11/01/12

Sortir de l’aide pour fixer le programme de la santé mondiale

IJsselmuiden: 'Regardons les potentialités des pays et non leurs difficultés' Crédit image: COHRED

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Une conférence internationale veut redéfinir les relations entre les donateurs et les bénéficiaires pour obtenir des résultats plus durables en matière de santé. Une analyse de Beverly Petersen.

Cette année, une conférence internationale dont la notoriété n’est plus à faire en matière de recherche en santé débattera d’un nouveau thème provocateur.

Le Forum 2012, qui succède aux conférences organisées par le défunt Forum mondial pour la recherche en santé, est baptisé ‘Au-delà de l’aide’. L’enjeu central ne portera plus sur l’utilisation des fonds émanant des donateurs et bailleurs de fonds traditionnels de la recherche en santé basés d’Europe et d’Amérique du Nord pour améliorer les chiffres de la morbidité et de la mortalité dans le monde.

Au contraire, cette conférence, qui aura lieu au Cap, en Afrique du Sud (du 24 au 26 avril), travaillera sur un nouveau modèle de financement  les pays en développement définiront eux-memes leurs contrats et noueront leurs propres partenariats en utilisant leurs ressources propres, et auront pour interlocuteurs des donateurs qui pourront soutenir ce modèle au lieu de se contenter de fournir l’aide au développement.

«Le Forum 2012 sera la première stratégie par laquelle nous tenterons d’intégrer l’efficacité globale et le renforcement des capacités nationales pour nous appuyer sur ce que les pays peuvent faire, au lieu d’insister sur leurs difficultés », explique Carel IJsselmuiden, Directeur du Conseil de la recherche en santé pour le développement (COHRED) dont le Forum mondial fait désormais partie.

Le COHRED plaide pour la recherche et développement (R&D) en santé dans les pays les plus pauvres du monde. IJsselmuiden estime cependant que cet objectif peut être mieux atteint si on met davantage l’accent sur les ressources humaines, les infrastructures et moins sur les statistiques et les maladies.

La fusion suscite une nouvelle approche

Il y a quelques années le COHRED a lui-même emprunté cette voie  et sa fusion  avec le Forum mondial pour la recherche en santé,  qui a implosé en 2010, donne désormais une nouvelle voix à la conférence annuelle du Forum mondial.

Les difficultés du Forum mondial se sont révélées au grand jour à la fin de l’année 2010. Selon IJsselmuiden, un certain de ces problèmes – financement et gouvernance des conseils d’administration – sont communs à plusieurs organisations non gouvernementales. .

Lors de la conférence de 2009 du Forum mondial à Cuba, son Directeur exécutif Stephen Smith avait présenté à l’assistance Anthony Mbewu, son successeur et ancien président du Conseil sud-africain de la recherche médicale. Mais moins d’un an après son arrivée à ce poste, Mbewu a démissionné sans explications et plusieurs membres du personnel de l’Organisation ont démissionné, été limogés ou sont partis en retraite anticipée.

Pour IJsselmuiden, c’est la démission de Mbewu qui a ouvert la voie a la fusion avec le COHRED cette année. « La vacance du poste de Directeur général est toujours une bonne occasion pour discuter d’une fusion ou d’un renforcement de partenariat. L’Organisation jouit alors d’une flexibilité qui n’aurait pas été possible avec un Directeur général en poste ».

Les problèmes de financement du Forum mondial expliqueraient pourquoi la nouvelle organisation née de cette fusion encourage à présent les pays à regarder ‘au-delà de l’aide’, mais IJsselmuiden affirme que ses motivations sont plus profondes.

« Depuis longtemps, le COHRED lui-même travaillait déjà sur l’hypothèse que le développement avait plus besoin du financement local qu’international », précise-t-il.

De nouvelles alternatives à l’aide

Cette stratégie de ‘dépassement de l’aide’ ne doit pas être perçue comme courageuse ou par trop optimiste, explique IJsselmuiden, qui avant son arrivée à la tête du COHRED en 2004 était Directeur de l’Ecole des systèmes de santé et de santé publique de l’Université de Pretoria.

Une seringue

Les vaccins utlisés en Afrique sont pour la plupart produits hors du continent

Andres Rudea/Flickr

« Nous vivons dans un monde nouveau, un monde où le financement du développement n’est plus assuré uniquement par l’aide ou des donateurs », explique-t-il. « Nous recherchons des alternatives à l’aide comme moteur principal du développement »

« Cela pourrait paraître étrange si vous êtes de ceux qui continuent à penser que le développement dépend de l’aide européenne ou américaine, mais il en serait autrement si vous réfléchissiez à ce qui passe actuellement dans les pays à revenus faibles ou intermédiaires et ce qu’on peut raisonnablement faire avec les ressources disponibles ».

Il estime que nous devons partir de l’hypothèse que ce sont les pays à revenus faibles et intermédiaires, leurs relations mutuelles et leurs produits intérieurs bruts (PIB), qui sont en hausse, qui seront le moteur du développement. Ce point de vue rappelle celui exprimé par Bill Gates dans son discours au G20 l’an dernier (3 novembre), et selon IJsselmuiden on en retrouve également des échos chez Robert Zoellick, président de la Banque mondiale, dans une allocution qu’il a prononcé l’an dernier (29 septembre) et où il a lancé un appel pour une approche ‘au-delà de l’aide’.

Les performances économiques du Brésil, de la Chine et de l’Inde ont considérablement renforcé la sérénité de ces pays, poursuit-il, et ils ont de meilleurs résultats économiques que les économies avancées dans le domaine du renforcement des capacités d’innovation technologique.

L’Afrique entre dans une phase de croissance

La construction d’unités de production de vaccins en Afrique témoigne des investissements consentis par les pays développement pour le renforcement de leurs capacités. IJsselmuiden dit qu’en 2010, à l’occasion de la célébration du dixième anniversaire du GAVI, l’alliance pour les vaccins, il a été consterné de constater que l’Afrique ne disposait que d’un seul laboratoire agréé par l’OMS (l’Institut Pasteur de Dakar au Sénégal) produisant un vaccin contre la fièvre jaune. Mais il se dit optimiste parce que ce fossé est en train de se combler rapidement, avec la construction d’une unité biotechnologique de production des vaccins près du Cap, en Afrique du Sud.

« Pour moi, en tant qu’africain et être humain, il serait inconcevable que dans dix ans, l’Afrique soit toujours entièrement dépendante du reste du monde en matière de vaccins », dit-il.

Il fait une comparaison avec la Chine. « Si les Chinois le font, nous pouvons aussi le faire, à condition que l’Afrique commence à se voir comme un continent d’un milliard de consommateurs plutôt qu’un groupe de 54 pays empêtrés dans des problèmes, ce qui serait le point de vue typique des partisans de l’aide.

« Depuis quelques années, l’Afrique enregistre un taux de croissance considérable, avec six à huit pour cent au cours des six dernières années, et n’a pas été exposée à la crise immobilière qui a frappé les Etats-Unis ou à la crise financière qui sévit en Europe. Les chiffres actuels du chômage en Afrique sont les meilleurs depuis plusieurs années.

« Les capacités technologiques et scientifiques de l’Afrique s’améliorent rapidement, ainsi que l’engagement politique ».

Comme exemple, il cite la Tanzanie, l’un des pays les plus pauvres d’Afrique et chouchou des donateurs. « Le Président s’est maintenant engagé et consacre réellement un pour cent du PIB à la science et au développement technologique ».

Dans le même temps, la fibre optique est installée partout en Afrique, où l’opération est pratiquement terminée dans six pays. Le continent pourrait ainsi être branché au réseau dans un an ou deux.

La fibre optique

La fibre optique améliore considérablemennt l’accès à Internet en Afrique

Seeweb/Flickr

Quelques mises au point

Selon IJsselmuiden, au cours des cinq prochaines années, le contenu des conférences comme le Forum 2012 vont changer. Au lieu de suivre les exposés scientifiques classiques, les participants débattront des voies d’accès au capital et des idées novatrices pour promouvoir la R&D.

Il ajoute que la crise financière actuelle est une excellente opportunité pour repenser la façon dont les ONG comme le COHRED se fixent des objectifs et les atteignent. Mais, il reconnaît que la stratégie de mise en œuvre du financement dans ce nouveau monde reste floue.

Il propose des partenariats « improbables » entre les acteurs clés pour concilier les intérêts des chercheurs, des gouvernements, du secteur privé, des entrepreneurs sociaux, des médias et des donateurs. Beaucoup peut être fait au plan local, même s’il est vrai qu’aucune étude, aucune science et aucun produit ne peut être à 100 pour cent local.

A travers la poursuite de ces idéaux, le COHRED veut se métamorphoser en une entreprise sociale, s’éloignant ainsi du modèle consistant à ne recourir qu’au financement des donateurs. Le déroulement concret de cette transition fera l’objet des débats à la conférence du Cap.

De plus, il souhaite qu’à l’avenir la majeure partie de son personnel soit basée dans les pays à revenus faibles et intermédiaires, pour que ces pays aient le sentiment de s’être appropriés le programme.

Ainsi, l’effondrement virtuel du Forum mondial pour la recherche en santé, et sa fusion avec le COHRED ne serait pas simplement l’histoire d’une ONG dans une mauvaise passe. Ce serait aussi symboliquement la fin d’un système démodé arrivé à sa fin et le début d’une approche plus adaptée au nouvel ordre mondial.