la vaccination contre la maladie à virus Ébola, l’introduction de nouveaux vaccins, conformément aux recommandations du SAGE (Strategic Advisory Group of Experts), avait été jugée inopportune.

Le ministre expliquait que l’introduction d’un deuxième vaccin ne fait pas partie du 4e plan stratégique pour la riposte en cours ; qu’Il n’y a pas, à ce jour, de crise d’approvisionnement du vaccin rVSV-ZEBOV et que la RDC avait déjà adopté la dose ajustée à 2×10 E7 pfu recommandée par le SAGE, le 7 mai 2019 ; enfin, que les nouveaux vaccins  proposés ne pourraient éventuellement être intégrés dans l’arsenal préventif contre la maladie à virus Ébola que lorsque leur efficacité sera établie.

 


Dans une interview avec SciDev.Net, jeudi 16 juillet, soit avant sa démission, Oly Ilunga a expliqué que l’une des conclusions d’une conférence internationale organisée en juin à Kinshasa est que le MVA-BN, vaccin développé par la firme américaine Johnson & Johnson, est « tout à fait inapproprié pour stopper la flambée d’épidémie actuelle en RDC. »

Oly Ilunga a également fustigé les promoteurs de ce vaccin, accusés d’avoir manqué d’éthique.

« Ils ont voulu introduire ce vaccin en République démocratique du Congo, sans tenir compte des autorités sanitaires, ni du gouvernement. Par ailleurs, ils ont essayé également de l’introduire sans tenir compte de l'effet que cela aurait sur la population », a-t-il poursuivi.
 
Pour sa part, Jean-Jacques Muyembe, directeur de l’Institut National de Recherche biomédicale (INRB) de Kinshasa, a déclaré à SciDev.Net que « le vaccin actuellement utilisé [le rVSV-ZEBOV] a ses limites et son administration doit faire l’objet d’un bon encadrement.

Il fallait absolument, poursuit-il, avoir « un vaccin préventif » pour constituer un rideau entre les zones infectées et les zones saines.
Jean-Jacques Muyembe précise que des études étaient en cours, pour lancer des campagnes de vaccination entre Kayna, au Nord et Goma, au sud.

Malheureusement, regrette-t-il, « ces études ont été arrêtées et quelques jours plus tard, un cas d’Ébola est entré à Goma. »

Le chercheur estime que « la porte était ouverte » et souligne la nécessité de réfléchir à une stratégie visant à empêcher l’épidémie de s’étendre à l’intérieur de la RDC, voire, pire scénario, à l’extérieur, ce qui risquerait d’être une situation « catastrophique. »

« Nous autres scientifiques sommes d’accord, mais les politiques ne le sont pas », a poursuivi Jean-Jacques Muyembe, au sujet de l’opportunité d’intégrer un deuxième vaccin comme outil de la riposte.

Pour Jean-Jacques Muyembe, la science a apporté des réponses probantes à l’endiguement de l’épidémie ; il reste maintenant à mettre en place une stratégie porteuse pour stopper la maladie.

« Ébola, aujourd’hui, n’est plus un problème de science. C’est un problème de stratégie, qui porte sur comment utiliser la panoplie de remèdes à notre disposition et comment atteindre les contacts qui se trouvent dans les zones non-sécurisées », a-t-il déclaré à SciDev.Net.

L’utilisation des vaccins est quelque peu perturbée, parce que c’est difficile, entre autres, de retrouver les contacts des contacts, qui se cachent dans des zones qui ne sont pas sécurisées et parce que les familles ne facilitent pas l’accès à leurs proches contaminés.

“Si le ministère de la santé avait une stratégie, cela se saurait. Quand on voit le nombre de cas, on ne peut que conclure qu’il y a un problème.”

Kasongo Mwema , porte-parole du président de la République

Il est difficile de dire si Oly Ilunga a démissionné, par crainte d’être désavoué dans ce dossier – ou d’autres – par le président de la République et son secrétariat technique, mais une chose est sûre : la stratégie du gouvernement va subir un profond renforcement après le départ du ministre.

Dans un entretien accordé à SciDev.Net, le porte-parole du président Félix Tshisekedi, Kasongo Mwema, semble relativiser la démission du ministre, évoquant un manque de stratégie du ministère, ce qui aurait poussé le  président à prendre le contrôle de la gestion de la crise.

« Si le ministère de la santé avait une stratégie, cela se saurait. Quand on voit le nombre de cas, on ne peut que conclure qu’il y a un problème. Cette crise ne concerne pas uniquement le secteur de la santé, il y a des éléments de nutrition et de sécurité » , a-t-il souligné.

Si le président a jugé opportun, comme le ministre l’affirme, de confier la gestion de la riposte à une équipe placée directement sous son contrôle, c’est sans doute parce qu’il n’était pas satisfait de la conduite des affaires ; ou, comme le prétendent certains politiques, pour inscrire son nom au tableau d’honneur des héros de la guerre contre Ébola, maintenant que les chances de succès se sont démultipliées, avec la décision de l’OMS de faire de l’épidémie une urgence de santé publique de portée internationale (USPPI).

Dans tous les cas, la question de l’introduction de nouveaux vaccins pourrait bientôt connaître son épilogue.

Mais, estiment les observateurs à Kinshasa, si les événements de cette semaine ne sont que les signes avant-coureurs d'une crise politique majeure, la RDC, déjà confrontée aux activités de groupes armés qui perturbent la riposte à l'épidémie d'Ebola, à une autre épidémie de rougeole, dans certaines provinces, ainsi qu'à une pauvreté rampante, aurait encore plus de mal à combattre une maladie réputée très complexe.
 
 
NOTE: Cet article a fait l'objet d'ajouts aux troisième et quatrième paragraphes, relatifs aux raisons invoquées par le gouvernement congolais pour s'opposer au déploiement de nouveaux vaccins expérimentaux.