18/03/19

Des patients Ébola «comme des menaces biologiques»

Ebola Butembo
Des agents de santé ont transférant un patient dans un hôpital après qu'il eut été débarrassé du virus Ebola, dans un centre de traitement soutenu par MSF à Butembo, en République démocratique du Congo. Crédit image: MSF/John Wessels.

Lecture rapide

  • Selon MSF, les patients souffrant du virus Ébola en RDC sont traités comme des "menaces biologiques
  • L'organisation appelle à une redéfinition de la stratégie de lutte contre l'épidémie
  • Un expert exige l'implication des sciences sociales dans la gestion des crises communautaires

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La riposte à Ébola marque quelque peu le pas en République démocratique du Congo, en raison de l'insécurité qui prévaut dans l'est et de tensions au sein des communautés.

Médecins Sans Frontières (MSF), l'une des principales organisations impliquées dans la riposte, a suspendu ses activités dans deux centres (Katwa et à Butembo), ne maintenant qu'une présence à Kayna et Lubéru, dans le Nord-Kivu, ainsi que dans les villes de Bwanasura et Bunia, dans l'Ituri.

Au regard de la situation qui prévaut sur le terrain, Joanne Liu, la présidente internationale de MSF, a appelé à revoir les stratégies de lutte contre Ébola, lors d'un point de presse, début mars, à Genève.

“La gestion d'une crise de la nature de l'épidémie d'Ébola  « doit forcément comporter une composante sciences sociales, pour emporter l'adhésion nécessaire des populations.”

Bernard Taverne, médecin, anthropologue – Dakar

« La riposte à Ébola doit être centrée sur le patient et la communauté », a-t-elle notamment fait valoir, ajoutant que les patients doivent être traités comme tels, et non comme des « menaces biologiques. »

Emmanuel Massart, le coordonnateur des urgences de Médecins Sans Frontières à Katwa, estime, dans une interview avec SciDev.Net, que les patients Ébola sont traités « comme des gens dangereux » et c'est pourquoi, estime-t-il, MSF condamne « ce recours à la force, qui devient de plus en plus systématisé. »

Le recours à la force a pour conséquence que les patients se cachent et ont peur d'aller dans les centres de santé et c'est ce qu'on voit aujourd'hui, poursuit le responsable de MSF.

Lorsqu'un patient décède, par peur d'être contraint par la force de se rendre dans un centre de traitement, il est pris en charge par la communauté. Or, « le moment du décès d'un patient est celui où il est le plus contagieux ». Par conséquent, ne pas se rendre dans un centre de traitement revient à répandre l'épidémie au sein de la communauté, explique encore Emmanuel Massart.

A cette situation s'ajoutent, d'après MSF, les attaques répétées de groupes armés opérant dans la région. Fin février, des assaillants non identifiés ont ainsi attaqué le centre de traitement Ébola géré par MSF à Katwa. Selon l'organisation, ils ont incendié des parties de la structure et détruit des salles et du matériel.

Emmanuel Massart estime que l'attaque a été traumatisante pour les patients, leurs proches et le personnel présent à l’intérieur du centre. « Nous avons réussi à transférer les quatre patients confirmés et six patients suspects dans des centres de traitement à proximité, mais l'attaque a paralysé notre capacité à réagir dans cette localité, qui constitue maintenant l'épicentre de l'épidémie », poursuit-il.

Dans un communiqué rendu public le 7 mars, MSF écrit que bien qu'elle ne connaisse pas les motivations, ni l'identité des attaquants, ces incidents font suite à une escalade des tensions autour de la réponse au virus Ébola.

« Des dizaines d'incidents de sécurité se sont produits contre l'ensemble de la riposte au cours du seul mois de février. Bien que les causes de ces actes ne soient pas toutes identiques, il est clair que divers griefs politiques, sociaux et économiques se cristallisent de plus en plus autour de la réponse », poursuit le communiqué de MSF.

De leur côté, les autorités congolaises, contactées par SciDev.Net, nient tout recours à la force pour contraindre les populations de respecter les mesures sanitaires.

Oly Ilunga, le ministre congolais de la santé, a ainsi déclaré dans une interview à SciDev.Net : « Je conteste le point de vue des organisations internationales […] A aucun moment, nous ne recourons à la force pour imposer le respect des mesures sanitaires. »

L'épidémie survient dans des zones contrôlées par des groupes armés, explique encore le ministre. « Il s'agit de zones où il y a des opérations militaires. La question de la sécurisation de cette zone est une question qui est primordiale, mais qui n'est pas du ressort, ni de la compétence du ministère de la santé. »

Pour Oly Ilunga, vouloir sécuriser cette zone en conflit n'équivaut pas à une militarisation de la riposte. Et d'ajouter : « Les opérations à Béni n'avaient été possibles que parce que les forces armées congolaises, la Monusco et la police, avaient pu créer autour de Béni un périmètre de sécurité. »

Toutefois, les organisations internationales n'en démordent pas.

Emmanuel Massart insiste ainsi sur la nécessité d'associer la communauté aux opérations de riposte et l'impérieuse nécessité de ne pas l'aliéner, faute de quoi, les résultats des efforts de riposte pourraient s'en trouver affectés.

Pour sa part, Bernard Taverne, médecin, anthropologue et directeur du Centre Régional de Recherche et de Formation à la Prise en Charge du VIH/SIDA de l'hôpital de Fann, à Dakar, insiste sur la nécessité d'une plus grande implication des anthropologues dans le dialogue avec les communautés.

Fort d'une expérience acquise lors de la gestion de l'épidémie d'Ébola en Afrique de l'ouest, Bernard Taverne explique dans un entretien avec SciDev.Net que la gestion d'une crise de la nature de l'épidémie d'Ébola  « doit forcément comporter une composante sciences sociales, pour emporter l'adhésion nécessaire des populations. »