20/06/11

Petites centrales, gros dégâts : l’hydroélectrique fait débat

Allons-nous répéter l'impact nocif pour l'environnement des grands projets hydroélectriques ? Crédit image: Flickr/Todd Huffman

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Les ingénieurs environnementaux Tasneem Abbasi et S. A. Abbasi préviennent que le recours généralisé aux petites centrales hydroélectriques pourrait reproduire certains dégâts environnementaux déjà connus.

La conviction selon laquelle les ‘petites’ centrales hydroélectriques sont une source d’énergie propre provoquant peu ou pas de problèmes environnementaux motive l’intérêt croissant pour les mini, les micro et les pico centrales hydroélectriques, sources d’énergie de moins de 5 kilowatts à jusqu’à 10 mégawatts.

L’énergie hydroélectrique semble être la plus propre et la plus polyvalente des sources d’énergie renouvelables. Mais l’expérience montre que l’optimisme qu’il suscite pourrait être infondé.

Tirer les leçons des grandes centrales hydroélectriques

L’énergie hydroélectrique utilise l’eau et la gravité (une ressource inépuisable totalement exempte de carbone) pour actionner les turbines et produire de l’électricité.

Contrairement aux centrales à combustibles fossiles, les centrales hydroélectriques ne produisent pas de gaz ou d’émissions de cendres volantes (fines particules générées par la combustion du charbon). Et, contrairement aux centrales nucléaires, il n’y a pas de déchets radioactifs à gérer. Aucune autre ressource n’est en outre consommée, car l’eau n’est ni perdue ni polluée. Les réservoirs peuvent même également améliorer le paysage, attirant les pique-niqueurs et les touristes.

Le monde a pris note de ces vertus dès les années 1950, et l’énergie hydroélectrique est vite devenue populaire. Les pays en développement dont le Brésil, la Chine, l’Inde, la Malaisie, la Thaïlande et la Turquie ont construit des barrages de plus en plus grands, produisant de quelques centaines de mégawatts à plus de 10 gigawatts.

Le Barrage d’Assouan en Haute Egypte est devenu un symbole emblématique de ces projets — et de leurs impacts environnementaux.

Des projets comme ceux-ci ont radicalement modifié les écosystèmes fluviaux, fragmentant souvent les canaux d’écoulement et changeant les débits fluviaux. Il faut des centaines d’années pour qu’un lac naturel passe du stade d’oligotrophe (pauvre en éléments nutritifs) à celui d’eutrophe (riche en éléments nutritifs). Mais les réservoirs fabriqués par l’homme ont subi cette transition en quelques années à peine, dégradant la qualité de l’eau, nuisant à la pêche, favorisant l’envasement et l’invasion par les mauvaises herbes, et créant des environnements adaptés pour les moustiques et d’autres vecteurs de maladies.

Et là où les réservoirs ont provoqué le déplacement de populations ou ont subitement changé la disponibilité des ressources ou la capacité agricole, ils ont apporté d’importants problèmes socio-économiques.

C’est au cours du milieu des années 1970, soit quelque 20 ans après qu’un certain nombre de grands projets hydroélectriques furent entrés en service, que les rapports sur leurs impacts environnementaux négatifs ont commencé à paraître.

A la fin des années 1970, l’attitude très optimiste, presque révérencieuse envers les projets hydroélectriques qui avait prévalu au début des années 1950 apparaissait comme clairement déplacée. Ces projets ont endommagé l’environnement aussi gravement que l’ont fait les projets de centrales alimentées aux combustibles fossiles.

L’erreur a été de ne voir que les vertus des projets, sans se préparer à d’éventuels problèmes, dont certains ne sont apparus qu’une fois qu’un grand nombre de ces projets furent entrés en service à différents endroits.

La grande question est donc celle-ci : sommes-nous sur le point de répéter la même erreur avec les ‘petites’ centrales hydroélectriques ?

L’absence de preuves

Le monde entier semble croire que la petite centrale hydroélectrique remplace sans risque la grande. Certains affirment qu’elle est sans impact nocif, d’autres reconnaissent qu’elle comporte certains problèmes similaires à ceux associés aux grandes centrales hydroélectriques, mais les jugent trop petits pour être source de préoccupation.

Dans un rapport sur les incidences environnementales des sources d’énergie renouvelables, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) note que "les petites centrales hydro-électriques ont tendance à avoir un impact relativement modeste et localisé sur l’environnement. Cet impact résulte principalement des activités de construction et des changements dans la qualité de l’eau et son écoulement sur les écosystèmes (écosystèmes aquatiques et la pêche) et sur l’utilisation de l’eau".

Après cette première phrase rassurante, l’AIE poursuit en énumérant un certain nombre d’impacts environnementaux, concluant que "les impacts des projets hydroélectriques à petite échelle sont susceptibles d’être petits et localisés, à condition que les meilleures pratiques soient utilisées et qu’il y ait une planification efficace du site".

Pourtant, aucune preuve n’est fournie pour étayer la conclusion selon laquelle les impacts seront "faibles et localisés".[1]

Des problèmes cumulatifs

Jusqu’à présent, le monde n’a pas connu de problèmes majeurs attribués aux ‘petites’ centrales hydroélectriques, simplement parce qu’elles n’ont été utilisées qu’en très petite quantité.

Une turbine installée ici ou là peut ne pas affecter sensiblement un fleuve, mais si nous venions à utiliser cette technologie abondamment en plaçant des turbines sur la moitié des chutes d’eau d’un fleuve, et en construisant de petits barrages sur la plupart de ses affluents ou des courants d’alimentation, la dégradation de l’environnement — par kilowatt d’énergie produit — serait probablement beaucoup plus importante que celle causée par les grandes centrales hydroélectriques.

Les facteurs qui nuisent à l’habitat fluvial présent dans les grands projets hydroélectriques se retrpuvent également dans les petits projets : le débit d’eau est interrompu, le  déplacement des animaux obstrué, l’eau perdue par évaporation et la biodiversité de la partie sacrifiée du fleuve menacée. Ce ne sont que quelques exemples.

Avec de plus petits barrages, le stockage devient un problème plus important qui peut exiger la construction de plus de systèmes à faible teneur de charge (des têtes hydrauliques qui ont besoin d’une chute d’eau de moins de 5 mètres) que prévu. L’envasement des réservoirs ou leur surcharge en nutriments sont des problèmes courants avec les gros réservoirs dont la gravité pourrait se reproduire lorsque des masses d’eau plus petites et beaucoup moins profondes sont créées — moins une masse d’eau est profonde, plus grand est le risque qu’elle ne devienne eutrophe.

De même, la production de méthane se produit surtout là où l’eau et les sédiments se rencontrent, et cela signifie qu’une masse d’eau moins profonde par unité de surface est susceptible de libérer plus de méthane qu’une masse d’eau plus profonde. Les réservoirs peu profonds ne sont pas sans rappeler les rizières qui sont connus pour contribuer de manière substantielle aux émissions de méthane, un gaz à effet de serre 25 fois plus puissant que le dioxyde de carbone.

Les perturbations résultant de la construction de routes et de lignes électriques sont certes moindres, en termes absolus, pour les petites centrales hydroélectriques que pour les grands projets – mais sur la base de la perturbation par kilowatt d’énergie produit, l’impact peut être au moins aussi grave, sinon plus grave.

En utilisant couramment les petites centrales hydroélectriques, nous pourrions nous acheminer vers une répétition des conséquences dommageables pour l’environnement dues aux grands projets hydroélectriques. Les pays qui envisagent cette technologie devraient investir dans la recherche sur les problèmes potentiels, et procéder avec prudence.

Tasneem Abbasi est professeur adjoint et S.A. Abbasi chef du Centre de lutte contre la pollution et de génie de l’environnement, Université de Pondichéry, en Inde. De plus amples informations sur leurs travaux sont disponible à : www.prof-abbasi.com.