09/08/13

Transformons les échecs en réussite

Tanzania_failure_to_success_Panos (FILEminimizer)
Crédit image: Mikkel Ostergaard / Panos

Lecture rapide

  • Bien que répandu, l’échec est stigmatisé par les donateurs et les ONG
  • Reconnaître les mauvais résultats renforcerait l’efficacité et l’innovation
  • Être personnellement associé à un constat public d’échec peut être une expérience positive

Envoyer à un ami

Les coordonnées que vous indiquez sur cette page ne seront pas utilisées pour vous envoyer des emails non- sollicités et ne seront pas vendues à un tiers. Voir politique de confidentialité.

Selon Ben Taylor, les initiatives de développement ratées offrent de précieux enseignements – à condition que nous reconnaissions nos échecs.

Récemment, j’ai été associé à un aveu public d’échec. Un programme innovant de développement que je pilotais n’a pas atteint les objectifs qui lui étaient fixés; par conséquent, nous y avons mis un terme.

Nous sommes allés plus loin, en faisant publiquement le constat que le programme a échoué et en nous efforçant de partager le plus largement possible les enseignements tirés.

Reconnaître que l’on a échoué peut être pénible, mais il joue un rôle très précieux dans le processus d’apprentissage et d’amélioration. Nous devons nous montrer plus honnêtes – et promouvoir l’honnêteté.

L’histoire de Maji Matone

Note idée était simple : donner aux personnes vivant en milieu rural en Tanzanie le moyen d’utiliser leurs téléphones mobiles pour signaler les points d’eau en panne – notamment les pompes manuelles, les puits et les bornes fontaines – et collaborer avec les médias pour faire pression sur le gouvernement afin qu’il résolve ces problèmes.

Cette initiative, baptisée Maji Matone, était gérée par Daraja, une petite ONG tanzanienne, en partenariat avec Twaweza, une initiative indépendante dont l’action est axée sur le changement à grande échelle en Afrique de l’Est. Un appui financier supplémentaire nous a été octroyé par le Ministère britannique du développement international (DFID).

Ce projet répondait à un besoin impérieux : près de la moitié des points d’eau dans les zones rurales en Tanzanie ne fonctionnaient pas à cette période, et même de petites pannes pouvaient ne pas être réparées pendant des mois, voire des années. [1]

Notre projet a suscité beaucoup d’intérêt. Notre approche était la bonne : participation des citoyens, transparence, technologie, innovation, responsabilité et utilisation des téléphones mobiles.

J’ai été invité à plusieurs conférences à travers le monde pour parler du projet et nous avons bénéficié d’une forte médiatisation avant même son lancement. [2]

Malheureusement, les résultats n’ont pas été à la hauteur des promesses. Au lieu des 3.000 SMS que nous attendions dans la phase pilote, nous en avons reçu seulement 53, en dépit des gros efforts consacrés à la promotion de ce service.

Pourquoi avons-nous échoué ? J’ai traité la question de long en large sur mes blogs [3], je ne vais pas le refaire ici. Je me propose plutôt d’expliquer ce qui s’est passé lorsque nous avons publiquement fait le constat de notre échec.

Nous avons consulté le personnel, les partenaires et notre conseil d’administration au sujet de la décision de constater publiquement l’échec de Maji Matone. L’idée n’a pas enchanté tout le monde : le personnel était préoccupé par la sécurité des emplois, et notre conseil se faisait du souci quant à la réputation de notre organisation.

Mais, nous avons bénéficié de précieux appuis, y compris, et c’est essentiel, de la part de nos principaux partenaires financiers, de Twaweza et du DFID, pour reconnaître publiquement notre échec, en tirer les enseignements et les partager le plus largement possible.

Nous avons décidé de faire connaître cette histoire. J’ai écrit une série de billets de blog.

Nous avons commencé à accepter des invitations à des conférences qui jusque-là étaient déclinées. Nous avons une fois de plus été le sujet d’un article publié dans le quotidien britannique The Guardian.[4]

Ce fut un article très lu. Quelques réactions négatives ont été enregistrées dans lesquelles les gens relevaient des choses qui selon eux auraient dû être évidentes dès le début (c’est vrai qu’a posteriori, tout paraît évident).

Mais la grande majorité des réactions ont été positives : j’ai entendu plusieurs déclinaisons de l’expression « honnêteté d’une rare franchise ». Nous avons eu des surprises, du respect et de la reconnaissance.

Freins à l’honnêteté

Le nombre de lecteurs surpris et ayant soutenu notre démarche est édifiant. C’est la preuve que notre ouverture d’esprit à propos de l’échec est rare. Alors qu’échouer c’est fréquent.

Reconnaître que l’on a échoué peut être pénible, mais cela joue un rôle précieux dans le processus d’apprentissage et d’amélioration. Nous devons nous montrer plus honnêtes – et promouvoir l’honnêteté

Ben Taylor, directeur de Daraja

Il existe de puissants freins à l’honnêteté en matière de développement. Les donateurs n’aiment pas être associés à une initiative ratée, surtout en ce moment où les résultats priment sur tout.

Les équipes chargées de la communication et de la collecte de fonds dans les ONG peuvent être encore plus farouchement opposées à l’idée de reconnaître sincèrement l’échec.

Et reconnaître que l’on a échoué est souvent sanctionné – par exemple, par des pertes de financement ou des possibilités de carrière.

Mais c’est un peu comme si on tirait sur le messager : punir les reconnaissances d’échec n’empêche pas que d’autres échecs se produisent, cela a simplement pour effet d’empêcher que l’on en tire les enseignements.

Les leçons ne sont pas dégagées et des programmes inefficaces se poursuivent au petit bonheur la chance. Par contre, le monde des affaires sait gérer l’échec.

Un produit nouveau qui n’est acheté par personne est très vite abandonné par les dirigeants d’une entreprise – c’est le bon sens qui l’impose. En matière de développement, nous n’avons pas des critères aussi simples, par conséquent les échecs sont dissimulés et ne sont pas du tout reconnus.

Sanctionner l’échec n’a pas seulement pour effet de ne pas remettre en cause les programmes inefficaces. Il décourage également les individus et les organisations de courir les risques relativement élevés que comporte l’innovation.

Savoir gérer l’échec

Que devons-nous donc faire pour gérer plus efficacement l’échec ?

D’abord, valoriser l’apprentissage. Les praticiens du développement, surtout en ce qui concerne l’aspect innovation de cette activité, doivent être des penseurs, autant que des praticiens. Promouvoir la réflexion critique et un large partage des enseignements tirés.

Ensuite, reconnaître et valoriser l’honnêteté. Se méfier des activités de relations publiques qui sont devenues partie intégrante des activités de développement et reconnaître que la valeur peut prendre diverses formes – dégager les leçons d’un projet raté peut contribuer au développement autant que s’il avait réussi.

Vu sous un angle, le rapport avantages-coûts de notre projet était lamentable, mais sous un autre angle, notamment les leçons qui s’en dégagent, il était excellent.

Enfin, remettre en cause l’aversion que les institutions éprouvent pour le risque d’être associé à l’échec. Tenir tête aux équipes de communication et de mobilisation de fonds, lorsqu’elles recommandent la préservation de la confidentialité des échecs.


Nous savons par expérience que reconnaître l’échec – sans réserve, avec honnêteté et en mettant clairement l’accent sur l’apprentissage – ne présente pas ces risques tant redoutés pour la réputation d’une organisation.

Daraja, Twaweza et DFID ont tous suivi ce processus et leur crédibilité s’en est trouvée renforcée et non entamée. La confiance repose sur l’honnêteté.

Et les organisations ne sont pas seules à en tirer profit. Le fait d’avoir été personnellement associé à un échec reconnu publiquement constitue, en définitive, une expérience positive.

J’y ai gagné plus de crédibilité comme penseur et analyste que j’en ai perdu du fait des connotations négatives de l’échec. C’est peut-être difficile à croire, mais je vous recommande sincèrement d’imiter cet exemple.

Ben Taylor est le fondateur et ancien Directeur de Daraja. Actuellement, il est analyste principal dans le programme aidinfo mis en œuvre par Development Initiatives, et tient un blog à l’adresse mtega.com. Vous pouvez le suivre sur Twitter à mtega.

 

Références

[1] WaterAid Tanzania Management for Sustainability: Practical lessons from three studies on the management of rural water supply schemes(WaterAid, June 2009)

[2] Bunting, M. How citizens can make development happen(Guardian.co.uk, 1 April 2011)
 
[3] Daraja The failure of Maji Matone phase 1 (Daraja, accessed 25 July 2013)
[4] Anyangwe, E. Information communication technology and social justice: exploring what works (Guardian.co.uk, 11 April 2013)

Related links