19/06/13

Les données sur les réseaux mobiles, un trésor caché pour le développement

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Crédit image: Sven Torfinn/Panos

Lecture rapide

  • Les données des téléphones mobiles peuvent être utilisées pour prévoir les épidémies et évaluer la croissance économique
  • L’utilisation de techniques avancées n’est pas indispensable
  • Mais l’usage philanthropique des données est essentiel pour une analyse réussie

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Chacun d'entre nous génère des flux d'informations numériques – une sorte de « pot d’échappement numérique » fournissant des informations en temps réel susceptibles d’aider à prendre des décisions affectant nos vies.

Par exemple, Google nous informe sur l’état de la circulation en utilisant simultanément la fonctionnalité « My location », disponible sur les téléphones portables, et des informations recueillies auprès d’organismes tiers, pour traiter des données sur la localisation.

BBVA, l’une des plus grandes banques espagnoles, analyse des transactions telles que les paiements par carte bancaire et les retraits d’espèces dans les distributeurs automatiques de billets, pour savoir quand et où s’opèrent les plus grandes dépenses de consommation.

Ce type de collecte de données est d’une grande valeur. Mais, souvent, il y a tellement de données que les propriétaires n’ont pas le savoir-faire requis pour les traiter et ont du mal à réaliser leur valeur potentielle pour les décideurs.

Pendant ce temps, de nombreux pays, en particulier dans le monde en développement, souffrent d’un manque criard d'information. Dans les pays pauvres, le secteur public vit souvent dans un monde analogique où des piles de papier constituent un obstacle à la bonne conduite des opérations et le travail des décideurs politiques est entravé par l'incertitude au sujet de leurs propres forces et capacités.

Toutefois, les téléphones portables ont rapidement envahi nos vies, même celle des plus pauvres: 75 pour cent des 5,5 milliards d'utilisateurs de téléphones portables dans le monde se trouvent dans les marchés émergents.

Ces personnes laissent aussi des traces numériques de toutes leurs activités, de leurs mouvements aux opérations de recharge de cartes téléphoniques.

A première vue, mettre ces informations à contribution et les utiliser dans un contexte de prise de décision peut sembler relever de la gageure, au regard de la capacité analytique que cela requiert.

Mais en utilisant des méthodes relativement simples, les chercheurs peuvent analyser les données de téléphonie mobile existantes, en particulier dans les pays pauvres, pour améliorer les processus décisionnels.

Données à portée de main

Imaginez les données existantes et disponibles sous forme de fruits mûrs que nous – deux étudiants diplômés – pourrions analyser en moins d'un mois. Ce n'est pas un test de prouesse en statistique, mais une façon de dire que n’importe qui peut le faire.

Il y a trois domaines qui devraient être considérés comme des «fruits mûrs», en fonction de leur capacité d'améliorer considérablement la prise de décision dans les pays pauvres en ressources informationnelles: la combinaison des statistiques relatives à la santé et des données recueillies à partir des téléphones portables, pour prédire les foyers d’épidémie ; l’utilisation des transactions financières par téléphone portable, de même que les opérations de recharge des portables, pour évaluer la croissance économique ; enfin, la prédiction des schémas de voyage au lendemain d’une catastrophe naturelle, en utilisant des données sur les modèles historiques de déplacement des populations, à partir des téléphones portables, pour concevoir des programmes d’intervention robustes.

Une autre possibilité consiste à utiliser les enregistrements de données d'appel pour analyser les mouvements en milieu urbain, afin de déterminer les points de congestion de la circulation. Au niveau national, cette technique peut être utilisée pour dresser une liste des priorités en matière de projets d’infrastructures, tels que les expansions de route et la construction de ponts.

Les données que ces analyses pourraient fournir n’auraient pas comme seule vocation de livrer des informations ou d’augmenter le profit ; elles pourraient aussi sauver des vies humaines.

Mais un travail de grande valeur sociale est en cours. Par exemple, différentes équipes de chercheurs européens et américains tentent d'évaluer les liens entre l'utilisation du téléphone portable et le développement économique régional.

Elles utilisent différentes techniques, telles que la fusion de l'imagerie satellitaire nocturne de la NASA avec des données de téléphones mobiles pour créer marqueurs en matière de comportement. Les chercheurs ont constaté que cela peut être un moyen efficace pour comprendre l'activité économique d'un pays et, potentiellement, orienter les dépenses publiques.

Un autre exemple est donné par des chercheurs (y compris l'un des auteurs de cet article) qui ont analysé les enregistrements de données d'appel des abonnés au Kenya pour comprendre la transmission du paludisme dans le pays et concevoir de meilleures stratégies en vue de son éradication. [1]

Dans cette étude publiée dans la revue Science, les données de localisation des téléphones portables de plus de 14 millions d'abonnés kenyans ont été combinées avec des données recueillies au plan national sur la prévalence du paludisme.

Les analyses recueillies après avoir identifié les sources et les foyers de parasites du paludisme et les avoir comparé aux mouvements de téléphones, ont permis d’identifier les corridors de transmission probables. Des chercheurs britanniques ont utilisé des méthodes similaires pour créer différents scénarios d’épidémie pour la Côte d'Ivoire.

Usage philanthropique des données

Bien que ces projets ne requièrent pas des techniques de pointe, ils nécessitent beaucoup de données à l’effet de collecter des résultats complets, d’une clarté impeccable dans le temps et dans l’espace, sur de grandes zones géographiques.

Les données relatives aux appels téléphoniques sont pour la plupart la propriété d’opérateurs de téléphonie mobile – par conséquent, les opérateurs doivent être ouverts à l’idée de partager ces données avec les chercheurs ou de les leur offrir à des fins de recherche.

Ceci requiert un nouveau mouvement que l’initiative « Global Pulse » des Nations unies qualifie de d’ «usage philanthropique des données.»

Diverses entreprises participent déjà à cette initiative.

Suite au tremblement de terre de 2010 en Haïti et à l’épidémie de choléra qui s’ensuivit, la compagnie de télécommunications, Digicel Haiti, avait mis des données relatives aux appels à la disposition des chercheurs, pour leur permettre de suivre les mouvements des populations, entre l’épicentre de l’épidémie de choléra et la capitale, Port-au-Prince. [2]

Dans le cadre de son projet Data 4 Development (Données pour le développement), la compagnie de téléphonie mobile Orange a publié des données anonymes relatives aux appels, recueillies auprès de sa filiale ivoirienne. Cette initiative visait à permettre à des équipes de chercheurs d’évaluer leur portée sociale. [3]

L’initiative ne s’est pas limitée au partage des données. Orange a aussi lancé un appel pour des propositions de sujets de recherche et ce qui pouvait être fait de ces données, suscitant des questions et des réponses auprès du public.

Il pourrait s’agir d’un nouveau modèle : ceux qui ont eu accès aux données devraient les mettre à la disposition de communautés en ligne spécialisées dans l’analyse de données, telles que kaggle.com, pour susciter des réponses à des questions d’intérêt, pas seulement pour les opérateurs de téléphonie mobile, mais aussi pour les décideurs politiques et les agences de développement.

Il est important de reconnaître que la communauté scientifique n'a pas encore abordé pleinement les questions de confidentialité et de méthodes de traitement des données anonymisées. Les accords sont nécessaires entre les chercheurs et les entreprises afin de s'assurer que les données fournies sont sans identificateurs personnels – en particulier à la lumière des fuites de renseignement récentes à la National Security Agency.

Néanmoins, en termes clairs, il y a de bonnes raisons de militer pour un partage des données entre les secteurs public et privé, susceptible de permettre de glaner des idées sur le comportement humain en vue de la mise en place de politiques publiques.

Si les spécialistes de données qui peuvent effectuer des analyses, les gouvernements qui en bénéficient et les opérateurs de réseaux mobiles qui possèdent les données peuvent s’unir, il y a beaucoup à gagner à l'accès aux sources de données existantes de téléphonie mobile.

Paul van der Boor et Amy Wesolowski sont doctorants au département d'ingénierie et de politique publique à l'Université Carnegie Mellon, aux États-Unis. Paul étudie l'évolution de l'argent mobile dans les marchés émergents et est également entrepreneur social, cofondateur d’e-Luma (www.e-luma.org). Amy a travaillé sur l'analyse de l'impact de la mobilité sur la transmission du paludisme au Kenya.

Références

[1] Science doi: 10.1126/science.1223467 (2012)
[2] PLOS Medicine doi: 10.1371/journal.pmed.1001083 (2011)
[3] Orange D4D Challenge (D4D Challenge, retrieved 12 June 2013)

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