13/07/17

Ebola : ces symptômes qui subsistent chez les patients guéris

Ebola patient
Crédit image: Flickr / Paul Foguenne

Lecture rapide

  • Des chercheurs de l’IRD suivent un groupe de 800 personnes qui ont survécu à Ebola
  • Elles traînent toujours des séquelles comme des douleurs, la surdité et même la cécité
  • Cette étude vise à mieux connaître la maladie pour élaborer de meilleurs traitements

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Un an après la fin de l’épidémie d’Ebola qui a semé la terreur et la mort dans trois pays d’Afrique de l’Ouest (Guinée, Sierra Leone et Liberia) entre 2014 et 2016, les chercheurs continuent de tirer les leçons de cette maladie qui d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a au total contaminé 28 616 personnes, en tuant 11 310.
 
Parmi les études qui se font dans le cadre de cet apprentissage, il y a le suivi de cohorte qu’effectue depuis 2015 l’Institut de recherche pour le développement (IRD) auprès de plus de 800 patients guéris de la maladie en Guinée.
 
Pour comprendre les tenants et les aboutissants de cette étude, SciDev.Net a rencontré Bernard Taverne, médecin, anthropologue et chercheur à la représentation de l’IRD à Dakar au Sénégal.
 
Dans cette entrevue, il révèle que même un an après, les personnes officiellement guéries de la maladie sont en réalité loin d’en avoir fini avec ses séquelles et ses conséquences.
 

Vous faites depuis 2015 des études auprès des personnes guéries d’Ebola en Afrique de l’ouest. De quoi s’agit-il concrètement ?

 
Notre équipe est en effet engagée dans un programme de recherche interventionnelle en Guinée auprès de personnes qui sont sorties guéries des centres de traitement d’Ebola (CTE). Ce programme de recherche s’appelle "Post-EboGui", ce qui signifie "post-Ebola en Guinée". L’intitulé exact du programme est "Evaluation et accompagnement des patients déclarés guéris d’une infection à virus Ebola en Guinée". En fait, la question a émergé de l’intérêt de travailler auprès de personnes guéries alors que l’épidémie était encore importante et que l’ensemble des acteurs de la lutte contre l’épidémie était focalisé sur la lutte contre la maladie elle-même pour la contenir et éviter sa propagation. Mais, ces mêmes acteurs ne prêtaient pas beaucoup attention aux problèmes que présentaient les personnes guéries ; notamment les séquelles de la maladie. Les acteurs ont entendu les plaintes venant de personnes guéries. C’était des plaintes d’ordre social en rapport avec leur retour à la maison au sortir d’un CTE. Différentes actions ont été mises en place par ces acteurs, notamment le fait de donner des certificats de guérison et l’accompagnement de ces personnes pour leur retour à domicile sous des formes de ritualisations diverses permettant leur réintégration sociale. Or, ces personnes guéries ont été de plus en plus nombreuses à témoigner de différents troubles et symptômes médicaux. C’est à ce moment-là que notre équipe s’est intéressée à la question et a mis en place un programme d’évaluation et d’accompagnement de ces personnes.

Et ce programme, vous l’appelez Cohorte. Qu’est-ce que cela signifie ?

 
Une cohorte est un groupe d’individus. Donc, un suivi de cohorte consiste à suivre un groupe de personnes qui sont déclarées guéries de la maladie. Concrètement, on leur propose une prise en charge médicale à l’occasion de laquelle on leur pose différentes questions d’ordre médical, social ou psychologique. On va rencontrer ces personnes-là plusieurs fois dans le temps. Nous avons commencé le processus en mars 2015 et on va le poursuivre jusqu’en juillet 2018.
 

Comment organisez-vous ce suivi pour qu’il soit efficace ?

 
Le programme est basé en Guinée et il y a toute une équipe de recherche dans ce pays où elle travaille dans quatre villes : Conakry, Forecariah, Macenta et Nzérékoré. Dans ces différentes villes, nous avons pu, avec l’appui de structures médicales, ouvrir des consultations pour prendre en charge ces personnes. Il est clair que nous ne pouvons pas être dans les quatre villes à la fois. Donc, nous avons recruté du personnel médical, des enquêteurs, des assistants sociaux et des personnes qui avaient été elles-mêmes malades d’Ebola et qui participent maintenant au processus. Tous constituent des équipes à travers lesquelles nous pouvons à la fois prendre en charge les personnes et recueillir les informations dont nous avons besoin pour les recherches.
 

Combien de personnes accompagnez-vous dans le cadre de ce suivi de cohorte ?

 
En Guinée, environ 3 800 personnes ont été malades d’Ebola et quelque 1 300 y ont survécu. Notre programme de recherche devait initialement s’intéresser à 450 personnes. Mais, les autorités nationales nous ont demandé d’élargir l’échantillon pour prendre le plus de personnes possible. Mais, il n’a pas été possible de les prendre en charge toutes ; d’une part parce qu’il y en a qui n’ont pas besoin d’être prises en charge parce qu’elles sont en bonne santé ; et d’autre part parce que nous ne travaillons que sur quatre site en Guinée et nous ne pouvons pas couvrir la totalité du pays. Et nous sommes finalement arrivés à 803 personnes exactement ; ce qui représente une forte proportion de l’ensemble des personnes guéries de la maladie Ebola dans ce pays. Néanmoins, en travaillant sur 803 personnes sur un peu plus de 1000 identifiés qui sont actuellement identifiées, ça fait que nous couvrons environ 80% des personnes guéries du pays. Ainsi, le programme "Post-EboGui" est le premier programme de prise en charge thérapeutique en termes d’importance au niveau national en Guinée.
 

Pourquoi vous intéressez-vous autant à ces personnes pourtant déjà guéries de la maladie ?

 
En fait, elles ont survécu à la maladie. Mais, comme toute maladie, Ebola a une phase aiguë qui, dans un certain nombre de cas, peut conduire à la mort. Puis, lorsque la phase aiguë est résolue, il y a une phase de récupération progressive de l’état de santé. Et c’est au cours de cette récupération de l’état de santé que l’on se rend compte qu’il y a des gens qui souffrent de séquelles et qui continuent à avoir des troubles physiques, psychologiques et sociaux. Et ce c’est ce domaine des conséquences de la maladie que nous étudions.
 

“76% signalent différents problèmes physiques. Il y a 40% qui se plaignent d’anorexie, environ 38% connaissent des douleurs musculaires et articulaires, 37% ressentent des douleurs neurosensorielles diverses, 18% ont des troubles oculaires”

Quels constats avez-vous alors pu faire depuis le début de ce suivi en 2015 ?

 
Nous avons pu mener des enquêtes auprès de 803 personnes sorties guéries des CTE depuis en moyenne 350 jours. Et on s’est rendu compte que parmi elles, environ 76% signalent différents problèmes physiques. Il s’agit de symptômes généraux comme la persistance de la fièvre et de la fatigue. Il y a 40% qui se plaignent d’anorexie, environ 38% connaissent des douleurs musculaires et articulaires, 37% ressentent des douleurs neurosensorielles diverses comme des maux de tête, des troubles de la mémoire, des déficits auditifs. Certaines ont d’ailleurs perdu l’ouïe à cause d’Ebola. On a enfin 18% de ces personnes qui ont des troubles oculaires, avec différentes atteintes au niveau de l’œil qui peuvent entraîner chez certains une baisse de l’acuité visuelle et chez quelques-unes une cécité complète.
 

Ces séquelles sont-elles dues à la maladie elle-même ou aux effets secondaires des médicaments utilisés pour la traiter ?

 
Ces séquelles sont a priori liées à la maladie elle-même et à son virus. Parce que parmi les patients qui sont suivis dans le cadre de la cohorte "Post EboGui", il y a un grand nombre qui n’ont pas reçu de traitements particuliers et qui n’ont eu que des traitements standards de réhydratation et d’antibiothérapie, et qui n’ont donc pas subi des essais thérapeutiques. Certains parmi eux ont participé à des essais thérapeutiques d’un médicament qui s’appelle le Favipiravir et à ma connaissance, il n’y a pas eu d’effets secondaires particuliers qui aient été décrits à ce jour.
 

D’autres études ont aussi démontré que le germe de la maladie persiste dans certains fluides corporels des personnes guéries. Comment cela s’explique-t-il ?

 
Ebola se transmet par la présence du virus dans différents liquides corporels. Ça peut être le sang, les urines, la salive, les matières fécales, etc. C’est par ces liquides corporels que la maladie passe d’un individu à un autre. Dans toute infection virale, le virus est présent dans l’ensemble du corps. Il est présent dans la phase aiguë à une proportion importante, et après, il disparait petit à petit. Mais, il ne disparait pas totalement et ne disparaît pas de manière équivalente chez toutes les personnes. Il y a une élimination progressive du virus du corps et on s’est rendu compte qu’il pouvait y avoir une persistance du virus dans le sperme pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. On a observé la persistance de traces de virus jusqu’à 550 jours après la guérison officielle de la maladie.
 

Et comment expliquez-vous le fait que pendant cette période, cette personne ne puisse pas systématiquement transmettre la maladie ?

 
On sait que dans certains cas, ces individus vont transmettre la maladie. Du coup, on se retrouve avec Ebola dans une situation comparable à celle de la maladie du sida qui a une transmission sexuelle. Il peut y avoir des transmissions sexuelles d’Ebola. Il y a eu en 2016 une petite résurgence d’Ebola en Guinée qui est survenue suite à une transmission sexuelle d’un individu qui était considéré comme guéri depuis un an. Il a donc contaminé par relation sexuelle une femme qui, elle-même, a ensuite diffusé la maladie autour d’elle. Il y a eu un peu moins de dix cas à l’occasion de cette résurgence. Du coup, il est extrêmement important d’un point de vue scientifique de savoir pendant combien de temps le virus peut être présent dans le sperme afin de donner des indications précises en termes de santé publique à toutes les personnes pour leur dire que même si elles sont guéries de la maladie Ebola, il faudrait quand même qu’elles prennent un certain nombre de précautions pour éviter des transmissions secondaires qui peuvent être sexuelles. Donc, nous donnons à toutes les personnes guéries d’Ebola des conseils comparables à ceux qu’on donne dans le cadre du sida, à savoir d’utiliser les préservatifs pendant un certain temps après la maladie pour réduire les risques de transmission secondaire.

“Jusqu’à présent, les personnes guéries de la maladie à virus Ebola était peu nombreuses. Donc, on n’avait pas vraiment eu l’occasion de développer des recherches précises sur l’impact de la maladie”

Quelle est l’ampleur de ces séquelles sur le plan social ?
 
Le premier impact social pour les personnes sorties d’un CTE a été un phénomène de stigmatisation et de rejet par leur entourage. Très souvent, quand elles sont rentrées chez elles, elles n’ont pas forcément été bien accueillies ; mais ont été considérées comme responsables d’avoir apporté la maladie, le malheur et la mort dans leurs familles, leurs quartiers ou leurs villages. Un certain nombre d’entre elles ont même été chassées et ont dû abandonner leurs familles, déménager, et ça a été quelque chose de très difficile pour ces personnes-là. Le deuxième impact a été une perte de ressources, une perte de travail. Des personnes revenant de maladie sont fatiguées et n’ont pas pu reprendre directement leurs activités professionnelles d’agriculture, de commerce ou d’artisanat. D’autres ont complètement perdu leur travail, leur clientèle, bref, la possibilité de reprendre des activités normales. C’est un impact très important au niveau de l’individu qui perd ses ressources économiques et devient dépendant. Et cela modifie complètement l’organisation des familles ; notamment lorsque dans une famille, il y a eu plusieurs personnes malades, voire plusieurs décès. Donc, ça a une conséquence au niveau de la recomposition familiale, de la prise en charge des enfants qui, ayant perdu un ou les deux parents, se retrouvent dans des situations à la fois psychologiquement difficiles et économiquement très délicates.
 

A quoi vont servir ces informations que vous êtes en train de réunir ?

 
L’un des objectifs de cette recherche est de documenter de manière précise les conséquences de cette maladie. Il faut savoir que jusqu’à présent, les personnes guéries de la maladie à virus Ebola était relativement peu nombreuses depuis les premières épidémies qui étaient survenues. Donc, on n’avait pas vraiment eu l’occasion de développer des recherches précises sur l’impact de la maladie. C’est donc ce type de recherches qui sont réalisées dans le cadre de "Post-EboGui". Donc, il y a une double finalité. La première est une finalité de type scientifique. On veut comprendre ce qu’il s’est passé pour ces personnes, quel est l’impact de la maladie, pourquoi ces personnes ont guéri, et à partir de là, traiter de manière plus efficace les autres personnes qui sont malades. L’autre finalité est la prise en charge des personnes. Donc, nous nous situons dans une perspective de recherches interventionnelles. C’est-à-dire qu’on ne fait pas simplement de la recherche, mais on contribue aussi à prendre en charge médicalement les personnes en fonction des plaintes qu’elles formulent. Et à travers ce suivi de cohorte, nous avons pu mettre en place un suivi médical qui offre des consultations médicales gratuites à des personnes qui sont guéries. A ce titre, on prend en charge l’ensemble des examens complémentaires, les prescriptions médicales, les éventuelles hospitalisations, ainsi qui que les frais de déplacement de ces personnes de chez elles jusqu’à l’hôpital.
 

Dans quels cas réalise-t-on de telles études post-épidémiques ?

 
La mise en place d’une cohorte de personnes guéries de la maladie à virus Ebola est une nouveauté par rapport à Ebola ; et des équipes anglaises ou américaines en font de même en Sierra Leone et au Libéria. D’autres suivis de cohorte sont mis en place pour les personnes qui ont subi la maladie Zika. Chaque fois qu’on est face à des épidémies avec des germes que l’on considère comme nouveaux, on mesure l’étendue de nos méconnaissances scientifiques et on éprouve le besoin d’évaluer l’impact de la maladie en observant, pendant de longues durées, un grand nombre de personnes. Les études de suivi de cohorte sont donc courantes. Notre équipe a de l’expérience dans ce domaine pour avoir mené le suivi de cohorte de personnes vivant avec le VIH et traitées par médicaments antirétroviraux aux Sénégal où nous avons suivi pendant une douzaine d’années les 400 premières personnes vivant avec le VIH et traitées par médicaments antirétroviraux. Donc, nous avons de l’expérience dans ces méthodes d’enquête
 

Dans quelle mesure l’existence de plusieurs souches de virus d’Ebola peut-elle entraver les recherches contre la maladie ?

 
Par rapport à Ebola, la question est moins liée aux souches qu’à l’apparition de la maladie dans un contexte écologique dans lequel elle ne s’était jamais produite. On était habitués à ce qu’il y ait des épidémies d’Ebola dans les pays d’Afrique centrale ; mais, il n’y avait jamais eu jusqu’à présent d’épidémie en Afrique de l’ouest. Et là, on a eu affaire à une épidémie fondamentalement différente, parce qu’elle est survenue dans un écosystème différent, parce que très rapidement elle s’est diffusée vers de grandes villes, ce qui n’avait jamais été observé jusqu’à présent.
 

Au regard de travaux comme les vôtres, l’humanité est-elle mieux préparée pour riposter à une autre épidémie qui viendrait à se déclarer ?

 
L’épidémie d’Ebola a appris beaucoup de choses à beaucoup de monde. De par son importance, c’était un phénomène nouveau qui a surpris et pour lequel il y a eu un grand 

“Face à des germes nouveaux, on mesure l’étendue de nos méconnaissances et on éprouve le besoin d’évaluer l’impact de la maladie en observant, sur de longues durées, un grand nombre de personnes”

nombre de réactions, de réponses nationales et internationales. Des réponses pour juguler l’épidémie elle-même avec la prise en charge des malades, puis organiser le système de santé pour permettre une meilleure réactivité en cas de réapparition d’une maladie Ebola ou d’autres pathologies. Il a été mis en place des réseaux de laboratoires dans différents pays d’Afrique de l’Ouest et du centre pour partager l’information entre les différentes équipes et les différents pays afin d’être plus réactifs en cas de survenue d’une nouvelle épidémie. Dès lors, on peut penser que l’on sera capable de mieux diagnostiquer une nouvelle épidémie d’Ebola. C’est ce qu’il s’est passé par exemple lorsqu’il y a eu une nouvelle flambée d’Ebola en RDC le mois dernier, où manifestement le dispositif d’alerte a répondu très rapidement et l’épidémie a été circonscrite en très peu de temps et en ayant fait très peu de victimes. Mais, c’est parce que maintenant, on sait ce que c’est qu’une épidémie d’Ebola. Autrement dit, on n’est pas à l’abri de la survenue de l’épidémie d’un autre germe dont on ne sait pas où elle va survenir, quels seront ses modes de transmission, et pour lequel il est possible que l’humanité ait de grandes difficultés à avoir une réponse efficace.