Envoyer à un ami

Les coordonnées que vous indiquez sur cette page ne seront pas utilisées pour vous envoyer des emails non- sollicités et ne seront pas vendues à un tiers. Voir politique de confidentialité.

Linda Nordling estime que l'Afrique est à la traîne des autres régions en développement dans le domaine de la collaboration locale et dans le renforcement de ses propres compétences scientifiques.

La collaboration était une activité chronophage pour les pionniers de la découverte scientifique. Il fallait des mois aux naturalistes du XIXème siècle pour recevoir des réponses à leurs correspondances.

De nos jours, ces missives sont envoyées d'un simple clic de souris. Les mois d'attente se sont réduits à quelques secondes et les liaisons vidéo ont facilité l'interaction en temps réel.

Il n'est donc pas surprenant que la 'distance moyenne de collaboration' entre des scientifiques qui travaillent ensemble sur des projets ait augmenté de façon exponentielle au cours des trente dernières années, passant de 334 kilomètres en 1980 à plus de 1500 kilomètres en 2009, selon des données publiées l'an dernier par des chercheurs de l'Université de Leiden aux Pays-Bas et de l'Université de Stellenbosch en Afrique du Sud. [1]

Mais ces tendances mondiales masquent une situation régionale plus intrigante. Pour les pays développés, la hausse de cette mesure plutôt peu orthodoxe est le reflet d'un domaine de plus en plus mondialisé dans lequel évoluent leurs scientifiques. Pour l'Afrique, ce n'est pas aussi simple.

Fonder des liens nouveaux

Traditionnellement, les activités scientifiques de nombreuses parties du monde en développement ont toujours eu des liens solides avec des pôles scientifiques situés à distance, en Europe et en Amérique du Nord. Dans des cas extrêmes, elles ont été dirigées depuis là-bas.

Pour ces pays, dont beaucoup ont vu leur production scientifique augmenter au cours des dernières années, une baisse de la distance moyenne de collaboration pourrait traduire un renforcement des capacités scientifiques. C'est un signe que la construction des résaux internes rattrape, voire dépasse, la construction de réseaux de longue distance.

Les données publiées par les chercheurs de Leiden et de Stellenbosch corroborent cette hypothèse. La distance moyenne de collaboration entre les scientifiques en France, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis a enregistré une hausse respective de 4,9 pour cent, 6,7 pour cent et 4,7 pour cent entre 2000 et 2009, ce qui traduit une tendance à collaborer avec des collègues plus éloignés.  

Toutefois, pour les économies émergentes dont la production scientifique a explosé, la hausse des distances de collaboration est modeste, voire négative. La Chine a enregistré une hausse annuelle de 1,1 pour cent entre 2000 et 2009, et la Corée du Sud, une hausse de 1,7 pour cent. Au Brésil et en Malaisie, cependant, la distance moyenne de collaboration a chuté respectivement de 2,7 et de 2,2 pour cent chaque année.

Lee fait que les distances de collaboration soient modestes ou en baisse dans les puissances scientifiques émergentes signifient que ces pays, et les régions environnantes, sont en mesure de constituer leur base scientifique locale sans impliquer les experts occidentaux.

Sauf en Afrique

Malheureusement, ces signes sont difficilement perceptibles en Afrique.

Les données partagées avec SciDev.Net montrent que sur les huit pays africains dont la production scientifique augmente rapidement et qui ont été étudiés par les chercheurs, le Ghana est le seul à enregistrer une faible croissance des distances de collaboration (1,8 pour cent par an) à l'instar des économies émergentes d'Asie et d'Amérique latine.

Dans le reste des pays de l'enquête, soit un ensemble hétérogène comprenant le Cameroun, l'Egypte, l'Ethiopie, l'Afrique du Sud et l'Ouganda, les taux de croissance annuelle s'étalent entre 3,2 pour cent (Egypte) et 5,5 pour cent (Ouganda).

Les chercheurs ont omis d'inclure plusieurs pays africains dans cette étude parce que leur production scientifique a été jugée trop insignifiante pour être statistiquement pertinente.

Ces données concordent avec d'autres rapports montrant que les scientifiques africains collaborent davantage avec des confrères de l'étranger qu'entre eux. En 2010, Thomsom Reuters [2] a cité le Royaume-Uni et les Etats-Unis comme étant les deux principaux pays collaborant avec six pays africains, notamment le Kenya, le Nigéria et l'Afrique du Sud.

Le fait le plus révélateur est que parmi ces six pays africains étudiés dans le rapport, aucun ne figure au nombre des cinq premiers partenaires de l'autre.

Le tableau complet

Mais ces données ne dépeignent pas un tableau complet. Il est vrai qu'elles traduisent le fait que les partenaires non africains dominent encore le paysage scientifique du continent, mais les chercheurs africains collaborent de plus en plus entre eux.

En effet, la collaboration sur le continent s'est développée. Elle implique encore, toutefois, un ou plusieurs partenaires non africains, ce qui engendre une distance moyenne de collaboration trop grande.

Par exemple, les collaborations de l'Université de Stellenbosch sur le continent africain ont été multipliées au minimum par trois au cours des cinq dernières années, si l'on en croit Christoff Paw, responsable des réseaux académiques internationaux au sein de cette université.

Ces liens sont encore éclipsés par des opportunités de collaboration interne, peut-être meilleures ici que dans d'autres pays d'Afrique sub-saharienne, et par des liens de longue distance solidement ancrés.

Guérir un mal africain

Pour une université sud-africaine, ces liens ne signifient pas une influence extérieure excessive. Mais pour les universités de pays aux ressources insuffisantes, les longues distances de collaboration sont le signe de l'un des principaux maux qui freinent ledéveloppement scientifique : la dépendance à l'égard du financement extérieur.

Le financement extérieur a été le moteur du développement récent des résaux sur le continent africain, à l'instar de 'l'Appel africain' lancé par le programme cadre de l'Union européenne, qui finance les collaborations entre chercheurs africains et européens. Quand il existe des subventions scientifiques financées par le pays, elles n'encouragent pas la collaboration.

« Tant que cette situation ne changera pas, l'opportunité de réduire la distance de collaboration par la coédition, de renforcer la mise en réseau de la recherche et de créer une culture de relations plus étroites dans ce domaine restera difficile », affirme Mammo Muchie, chercheur en développement international d'origine éthiopienne et installé en Afrique du Sud.

Des mesures allant dans le bon sens sont prises. Le Sénégal et la Tanzanie œuvrent à la création d'organes nationaux pour une distribution plus efficace des subventions et, si elles y parviennent, à la promotion des efforts de collaboration à l'intérieur des pays africains et entre eux.

Les partenariats de longue distance ont leur place, mais une baisse de la distance moyenne de collaboration serait un signe bienvenu de ce que la science africaine commence à s'affirmer.

La journaliste Linda Nordling, spécialiste de la politique africaine pour la science, l'éducation et le développement travaille au Cap, en Afrique du Sud. Rédactrice en chef de Research Africa, elle collabore au Réseau Sciences et Développement (SciDev.Net) et collabore à des journaux comme Nature, etc.

Références

[1] Waltman L, Tijssen RJW, Jan van Eck N, Globalisation of science in kilometres [899kB]. Journal of Informetrics 5, 574–582 (2011)
[2] Adams J, King C, Hook D. Global Research Report Africa [2.26MB] (Thomson Reuters, 2010)